Vivre et dire non, Edna O’Brien
Les petites chaises rouges d’Edna O’Brien, traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, vient de paraître aux éditions Sabine Wespieser.












La première partie du roman d’Edna O’Brien raconte une forme de résurrection, de retour à la vie dans l’opulence des paysages et des sentiments éprouvés par Fidelma. Comme on sait ce qu’on lit, on tremble. Parce que l’amour est tel qu’on ne résiste pas, qu’on est déjà tombé-e.
La deuxième partie s’ouvre après la catastrophe. Après les lettres rouges sang qui ont inscrit « où copulent les loups » sur le trottoir, après l’arrestation de Dragan, après la révélation inouïe de son identité, la reconnaissance publique de sa monstruosité qui vient recouvrir l’autre révélation, intime, plus que ça, lovée dans les entrailles de Fidelma : elle est enceinte de Dragan.
Au corps de l’amour succède le corps du mal. La métaphore a excédé la honte, la culpabilité. Dragan a transmis la possibilité du mal à Fidelma. Fidelma s’est fait à son corps défendant, à son esprit défendant, récipiendaire du mal qu’incarne Dragan.
Que reste-t-il à cette femme ? La chute ? À travers la folie, le suicide ?
Mais c’est une héroïne d’Edna O’Brien, c’est le courage que Fidelma a en partage.
Jetée hors d’elle-même, hors de sa vie, Fidelma se retrouve à Londres, déclassée, contrainte à des travaux i-gnobles, selon le sens premier du terme, « non nobles ». C’est au contact de migrants comme elle, de solidarités ouvrières, d’une petite fille grave et solitaire, Mistletoe, que Fidelma retrouve des repères, refait ses forces. Il y a de l’expiation dans ce destin, mais pas seulement. Il y a de l’endurance au mal. Il y a le discernement, le désir et la volonté d’y voir clair. Et, enfin, il y a ce qu’on peut opposer au mal absolu, la force de l’affronter.
Troisième partie du roman : Fidelma se rend au procès à La Haye. Cela n’est pas encore assez. Il faut parler maintenant. Il faut que ce qui n’était que rendez-vous dérobés, mensonges, illusion, masques et fuite soient démontés pièce par pièce. Que le face-à-face ait lieu, dans l’immobilité et les murs infranchissables d’une prison. En rêve, dans une chambre d’hôtel où la question enfin posée ne recevra jamais de réponse : « Ta nature profonde a toujours été le mal ? N’as-tu jamais été innocent ? »
Au bout du voyage, il n’y a rien. Ni explication, ni pardon, ni raison. Fidelma a fait le chemin. Elle a compris ou trouvé quelque chose : la conscience que vivre est encore la seule façon de dire non au mal absolu.