Michel Séonnet / Une part de la vérité du monde

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Enveloppée de tant de silences, comme quelqu'un qui en aurait fait collection (tant d'occasions où parler se serait transformé en mutisme, où les mots se seraient figés sur place, comme saisis, gelés, arrêtés net par quelque maléfice et rendus transparents - et ce serait cela, le silence, cette transparence des mots tout à coup imprononçables, impossibles à saisir, non pas disparus, toujours à portée des lèvres, mais la bouche se refermant sur le vide, claquant comme la gueule d'un chien sur un rêve d'os à ronger, ou bien - mais beaucoup plus terrible, alors - les mots comme ces corps dont la déflagration atomique n'a laissé sur les murs que l'impact incrusté, corps qui ne sont plus que formes, formes qui ne sont plus des corps, mais un vide de chair), comme si avec le temps elle avait fini par apprendre à se border de la douceur de ces silences, à s'en faire houpelande, elle, tisseuse de silences comme d'autres de fils de lin ou d'or, elle, vêtue de ces silences, avançant au milieu d'eux comme une reine dans les plis de sa traîne, ni fière, ni timide, la traîne comme une part inévitable d'elle même, reine tisserande justement, brodant et rebrodant sans cesse, sans s'astreindre, comme Pénélope, à défaire chaque soir l'oeuvre de la journée, mais tissant, elle, trame sur trame, épaisseur sur épaisseur, tissage de silences finissant par faire chair, par faire corps sans pour autant faire cocon, puisqu'elle semble, mystérieusement, avoir clairement conscience du stade à ne pas franchir, du silence qui serait de trop et dont elle ne pourrait plus sortir. De là, sans doute, cette marche du bout des pieds, comme en retrait du pas qu'elle vient de faire, prête à le retirer, à l'effacer (non, ce n'était rien, pas grand'chose, rien de bien important), mais ne le retirant pas, le laissant, là, au milieu s'il le faut, et préparant déjà quelque part au fond d'elle le pas qui va suivre, aussi timide que le précédant, mais aussi décisif, sans retour possible, pas s'ajoutant au pas pour donner ainsi mouvement à cette trame de silences qui auraient pu l'étouffer, devenir nasse, piège, mais dont elle a su faire matière, quelque chose, peut-être, comme un gros de Naples ou de Tours, ces sortes de taffetas épais, tissus de soie à gros grain dont elle aurait pu faire son vêtement naturel, sa peau, toute une épaisse peau de silences tissés qu'elle emporte avec elle : Demain je ne viendrai pas, j'ai trouvé un stage, je commence....