remue.net / l'enseignement et l'écriture d'invention

quelques interventions pour un débat de fond

 

après la demi page publiée dans Le Monde par "Sauver les lettres" et son attaque brutale contre l'écriture d'invention, sur cette page plusieurs contributions remarquables et novatrices, initiant un nouveau débat

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une série de contributions de fond

Raphaël Monticelli
action culturelle rectorat de Nice

Bruno Tackels
responsable des ateliers théâtre à l'Université Rennes 2

Bruno Bernardi
enseignant à Marseille

Véronique Breyer
un texte de fond, repositionnant le débat et les distinctions ateliers d'écriture et écriture d'invention

Jean-Marie Barnaud
"le cul entre deux chaises"
après 37 ans d'enseignement passion

Anne Roche
une intervention devant les conseillers pédagogiques de l'IUFM d'Aix-en-Provence, et compte-rendu d'un stage de formation: comment enseigner l'atelier d'écriture

Yves Ughes
enseignant à Grasse

écrivains en ateliers
Leslie Kaplan, Hervé Piékarski, Michel Séonnet, Gérard Noiret, Jacques Séréna

les textes de Hervé Piékarski et Leslie Kaplan sont dans ce débat plus que jamais nécessaires

Claudette Oriol-Boyer
en 1994, dans un texte à l'intention du CRDP Lorraine, COB examine le texte comme "objet d'art scriptural" pour déplacer la didactique du français et de la littérature

Alain Bellet
point de vue d'un écrivain engagé dans les ateliers d'écriture

François Bon / apprendre l'invention
un bilan critique après plusieurs années d'interventions et de formation

la discussion
dernière contribution : Paul Recoursé (IUFM St-Brieuc), le 30 avril

contributions initiales
la première série des contributions

liens, textes et autres documents
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écrivains, enseignants deux approches, un dialogue

ceux qui parlent de confiance, ceux qui parlent de responsabilité, et de la nécessité de débattre

Le boulot de prof. consiste-t-il donc à enregistrer, mettre en avant des soi-disant incontournables principes de réalité, à seulement commenter des décisions qui seraient prises, bref à se fonder sur des rumeurs, des à - peu - près, en n'oubliant pas de faire savoir qu'on est quand - même bien renseignés. Et donc, objectivement, le boulot de prof serait-il de contribuer à une démobilisation ?

Mon avis est que, dans écriture d'invention, c'est le mot invention qui est le plus important en ce moment. En effet, il s'agit de faire en sorte que deux dynamiques d'invention se rejoignent quelque part : celle de l'oeuvre, celle du lycéen scripteur, inventeur d'une pensée. Ce qui signifie que tout sujet qui ressemble peu ou prou à des vieux sujets de rédaction ou de dissertation est à proscrire. Il faudra être attentif à proposer des lanceurs d'écriture qui donnent l'occasion à nos jeunes d'expérimenter le tissage de leur parole avec celle d'un (ou plusieurs) écrivain(s). En amont de l'évaluation (EAF)dont le principe ne me choque pas, il s'agit de mettre en place des formations. Car écrire l'invention, cela s'apprend. Eprouver, expérimenter, inventer pour de bon, pas dans le faire semblant. Pourquoi cela serait-il déjà impossible avant même d'avoir commencé en grand ?

Au moment où l'on médiatise les questions de violence à l'école, il y a dans ce débat sur l'écriture d'invention à chercher aussi comment, en respectant les jeunes, en ne les prenant pas pour des minus, on peut leur redonner confiance.

Paul Recoursé (IUFM Saint-Brieuc)

Un lien social, humain, passe par un rapport au langage où le langage vit, peut vivre, dans ses deux dimensions fondamentales : comme parole adressée, lieu d'accueil pour l'autre, et comme matière polysémique, moyen d'expérimentation et de jeu avec le monde et les autres.

Le langage permet le je, le sujet, parce qu'il permet le jeu avec le monde, les autres. Mais cela est possible seulement si le monde, les autres, ont déjà permis ce rapport-là au langage.

La confiance dans le langage, dans la parole adressée, avec ce qu'elle comporte de promesse, que chacun sente qu'il existe pour l'autre, et, l'affirmation, qu'elle soit formulée ou non, du caractère polysémique du langage, de sa dimension fondamentale de jeu et d'expérimentation, c'est la moindre des choses pour un écrivain, parce que c'est ce qui le constitue comme écrivain.

Pour moi il est évident que les écrivains qui s'intéressent au lien social peuvent trouver un sens dans des expériences de terrain souventéprouvantes parce que ces expériences sont aussi la réaffirmation de ce qui fonde leur travail à eux, écrivains.

Conséquences : ce n'est pas sur tel ou tel artiste-écrivain que se porte le transfert, le désir de travail, mais sur la fonction écrivain.

