Jean-Pierre Barrier / Une vie à part

La Douceur dans l'abîme / le livre

le site de l'ARS Nancy

Il y a une partie de la nuit que je ne connais pas.

La peur de descendre plus bas. Savoir freiner, mettre les pieds devant et dire maintenant il faut que j'arrête, que je remonte.

C'est la pêche, en pêchant. Ça mordait bien, c'est tout simple, c'est tout bête. C'était un grand sapin qui m'abritait. Un jour il est venu un canapé, qui était sur le trottoir un peu plus loin, après ça a poussé comme un champignon. Après, prise de tête avec la compagne de l'époque.

On a commencé par faire un petit coin pour être à l'abri du vent, puis après je me suis démerdé pour récupérer une cuisinière avec une bouteille, se faire à manger chaud, et comme on n'était pas à l'abri de la pluie on a commencé à faire un petit toit, et des tôles sur le toit, et puis comme on a beaucoup de visite, un petit coin pour être tranquille.

Déconnecter un petit peu par rapport à la société, toujours sur le qui vive. Une paix, une tranquillité, qu'on me foute la paix. J'ai voulu voir comment ça se passait à côté. Mais quand tu rentres, quand tu n'as plus d'adresse, tu es déconnecté du système, et c'est fini.

Je me suis mis dans mon île, et puis voilà.

Au départ j'ai eu beaucoup de visites. Le premier hiver, il était dur. Alors que je pouvais aller dormir au chaud, puis non, je venais. Au départ c'était un défi, puis après de l'obstination. Je voulais y arriver.

Mais on nous bloque. On est les gens d'en face, alors qu'on vit beaucoup mieux qu'eux, on arrive à se démerder pour ne pas avoir froid, pas avoir chaud.

Le matin il faut se lever de bonne heure, il faut couper le bois, parce que s'il n'y a pas de bois il n'y a pas de feu, et s'il n'y a pas de feu il n'y a pas de chaleur. Après il faut aller chercher l'eau, à cinq cents mètres, un kilomètre aller retour, c'est la ville qui a mis ça pour les péniches, on a de la chance, on ne paye pas.

Le deuxième hiver, je suis installé, je suis au chaud, ça se passe très bien. Mais il faut savoir poser son sac. J'ai voulu vivre, je l'ai vécu. Ma copine, ça l'a amusée cet été. Il y a beaucoup de gens, l'été, ils viennent deux jours, trois jours, mais l'hiver ce n'est plus pareil. L'hiver ils se rendent compte que c'est une vie à part.

L'été dernier, il faisait bon, on buvait pas mal, j'aurais pu me laisser aller.

C'est ça qui est le plus dur, rester dans les deux mondes, ne pas plonger.

On a la valeur de l'homme, et ça c'est important. C'est essentiel.