Un texte, l’écrire, c’est sans compter…


Un texte, l’écrire, c’est sans compter l’écho en lui de son propre rêve

Je ne l’ai jamais vue, je ne la connais pas. Elle vient d’ailleurs, de son propre rêve.

C’est une petite fille de six ans, huit peut-être. De ces enfants qui vivent dans la rue et respirent de la colle pour survivre au froid, àla faim. Elle appartient àun groupe de trois, un garçon de son âge et une fillette plus jeune, peut-être son frère et sa sœur.

Un feuilleton policier a dà» leur donner cette idée : voler un sac et proposer de le rendre contre rançon.

J’aperçois le sac qui contient quoi, pas grand-chose.
Il pend au dossier d’une chaise, là-bas.

La petite fille et moi sommes assises sur le trottoir.

Je me tourne vers les deux enfants qui l’accompagnent et leur crie : « Et maintenant tirez-vous ! J’ai àparler avec elle, avec elle seulement… tirez-vous !  »

La petite fille paraît soulagée, surenchérit :
« C’est vrai, ça ; on veut parler seulement toutes les deux, tirez-vous !  »

Je regarde la petite fille.
Tu veux combien ?
Elle ne sait pas.
Tu veux faire quoi ?
La question lui paraît plus simple que la précédente, elle répond :
Acheter un billet de car pour Mexico.
Je mesure les distances que la petite fille a parcourues dans son propre rêve pour arriver jusqu’au mien.
Il te faut combien ?
Cinq mille.
Cinq mille quoi ?
Elle ne sait pas.
Cinq mille escudos, je pense, elle veut cinq mille escudos, elle vient de Mantra, elle vient du roman de Rodrigo Fresan, elle vient de ce livre.
Je me lève.
Je dois vérifier d’abord que tout est bien dans le sac.
Ça lui semble une requête honnête.

Je la prends dans mes bras, sa tête se penche contre mon épaule, elle s’endort. Elle n’a pas ouvert le sac, elle aurait vu l’arme qu’il contient, qu’en aurait-elle fait, qui aurait-elle pris pour cible, vous, moi, une petite fille en danger, si jeune, si abandonnée, si seule, si désireuse d’acheter un billet de car pour Mexico, si courageuse, qui ne fuit pas, qui veut seulement retourner dans son propre rêve, comment lui faire du bien, ce désir d’enfant qu’en faire ?
Dans un magasin j’achète une couverture. Je la déplie sur le trottoir, allonge dessus la petite fille, pose près d’elle un papier où j’écris : « Bon pour aller àMexico.  »

15 mai 2007
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