Sébastien Faure | Fragments

Non là je sens bien, bleu par le carreau qui me jouxte, fermé dans la classe de l’école primaire. Le maître, odeur de taille d’un crayon, les branches des platanes, inimitables, à la fin des chaussures on sent sous la plante des pieds un peu plus les cailloux, je sens les fleuves dont il nous parle, leur direction, leur puissance, on a mis du fauve en toi, c’est le vert des étangs et l’incolore vigie, on m’a dit que ce corps c’était moi, branchies et crépon. Dans la table de six - c’est très étroit l’enfance - je rôde dans l’automne, j’en rêve la tête entre les mains, ne voir personne, n’être vu de personne, puis la table de sept, des sabres dans la gorge, je souscris à la matrice. Dehors il n’est plus interdit de jouer au ballon à condition de ne pas l’envoyer à perpette, dans cet entonnoir du dehors où vont les billes et le ciel, on le visitera le ciel ? On pourra y être un peu seul ? Et se perdre dans jadis, on pourra, quand on aura une histoire ? J’ai juste mal un peu, j’suis juste bien aussi. On a mis du fauve en toi, c’est le vert des étangs et l’incolore vigie, on m’a dit que ce corps c’était moi que cet emploi du temps serait le nôtre et que hors de celui-ci il y aurait des moments en famille et tout ce juillet et tout cet août qui forment un temps insulaire. Je suis assis, captivé, les questions vont tomber sur moi qui ont rebondi. Je pressens que je vais être concerné, on m’a dit que ce corps c’était moi, je réponds juste ou faux, je pressens, je deviens.
Les ouvrages ont pris paysage près des sillons noirs des labours, canal, mine, peupleraie cassante et chemins. Le tout isolé sans plus d’attention, les muscles et la joie collective de faire se sont évadés, la joie migre, la joie délaisse, ouvrages que le ciel amasse dans son expiration, la poésie résiduelle hante, le corps lutte, le corps tient, le corps creuse. L’enfant revient chez lui chargé comme un ciel et crépite ; dans son orage futur il inspire ses incessantes virées noires dans la combe, ses nerfs trouvent un chemin dans le terreau, l’enfant prend, l’enfant-crue, mais plutôt que de déborder il se livre aux lumières dorées de la maison-digue, il repose en secret dans le clos familial, plus tard la lune trouvera un jour entre les rideaux. Il lui faut le matin se défaire de l’émoi en plongeant de longues barques dans le bol qui porte son prénom. Plus loin le vide est froid où les voix se succèdent à la radio sans qu’aucune d’elles ne donne sa position. Le soleil perce, surnuméraire, le soleil explose, le soleil tend les objets au zénith de leur impatience, les herbes sentent le combat, le soleil va frapper. On a du mal à lui imaginer un futur, on sent que pour lui la vie c’est quoi, pour l’instant le soleil va frapper. La descente depuis l’église en lâchant le guidon, une guêpe parfois tape le visage, la sueur n’existe pas. L’enfant est un essaim qui entre l’épaule en premier, l’odeur mêle papier, gomme, colle gouache et vernis, c’est toujours le même que le maître a dans le collimateur.

*

Ça ne va pas aller bien bien. Et sentir terre et ciel qui débutent d’amasser un capital de feu, c’est entre eux, entrouvrir la fenêtre sur ce jeu, prendre le pouls, mais aussi laisser entrer l’air, que la fumée échappe. Le lendemain ? Le voilà le lendemain, variable, des échauffourées. Tu vois ?
Char à voile par un ciel stagnant, marmonner et toi sans. Écrire à n’en plus finir depuis si longtemps qu’un laissez-faire dans le jardin perdure, que dans les pieds joints ici présents, l’œuvre claire, le sermon d’élaguer, obtenir le laissez-passer, dire aux hommes qui frapperaient à la porte, aux conteurs, aux marcheurs, à celle qui t’aurait perdu et qui viendrait te trouver, une inscription que personne ne relaie, il est parti par derrière, il a fui par le jardin.
Après le train, j’ai marché de profil, au plus vite, ballant, pull-over, vouloir le quitter, over, allumer les mails dont aucun n’est rare, over, corbeille physique et corbeille virtuelle ; on se penche si on a jeté un oiseau, dans l’osier, et toi sans.
Précédent la grève. Tout ce qui précède une grève, le voilà le passé. Le dernier train mieux que des marelles d’attente sur le quai statu quo, à imaginer des fake pour inciser la distance. Tu ne fais pas assez peur avec tout ton amour, le mouvement, cher mouvement, si cher mouvement des encres et des blancs.
Un bras de mer où bout la mer, ni le temps de s’arrêter, pas le temps de penser, le cœur faussé à tout prix des premiers kilomètres, tu vois ?
Avec le corps pour commencer hameçonné par son élan ; ce doit être comme ça qu’on quitte quelqu’un, les pieds devant, et c’est la vie.
Les tunnels que prennent le train et les vaisseaux sanguins, le contrôleur dit que nous sommes partis et moi je me dis que nous nous sommes séparés. Avec le train pour commencer hameçonné par son élan, ce doit être comme ça qu’on quitte quelqu’un et c’est la vie… Un moment de terre où bout la terre, ni le temps de s’arrêter, pas le temps de penser, le cœur faussé à tout prix des premiers kilomètres.

*

Girls, zoo, boys ; des ruts un peu j’entends une sauvagerie sous des huttes forgées. Le gardien du parc, bileux, claudique vers les portes, une heure lui suffit pour toutes les fermer. Les marges s’étonnent du son de clore : tôles sourdes, luxées, qui gondolent, puis les gonds fermes gardent la nuit forte. La voix en ut des clefs qu’il rassemble dans ses mains coche l’heure où les riverains se claquemurent, une demi-faune teste-tinte les grilles, pagaie, échoue, avorte… À la frontière - qu’on dessine au rimmel - on peut passer la main entre les lances - dont les diurnes doreurs ont pris soin - et plutôt que lire, fumer, songer, on y peut comme faire monter une balle sans la balle, un geste vers le ciel, doigter la buée, on jurerait qu’à l’échancrure urge une éclaircie.

11 juillet 2013
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