Trois beaux oiseaux du Paradis

Évidemment, pour de la critique d’art, ce n’est sans doute pas ce qu’on pourrait appeler de la critique-critique. J’espère que, même si c’est raté, c’est raté avec un peu de virtuosité, un peu d’intelligence.

Le modèle et son peintre,
Emmanuel Hocquard & Alexandre Delay
Galerie Stadler, Paris & Villa Médicis, Rome, 1987.

Ils sont trois. Trois beaux oiseaux du Paradis/ Le premier plus beau que ciel/Le second couleur de neige/Le troisième rouge vermeil. [1]
C’est vraiment àl’intérieur de cet espace triangulaire làque ça se passe avec des escaliers en colimaçon comme il y en a dans le tableau de La méditation du philosophe.
Un espace triangulaire n’est pas facile àconquérir.
L’espace entre le modèle, le peintre et celle qui regarde est un doute de longue durée

Celle qui regarde est dans le meilleur des cas la lumière qui passe par la fenêtre pour se poser sur le philosophe ou sur le modèle.
Dans un cas plus banal, plus ordinaire – une chose commune en quelque sorte, c’est une femme qui regarde avec ses yeux et son regard dure longtemps.
C’est très long la vie vivante et au-delààl’intérieur de la toile. Il faut beaucoup d’efforts, beaucoup d’insomnies, beaucoup de fatigues pour parvenir àpénétrer les deux autres par la seule altération de soi. C’est « Le principe de l’axolotl  » que nous dit de façon si proche ce petit chef d’œuvre de livre écrit par Gilles A. Tiberghien.

Les espaces sont courbes dans le tableau de Rembrandt, ils montent sans cesse dans la pénombre de l’escalier qui sent bon la fumée (Ne pas oublier de regarder aussi le feu qui brà»le grâce àun domestique dans la partie droite.)
La rencontre fait aussi plier la ligne entre Le modèle et son peintre dans un vrai décor d’atelier et ce que la femme regarde c’est le bruit du pinceau.
Le modèle, son peintre et la femme qui regarde sont fragiles en chair et en os mais tellement présents : ils osent être extraordinaires. Tous les trois aiment dans l’atelier jusqu’aux odeurs des corps qui transpirent. La peinture comme l’amour donnent chaud.

Beaucoup de chaleur bien sà»r quand ce sont des tentatives de “recherches vitales†[pléonasme !]. Tout àl’intérieur de l’espace triangulaire essaie de passer un sens “infinitif pluriel†, signification, direction, sensation, quelque chose comme ça qui porte àconséquence : le “dédoublement†d’une personne humaine, L’art de la conversation entre deux études.

Deux silhouettes humaines au pied d’un appareil architectural sans consistance paraissent aussi momumentales l’une que l’autre.
La troisième qui regarde s’identifie àla transparence du mur où s’inscrit àmême l’assemblage des corps le mot « rêve  ».
Le rêve comme arme secrète, celle que disait Gilles Deleuze au cours de la fameuse conférence donnée àla FEMIS en 1987 : « Si tu es pris dans le rêve de l’autre tu es foutu  ».
L’échange de paroles entre deux corps ne peut être audible qu’àtravers l’éloignement d’un troisième : le rêve est littéralement foutu dans l’agencement des couleurs qui le cryptent :