Donc ce n'est pas comme un écrivain particulier porteur d'une oeuvre particulière que l'on intervient, mais comme "l'écrivain", transmetteur de la fonction même du langage.

Modestie si on veut mais surtout responsabilité par rapport à cette transmission là.

Leslie Kaplan (écrivain)

encore deux textes pour approcher les enjeux au centre

"Vous êtes enseignants..."
par Yves Bonnefoy, transmis par Jean-Marie Barnaud

"Le premier pas qui aide"
par Pierre Reverdy, transmis par Alain Freixe

ceci n'est pas une contribution de Paul Fournel à notre débat sur l'écriture d'invention, mais un extrait de sa contribution au très beau et complet dossier du Magazine Littéraire de mai sur l'Oulipo - l'article de Paul Fournel commence par un développement sur l'inspiration, et termine sur l'idée de production - le passage ci-joint : l'éducation, est donc la partie centrale de l'article -
membre "historique" de l'Oulipo, unanimement respecté par son long parcours d'éditeur, Paul Fournel est actuellement attaché culturel au Caire -

Paul Fournel / De l'éducation

L'enseignement français traditionnel tient l'écriture à distance. Elle se trouve tiraillée entre deux pôles contradictoires. D'un côté la stricte observance des normes orthographique et grammaticale et de l'autre, l'admiration fervente des grands maîtres.

A prendre des coups sur les doigts pour délit de consonnes mal géminées ou d'accords de participes défectueux, à se confire en admiration pour la page (forcément sublime) de la grive de Montboissier, le praticien potentiel de l'écriture aboutit à une conclusion unique : "Je n'y arriverai jamais." Il s'efforce alors, pour obtenir ses diplômes, d'écrire sans faute quelques lignes sur ceux qui savent écrire, ensuite, terminé, il quitte le champ de l'écriture.

La manière de raconter l'histoire littéraire, de la découper en tranches, de la couper de l'histoire du monde, de hiérarchiser les écrivains dans des classifications que l'on voudrait immuables, induit l'idée qu'écrire c'est écrire de la Littérature. Cette idée est une idée glacée et fausse. La Littérature est une oeuvre collective complexe qui implique les lecteurs, les diffuseurs (éditeurs, directeurs de collections, vendeurs, agents) et les prescripteurs (critiques, professeurs, bibliothécaires, libraires) au moins autant que les auteurs eux-mêmes.

La Littérature, d'autre part, est un ensemble ouvert en perpétuel mouvement. Si le consensus s'établit sans peine sur un noyau dut, les périphéries sont changeantes. Un jour on accueille Simenon, un autre c'est San Antonio, un jour on arrête de lire Anatole France ou Germaine Acremant... Chaque jour on se bat pour que la Littérature soit de la Littérature. Elle est donc la résultante d'une foule de désirs convergents ou contradictoires sur lesquels la volonté de positionnement de l'auteur a bien peu de prise.

Aussi violent que soit son désir de le faire, aussi haut que soit son niveau de connaissance de l'histoire littéraire, aussi désireux que soit son éditeur qu'il le fasse, l'écrivain n'écrit pas de Littérature. Il écrit du texte.

Il écrit du texte avec un outil qui est la langue. Le texte n'a pas à fléchir systématiquement devant l'outil. On peut questionner l'outil, on peut transformer l'outil, on peut casser l'outil. L'essentiel reste le texte.

Le système éducatif laisse donc de la place à une pédagogie de la littérature.

Paul Fournel.

liens Oulipo : oulipo.net / la revue Formules / littératures à contraintes

post-scriptum :

suite à la diffusion de l'extrait ci-dessus sur remue.net, le message suivant de Paul Fournel :

Ce qui me parait important, si cette fois je me place du point de vue de l'enseignement, c'est d'assurer les profs et leurs élèves de l'importance du rôle qu'ils jouent dans l'élaboration du fait littéraire. L'enjeu second de l'enseignement de la littérature, c'est précisément la littérature. Même si les profs et leurs élèves ne le sentent pas toujours, ne le savent pas toujours, ils ont un rôle fondamental à jouer. Sans eux, la littérature française ne serait pas la littérature française. Sa qualité et sa constance tiennent à ce qu'elle est sans cesse en jugement, chaque jour, dans chaque classe. Que là, elle est pérennisée mais aussi jugée, jaugée, classée et déclassée. Pas toujours bien, pas toujours efficacement mais d'une façon qui la place décisivement dans le paysage culturel français et lui assure sa réalité et sa survie. A travers elle, la survie de la langue, la survie du texte comme approche possible du monde, la survie des raisons et des sensibilités. Cesser d'enseigner la littérature, c'est couper l'arbre du texte, l'arbre de la langue et, à terme, l'arbre de vie.

Merci d'avoir relayé une partie de mon article du Mag Lit sur Remue-net. Je souhaite que toutes ces petites graines de pensée fassent avancer un débat qui doit avancer.