Sereine Berlottier | Attente, partition
Ce texte est extrait d’un ensemble inédit, provisoirement intitulé Passages de l’attente, dont l’aventure s’est déroulée sur quatre ans. Des extraits de cet ensemble ont paru dans les revues D’ici là (n°2), Gare Maritime 2009, N4728 (17), que l’on remercie pour leur accueil.
Les fragments proposés ici sont inédits, à l’exception des deux fragments datés du 3 et du 13 janvier, parus dans Gare Maritime 2009.
Ce texte paraît aux éditions Argol en mars 2011.
3 janvier
On ouvre le cahier
à la dernière limite des forces du jour
et il fait nuit.On ouvre le cahier comme si
c’était la toute dernière des tâches, la moins hésitante, la plus
bornée.
On se sent sale
de toutes les choses du jour.
On les porte encore
Elles s’interposent
On ne les quitte pas.On ouvre le cahier
et le temps de faire un peu de silence
et d’avancer
les mèches de soucis qu’on a dans les yeuxOn écoute
ce sont d’autres pas dans la rue qui traversentUne musique ailleurs et le bruit d’un enfant plus tard
On colle l’oreille à ce ventre
comme si on cherchait pour de bonsi on a mal
on fait comme si
c’était une façon d’avoir une histoire encore
9 janvier
quel jour sommes-nous
phrases qui penchenton sait
le corps de l’autre aussi
vit son chemin dans le
manquelarmes au coin de ses
yeux
mais il bâillece corps qui te revient
dont tu hérites – médite quoi dans ses vieilles cavestoiles râpées
silencieusesparfois – corps est le mot oublié au cœur d’une phrase
tu dis que c’est le tien
par paresse ou par habitude
10 janvier
Nos mains sont vides.
Je crois que c’était le 13 février 2004.
J’ai le souvenir d’une page.Incrédule, ou volée.
Est-ce que ce monde est à moi ? Est-ce qu’un seul fragment de cela m’a appartenu ?Et chacun : des mots qui se tiennent sur des pages où les mains ne vont plus, et des corps qui se tiennent assis en ce lieu, mais le rejoindre, et tant de brouillard fait fondre nos ongles.
11 janvier
Est-ce une attente ? Il ne faut pas le savoir.
On voudrait la force d’écarter de soi le savoir. Trois ans déjà. On a voulu comme on le pouvait, et chacun son chemin, son pas. On revenait du désert. On avait pleuré au milieu de ce désert-là, de ne pas savoir les suivre, de ne plus pouvoir marcher. On chavirait.
11 janvier
Et le soupçon : tu n’aurais pas voulu de la façon dont il convient de vouloir.
Tu aurais voulu à contrecœur de ce cœur-là, le plus solitaire.
12 janvier
Tu lui racontes l’histoire
d’un cheval qui t’a manqué
et que tu n’as pas vu mourirtout est confus
le cheval est mort dans un champ de neige
son poil avait la couleur de l’ambremais comment faire pour revenir
à ce point précis où la voix se tapisse de failles
et bruisse un vent de jadisvers ce petit cheval qui t’appartenait
n’était à toi que sous le poids d’une promesse
jetée à dix ans
13 janvier
Bien que longtemps immobile
assise
dans ce parc
tu aies regardé
les enfants
les coureurs
et les amoureux.C’est inimaginable.
Il n’y a pas que l’avenir qui le soit.
Le passé aussi bien.
Où l’on se trouve.Somme abstraite de toutes les fois.
Et les étreintes.
Mais tu regardes
ce visage sourire
et cette bouche
qui fait des cercles au fond de son puits de parolesC’est un secret fendu du partout
à présent
ils ne plaisantent plus
ne disent plus
qu’est-ce que vous attendez pour.
14 janvier
Que faire alors
Comment écrire quand tu n’écris pas pour qu’écrire demain soit encore possible ?
Comment, le front au mur, ne pas ajouter au poids de l’échec celui du dénigrement, de la punition ?
17 janvier
Tes yeux ne vont pas plus loin que tes mains aujourd’hui.
Tes genoux tremblent.
Tu marches dans la même épaisseur sans lumière, sans prise.
On dirait que tu n’as pas trouvé ta question.
Et comme tout ceci te semble inutile, confus.
Il pleut.
Ou ce n’est plus, peut-être, derrière la vitre, que ce dont le balcon se souvient.
20 janvier
Combien de fois tu vas vers eux.
Des choses qu’ils écrivent sur des ordonnances.
Et les aiguilles
Mais tout résiste.
L’oracle lui-même étant ce muet aux mâchoires de sang.
S’il en était de ce corps comme d’un vieux sage aux lèvres serrées sur très peu de mots.
22 janvier
ce qui ne tourne pas
rond
c’est donc d’une autre manière
peut-être
de part en part
que le temps te traverse.
4 février
Aujourd’hui
on a beau
pousser les syllabes
explosent en vol
bulles crevées
laissent dans l’air
quoi
à peine l’irisation
d’un vouloir dire
9 février
L’attente – et si
l’attente ne meurt paset qu’il faille
l’ensevelir de forcevivante
son cri dans loinne pas se préparer
ne pas consentir
12 février
le bracelet que tu noues
au matin
avec les dents d’un vœu silencieux
jusqu’à l’usure
de ta patience
ses fibres lâches
jusqu’à la clémence des cieuxet c’est un jeu bien sûr
mais le bracelet le soir même se brise
sous tes doigtsavant même
que ne te soit donnée la grâce de ne plus pouvoir désirer
14 février
Puisqu’on est nus
comparés au futur
près de la vitre
qui plonge dans l’ombreIl fait nuit
On n’a pas à savoirOu qu’il ne vienne jamais
ou qu’il soit
ce cil de toi
avaléet ce rire
à notre manière