Sophie Lemp | Premières séances
Lundi 9 Janvier
La première séance avec les enfants a eu lieu jeudi dernier et la deuxième ce matin. Des difficultés techniques apparaissent, avec la quasi-impossibilité d’enregistrer le groupe sans qu’il y ait de nombreux bruits de fond, des rires, des paroles intempestives. Je réfléchis donc à la façon dont je pourrais procéder pour construire les courtes chroniques qui seront diffusées sur Aligre FM. Je ne veux pas que la technique m’embarrasse et prenne le pas sur le reste mais je ne veux pas non plus laisser de côté ce qui est une des parts essentielles du projet, la radio.
Les enfants et moi faisons connaissance. Certains bien sûr sont plus bavards que d’autres et je remarque que quand l’un d’entre eux raconte un souvenir, les autres livrent à leur tour une histoire similaire. Je découvre leur capacité d’écoute mais aussi l’énergie qu’il faut déployer pour qu’ils restent concentrés.
La séance de jeudi et la première partie de celle d’aujourd’hui sont consacrées aux objets qu’ils ont choisis. Lylya a apporté une photo d’elle à la crèche, Icare une tortue qui ne lui rappelle plus grand-chose, Joseph sa pelle et son râteau, Yannis un album photo, Daphné une boule du mont Saint-Michel, Sara une figurine Hello Kitty, Lily une petite coccinelle, Suzanne un coquillage, Iwan un camping-car playmobil, Adene une photo de lui à la garderie, Valentin une photo avec sa cousine Lisa, Kinane un doudou lapin, Alexandre une petite voiture bleue, Milo un biberon, Ruben une carte postale de Marseille, Marie-Fleur un doudou, Sayani un lion en plastique, Djuna une boîte remplie de coquillages et Fatim une petite peluche. Certains n’ont rien apporté. Nabil aurait bien aimé que la boîte de Djuna soit la sienne.
Leurs récits sont parfois très réalistes : la pelle et le râteau de Joseph lui rappellent le grand trou creusé sur la plage avec sa sœur ou le biberon évoque à Milo les matins de son enfance quand il buvait dans sa chambre son lait chocolaté. Ils sont aussi parfois plus poétiques, avec par exemple le lever du soleil un matin en Australie raconté par Iwan ou la façon dont Adene se souvient de son copain Antonin, grâce au reflet que l’on aperçoit sur la photo.
Tous évoquent des souvenirs heureux. Dans la chanson Petits souvenirs, que nous écouterons à chaque fois, Henri Dès chante « Oubliés tous les pleurs, gros chagrins p’tits malheurs ne sont pas revenus. » Ce matin, je pose la question aux enfants : ont-ils eux aussi oublié leurs mauvais souvenirs ou y pensent-ils souvent ? Nous séparons la classe en deux groupes. Les uns dessinent tandis que les autres me racontent un mauvais souvenir, puis nous changerons. Plus que des événements réels, c’est de leurs cauchemars qu’ils me parlent. Dès que l’un d’entre eux évoque un monstre, tous disent avoir eux aussi rêvé de créatures effrayantes. Dans le deuxième groupe, la plupart des enfants évoquent plutôt les petits accidents dont ils ont été victimes : chute dans la boue, en vélo, coupures… Certains affirment n’avoir aucun mauvais souvenir, d’autres n’ont pas envie d’en parler.
À la fin de cette deuxième séance, les enfants et moi commençons à nous connaître mieux. Je sais que c’est la régularité des ateliers et le temps que je passerai en classe qui donneront la confiance et pourront faire naître une complicité. Chaque semaine nous avancerons ensemble.
Lundi 16 janvier
Pour cette troisième séance, nous nous appuyons sur un album intitulé Quand je ferme les yeux… pour évoquer les souvenirs olfactifs. En demi-groupes, les enfants s’installent en cercle et écoutent un de leur camarade qui vient au centre, ferme les yeux, et nous parle d’une odeur qui lui rappelle quelque chose. La plupart évoquent de bons souvenirs culinaires comme Joseph et la tarte aux pommes de sa maman, Suzanne et les crêpes de sa grand-mère, Adene et le gâteau au chocolat qu’il a confectionné avec son papa, Yannis et Fatim la galette des rois, Marie-Fleur et les hamburgers du Mac Do ou Alexandre et le caramel dans la poêle. Certains donnent beaucoup de détails, comme Iwan qui se souvient de l’odeur des frites sur le chemin du Festival du Bout du Monde, en Bretagne ou Djuna qui se rappelle du parfum du maquillage sur son visage le jour de son anniversaire. D’autres évoquent plutôt de mauvaises odeurs, comme Lily et ses feutres d’ardoise, Éléonore et une soupe brûlée ou Valentin et la fumée d’un incendie dans la rue un matin où il partait pour l’école. Sayani, lui, se souvient de l’odeur des croquettes sur ses doigts quand il donne à manger à un chat. Ça ne sent pas très bon mais il aime bien ça !
Avant qu’ils retournent en classe entière, je leur lis pour la première fois Le Doudou des bois, un album dont l’auteure, Angélique Villeneuve, viendra nous parler la semaine prochaine.
À la fin de la séance, nous expérimentons un nouveau dispositif pour enregistrer les enfants dans de meilleures conditions. Je m’installe dans une salle au calme avec une boîte à souvenirs – coffret en bois rempli de petits papiers, sur lesquels sont écrits des mots. Un enfant me rejoint, choisit un papier et me raconte un souvenir associé. Marie-Fleur, Suzanne et Djuna sont les premières à venir me voir. A moi désormais de les réécouter et de monter leurs propos.
En sortant de l’école, je me réjouis car j’ai l’impression que les enfants ont été ce matin moins influencés par le récit des autres et plus libres de convoquer leur mémoire.