remue.net association, un an déjà  

après la première assemblée générale de notre association, le 21 juin 2002, à la Maison des Ecrivains, quelques interventions et bilan : ci-dessous, François Bon

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rappel : un historique du site (2001)


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Remue.net : trop tôt pour les bilans mais quand même
François Bon, 16 juillet 2002

Pour cette première assemblée générale de notre association, il me semble que le bilan moral tienne en un seul mot : merci à tous.

Il y a un an, lorsque j’ai souhaité créer cette association, le site existait déjà en grande partie dans ses composantes actuelles. Existait aussi le fait que, pour le développer ou l’entretenir, j’avais l’aide quasi quotidienne de certains d’entre vous.

Sans reprendre ici le petit rappel sur l’histoire de ce site, dans l’histoire brève mais imprédictible d’Internet, la situation était la suivante : après une période de grande éclosion et dispersion de sites littéraires personnels, mouvement que nous avions été une poignée à initier, un mouvement contraire de concentration, accentué par les algorithmes de traitement d’une nouvelle génération de moteurs, qui conférait à notre site un rôle de carrefour et de circulation d’informations d’actualité qui n’était pas sa première motivation.

Le site a pu y résister parce que son architecture était déjà ouverte : en particulier avec l’ensemble de pages ressources concernant les principaux auteurs contemporains, et en particulier par la vie des pages ateliers d’écriture et les débats de fond qu’elle accueille. Enfin, d’avoir réussi jusqu’ici, nous sommes quasiment les seuls, à développer une page de liens raisonnés, triés, et présentés de façon analogique plutôt qu’alphabétique, malgré la difficulté à rendre lisible en permanence cette présentation.

Il est évident, dans ce contexte, que rester seul à gérer remue.net me condamnait au repli. La décision était de quitter l’univers des sites personnels, avec ce que cela comportait sur l’ouverture des choix, le renforcement de l’expérimentation et l’actualité par la page revue. Vous tous avez immédiatement répondu positivement, avec ce qui m’apparaît toujours un paradoxe : l’outil Internet suscite des interventions neuves, les individualités qui se rassemblent autour du site, si elles sont toutes concernées évidemment par la question de l’écriture, ne sont pas forcément des personnes ayant publié par voie graphique, et les acteurs de la chaîne graphique, écrivains et éditeurs, avec heureusement des exceptions, n’ont pas forcément souhaiter s’impliquer dans le développement de ce qui restait peut-être trop, à leurs yeux, le site de François Bon.

Internet a mûri, mais reste évolutif. D’abord par le bassin des personnes concernées : en un an, j’ai pu mesurer combien l’outil mail et web avait continué à se répandre dans un milieu plutôt réfractaire au départ. C’est sensible dans le développement de notre liste d’information (775 abonnés à ce jour) et la diversité des personnes qu’elle touche, leur attention et leur réactivité. Il faut compléter par un paradoxe : développement continu des accès haut débit, et ce qu’ils permettent techniquement, ne serait-ce que par le temps de lecture sur écran indépendant de la facture de connexion, et la permanence de consultations précaires, en particulier dans le monde étudiant, qui doivent rester pour nous la contrainte d’accès et de lisibilité du site. Ensuite, une imprédictibilité qui ne s’éclaircit pas, toujours susceptible de rejeter dans l’oubli immédiat un site qui ne serait pas attentif à telle nouvelle évolution. L’exemple en est dans l’importance des listes de diffusion, où là encore nous avons pu être pionniers mais qui requiert toute notre attention collective, au jour le jour. Ou tout simplement dans ce qui est le plus difficile, et croyez que je parle sans certitude mais avec cinq ans d’obsession à ce propos : la lisibilité des textes sur écran, dans ses composantes graphiques comme dans le détail d’arborescence du site, sur quoi les statistiques page par page nous renseignent. Et la dimension même du site (plus de 2200 pages à ce jour), rend la gestion, la correction, l’évolution plus complexe et plus lourde, difficile à concilier avec nos investissements qui doivent rester dilettantes, au meilleur sens du terme.

Il nous faut assez d’ouverture pour que le fonctionnement collectif nous ramène toujours à ces questions, nous permette le contrôle et l’aiguillon réciproques, sans rien rigidifier. Il y a un an, nous pensions la liste [asso] un plus professionnel, réservé aux adhérents, nous nous orientons vers une contribution plus collective à la liste [bulletin], d’accès libre et de grande effectivité, et appelons à ce que la liste [asso] nous aide à mieux mesurer ces retours et nous offre plus de suggestion.