– Magnifique couleur rose tendre et pur puis brunissant jusqu’au brun sépia obscur.
– Couleur crème pâle avec un léger reflet ocre (àpeine distinctement saumoné), salie de verdâtre souvent maculé de brun foncé.
РBlanch̢tre un peu nuanc̩e de glauque ou de jaun̢tre.
РCr̬me ivoire, cr̬me ocrac̩, parfois avec un l̩ger reflet saumon̩.
РOrang̩ avec reflets rouge vermillon orang̩ ou orang̩ avec reflets violac̩s.
– Rouge carotte virant au pourpre vineux.
РCouleur cr̬me ocre ros̩ p̢le, ocre saumon clair avec des reflets carn̩s.
РCouleur claire, gris violac̩, gris ros̢tre, gris lilacin, gris rouss̢tre, parfois presque blanc.
РJaune citrin clair, paille jaun̢tre, jaun̢tre sale, avec quelques vagues zones brun̢tres ou ocrac̩es.
– Typiquement gris verdâtre, gris olive, ou même d’un vert assez franc avec des nuances violacé-livide.
– Couleur relativement vive d’un beau crème ocre.
РCouleur p̢le, cr̬me brun̢tre, cuir p̢le, paille rouss̢tre, isabelle clair.
– Couleur qui varie du blanchâtre au bistre noir en passant par le gris brun, le brun d’ombre.
– La couleur varie du brun rouge fauvâtre ou fauve orangé àl’orangé roussâtre.
– Brun roux purpurin obscur.
РUn joli roux aurore tendre, orang̩ rouss̢tre.
РIncarnat aurore p̢le.
РBrun rouss̢tre ou cannelle brun̢tre terne.
– Un blanc àpeine distinctement jaunissant.
РUn blanc de lait avec un l̩ger reflet cr̬me ou glauque.
– Blanc d’ivoire avec des nuances glauques.
РBlanc, puis tachet̩ de rouge̢tre, de brun noir̢tre, finalement tout sali de bistre noir̢tre.
– Sa couleur d’un rouge vermillon, d’un rouge cinabre où n’entre aucune nuance violacée ni franchement pourprée.
– La couleur typique d’un rouge qui rappelle celui de la cerise bigarreau.
– Sa couleur est uniquement le rouge le plus beau.
РUne couleur qui oscille entre le gris noir̢tre, le violet bleu et le vert.
РGris cendr̩ clair.
РDevenir jaun̢tre ou rouill̩ jaun̢tre.
– Un blanc un peu lavé ça et làde brunâtre ou de chamois roussâtre très dilué.
– Le lait est blanc, mais clair.
– La tendance àse colorer en jaune sale, en miel ocracé, en brun
jaunâtre ; […] (verte au sulfate de fer, rouge àl’eau anilinée). L’ocre est plus ou moins clair ou foncé (rarement crème ou jaune claire).
РUn beau rouge briquet̩ vif assombri de pourpre et de violet.
РLa couleur est violette ou vineux brun̢tre.
– D’une couleur blanche un peu grisonnante ou brunissante (mais très discrètement).
– La couleur est extrêmement variable : typiquement brune, ou au moins mêlée de brun, elle peut être brun verdâtre, brun jaune, verte, brun pourpre ou nuancé de pourpre, brun chocolat, brun vineux, violet brunâtre, plus rarement d’un beau pourpre noir, mais jamais rouge ou rougeâtre ni orangé.
– La couleur blanc de lait devient jaune de beurre clair, enfin jaune vif.
Р-Un beau fauve rouill̩.
– Un brun ocracé lavé d’un peu de fauvâtre.
РTeint̩ de glauque, de gris verd̢tre p̢le, de gris verd̢tre jaun̢tre.
– Typiquement vert : vert olive, vert jaune, jaune olive, brun olive, brun verdâtre, mais aussi brun ou àpeu près blanc.
РCouleur cr̬me, cuir p̢le, isabelle rouss̢tre ou ros̢tre, plus fonc̩e et lav̩e de jaun̢tre.
– Gris bistré et blanchâtre avec un soupçon d’olivâtre ou fauvâtre.
– Jaune indien.
РBrun mad̬re obscur.
– Blanc de neige.
РRouge carotte ou safran̩ orang̩.
– Ocre, chamois.
РUn magnifique roux orang̩ vif.
РUn bel et tendre chamois orang̩.
РUn bai brun rouss̢tre.
РCouleur de datte, brun fauve, brun ocrac̩, brun argileux.
–Un beau jaune citron ou jaune d’Å“uf.
– C’est exactement le bleu vert, le vert-de-gris.
– Du blanchâtre àl’argileux ou au brunâtre.
РUn jaune clair l̩g̬rement verd̢tre, paille citrin.
– Miel fauvâtre. [2]

Le rêve et l’œuvre d’art ont un sens qui ne se trouve que dans la manière dont Le modèle et son peintre et celle qui regarde les disent. Une interprétation aussi est une expérience (l’art comme expérience) si « faire une expérience c’est la dire ».
Celle qui regarde a un goà»t religieux pour Le Livre des propriétés des choses. Dans cette encyclopédie du XIVe siècle Celui qui est appelé aussi Emmanuel, ce qui signifie en latin « Dieu est avec nous  » est dit aussi « bouche de Dieu  » car c’est par La bouche de Quelqu’un que “ça parle†. « De quoi parle-t’on quand on lit ?  »
De quoi parle-t’on quand on regarde ?
– des jambes du modèle par exemple qui sont très tendres et prennent facilement diverses formes selon qu’elles s’ouvrent plus ou moins,
Рde la chair du mod̬le par exemple qui est tr̬s transparente et prend facilement diverses couleurs selon que la touche du peintre la p̩n̬tre plus ou moins,
Рde la complexion chaude et humide du sexe qui est tr̬s souple
et prend facilement divers traits de crayon selon que la femme qui regarde est plus ou moins près de la peinture.

Le modèle a les cheveux plus souples et plus fins que le peintre, elle a un cou plus long, un teint plus pâle, un visage plus fin, un corps plus mince et des épaules moins larges. Mais, en dessous du nombril, le modèle est invisible tant que le peintre n’a pas marqué ici la place unique de son art.
Après la séance de pose, le modèle a les seins gonflés, le peintre a le sourire, la femme qui regarde a les yeux cernés et va chercher ses mots sous les feuilles d’herbe de l’atelier pour oser être l’extraordinaire : un joli coeur tout cramoisi.

5 novembre 2006
T T+

[1Extrait du poème d’une des Trois Chansons (1914-1915 ) pour choeur mixte a cappella de Maurice Ravel : Trois beaux oiseaux du Paradis

[2Note d’Alexandre Delay :
Cette liste a été publiée en deux fois dans Taches blanches sous le titre de la Palette de Henri Romagnesi