Le fonctionnement d’un comité de rédaction virtuel n’est pas aisé non plus à construire, qui contraint à la circulation de gros fichiers, quand des décisions doivent souvent être prises très vite. Nous avons exploré pour la revue des mises en ligne mensuelles, puis trimestrielles, et récemment des mises en ligne continues sur une période limitée, tout cela doit être sans cesse repensé. Le fonctionnement collectif nous a permis de lancer quelques dossiers, sur Emaz, Dupin, qui indiquent sans doute une direction solide. L’an prochain, Du Bouchet, Blanchot ? Je souhaite vraiment qu’on puisse trouver par là l’ancrage et la définition du site : des choix littéraires apparents et rigoureux, à partir desquels les mises en ligne d’expérimentation ou d’inédits prennent sens. Là aussi, des choix qui ne sont valides qu’à condition que nous soyons capables de faire lire et circuler nos mises en ligne…

Je me répète : cette dimension carrefour du site, son implication dans l’actualité littéraire, n’était pas sa première vocation. Elle était plus, au départ, le choix par exemple du Matricule des Anges, qui n’y a pas persisté. Les magazines et organes d’actualité littéraire n’ont pas souhaité l’investir, hors Lire avec auteurs.net, sur un registre qui n’est pas le nôtre. Aujourd’hui il se confirme non seulement un dialogue accru avec les éditeurs les plus exigeants du domaine contemporain, Verdier, Corti, POL, Verticales, mais qu’on peut à la fois tenir ce rôle d’informations à large spectre tout en restant sélectif, en affirmant nos choix. On sera toujours, là, sur une frontière de trop et de pas assez, de cible juste et d’erreurs éventuelles, qui n’apparaît telle que de façon rétrospective, en pratiquant… L’outil de veille collective que constitue alors l’association en constitue aussi une des motivations, qu’il nous faut accentuer : nous ne pouvons traiter que des informations qui nous parviennent…

Vous le savez, je me suis beaucoup impliqué, depuis 11 ans, dans les pratiques d’écriture créative. Le site s’est en partie développé autour de ce travail, par des mises en ligne hebdomadaires, depuis plusieurs années, de mes différentes expériences. Ces deux ans, le dialogue de ces pratiques avec l’éducation nationale s’est accentué, et nous a conduit dans des zones de dialogue fondamentales aussi bien pour la création littéraire contemporaine que pour le rapport des écrivains à l’enseignement. Bien sûr, nous continuerons dans l’exploration de cette dimension, et de façon militante. Mais, après les deux ans que nous venons de traverser, en nous portant en avant de ces débats, nous sommes dans une phase de régression et d’hostilité institutionnelles où il pourrait s’agir plus de défendre les idées et débats déjà présents sur notre site que de s’adapter à cette régression. Chantier collectif de réflexion à poursuivre, mais sans quitter notre domaine d’exigence.

Deux points encore : dans ce mouvement permanent d’éclosion et reconfiguration de l’Internet littéraire, les relations entre sites offrent une figure inédite, très différente des rapports de revue à revue ou d’éditeur à éditeur. Je suis souvent très surpris de la qualité de ces échanges, de la disponibilité réciproque. Elle pourrait, tant on s’habitue à voir une signature apparue sur remue.net réapparaître chez les autres, conduire à un affaiblissement de la diversité. J’ai l’impression qu’on a su prendre le chemin, et le nombre de webmasters amis présents à notre AG en témoigne, d’un nécessaire renforcement des identités spécifiques de chaque site : cela implique de maintenir ces relations ouvertes et solidaires, attentives, et permet de résolument avancer dans les refus ou les exigences, pour que cette lisibilité dans la diversité contribue au visage en devenir du Net. Amusant de constater, même dans les infos Net du Monde ou d’auteurs.net, la résurgence d’infos d’abord diffusées par nous. Second point : un site c’est beaucoup d’heures gratuites, mais forcément du matériel payant, ordinateurs, logiciels, et pourquoi pas photo numérique, scanner, connexions… Là aussi, entre une indépendance nécessaire, refus de publicité ou de sponsors, et une échelle du site qui dépasse désormais nos moyens individuels, il y a un itinéraire pas facile à frayer, où les adhésions, cette première année, par leur générosité et leur nombre, nous ont offert cette première indépendance, mais qui n’est pas forcément le profil définitif : quelle taille et quels présupposés pour notre association, et quelles recherches de financements complémentaires par subventions, CD ou publications ? Cette réflexion aussi doit être collective.

Voilà pour ce bilan. Qui est donc plutôt un appel : que cette association soit vraiment nôtre, sur ce qui nous rassemble d’exigence littéraire, en veilleurs, et surtout pas un acte de confiance en quelques animateurs dévoués. Que cette association soit pour sa deuxième année une véritable affirmation collective et plurielle concernant la littérature et l’Internet.

Et juste, pour finir : que dans l’énormité de ce boulot, il y a aussi quelques bons kilos d’amitié virtuelle qui circulent chaque jour. C’est bigrement précieux, et c’était peut-être le plus inattendu de ce que nous avons ensemble commencé de forger.