Michel Butor / Une partition littéraire
Traversée du livre Description de San Marco de Michel Butor (Gallimard, 1963)
par Dominique Hasselmann

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Musiciens évoqués : Henri Pousseur , Jean-Yves Bosseur , Giovanni Gabrieli

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Ah ! La gondola, gondola ! – Oh ! – Grazie ! – Il faut absolument que je lui rapporte un très joli cadeau de Venise ; pensez-vous qu’un collier comme celui-ci lui ferait plaisir ? Mais oui, c’est lui ! C’est bien lui ! Décidément, on rencontre tout le monde ici ! Garçon ! Garçon ! Cameriere ! Un peu de glace s’il vous plaît ! - Oh ! - Et vous, où êtes-vous logés ? Vous n’avez pas eu trop de difficultés ? (page 10)

Ce qui frappe, lorsqu’on entre dans la basilique San Marco à Venise, ce sont d’abord les pavés qui composent le sol incliné. Une déclivité cabossée qui se dirigerait vers les eaux de la lagune, pour les refouler, si elles venaient à y pénétrer, hors de ce lieu saint. Et puis, la résonance des voix des visiteurs, même quand ils chuchotent... Ici, le silence religieux, de mise en ces lieux de prière, devient artistique : audible, car lacéré en permanence.

La basilique, consacrée en 1094, qui est le point d’ancrage des touristes sur la place Saint-Marc, flanquée du campanile érigé jusqu’à 96 m de hauteur au IXe siècle, est abondamment dépeinte et scrutée dans les guides pour voyageurs de toutes sortes.

Mais la Description de San Marco de Michel Butor se donne une autre ambition : car elle met tout l’édifice en musique, le rend à son histoire qui devient poème mythologique, et redessine son architecture jusqu’à la faire tenir, comme en réduction, dans un livre au format 18,4 cm X 23,4 cm. Un plan dépliable est même fourni en annexe...

Par le découpage même du livre en cinq chapitres, qui figurent à la fois les piliers de l’œuvre (La Façade, Le Vestibule, L’Intérieur, Le Baptistère, Les Chapelles et Dépendances) et l’architecture en forme de croix du monument construit en cinq parties, Michel Butor nous entraîne dans une découverte où les mots deviennent des sons, où les paroles s’apparentent à des notes, où l’espace de l’édifice imposant, surmonté de ses cinq coupoles byzantines, est parcouru en quadriphonie par les mille réflexions qu’il suggère en raison de sa beauté qui a traversé le temps, et qui se réfracte toujours sur les mosaïques de marbres polychromes qui enrichissent le pavement.

Dédicacer son livre « À Igor Strawinsky pour son quatre-vingtième anniversaire», était-ce présomptueux de la part de Michel Butor ? Mais le Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli (Gallimard, 1971) paru la même année que la mort de l’auteur du Sacre du Printemps a la puissance de l’aimant que représente la musique pour Michel Butor : défi de la fondre dans la littérature, de transformer les notes en caractères et les portées en lignes d’écriture, de transformer un livre en une partition littéraire, qui se scande, se module et se rythme.

« Partition » musicale mais aussi division, éclatement, séparation : chacun joue en effet sa propre partition, et l’harmonie naît de la manière dont l’écrivain agence alors ces multiples voix, regards, mosaïques, statues, peintures qui se mélangent pour aboutir à une cosmogonie instantanée et fugace, retranscrite sur le papier dans un désir de « fixation », au sens photographique du terme.

« Les eaux !
Quel livre !
Dans la basilique, toute l’histoire du monde formant une boucle. »
(page 27).

San Marco est cette image sonore qui ressemble à une musique répétitive contemporaine.
La phrase, comme on cite « le phrasé » d’un musicien, est alors le vecteur impérieux qui vient jusqu’à nos oreilles après avoir atteint nos yeux. Dans Mobile (Gallimard, 1962), Michel Butor avait déjà défait toutes les structures narratives traditionnelles pour aboutir à un « road-book » qui reflète sa traversée des Etats-Unis : défilent les photos et les « news », les publicités et les stations-service, les dialogues, les trains, les voitures... De cette Etude pour une représentation des Etats-Unis à la Description de San Marco, il n’y avait plus qu’un océan à traverser. Représenter, décrire, et écouter...

Et se retrouver devant La Façade de la basilique.

I. La Façade.
La composition (française, musicale, typographique !) de Description de San Marco s’appuie sur un découpage qui se veut reflet de son objet même, et, au-delà, de l’univers dans lequel il est inscrit : « Le chiffre de cinq parties permet une structure très enveloppante. (...) Ce chiffre est lié à notre espace. Ce n’est pas un hasard si nous pensons la terre comme divisée en cinq continents. (...) (L’Arc N°39, page 21).

Cet entremêlement des voix, des bruits, des images dans les cinq chapitres (à entendre au sens religieux ?) du livre, semblable également au Canticum Sacrum de Strawinsky auquel Michel Butor se réfère, découpé lui aussi en cinq parties, se veut miroir de son objet sonore et animé.

De cette bruine de Babel, de ce constant ruissellement, je n’ai pu saisir que l’écume pour la faire courir en filigrane de page en page, pour les en baigner, pour en pénétrer les blancs plus ou moins marqués du papier entre les blocs, les piliers de ma construction à l’image de celle de Saint-Marc.
Les cinq portes, les cinq coupoles. (
page 13).

Le découpage lui-même utilise trois types de textes : le « ruban de dialogues », avec ses caractères en italique, qui nous fait entendre les exclamations des touristes, leurs interrogations, leurs émerveillements ; le récit, en caractères « romains », évidemment, du « guide » amateur Michel Butor disant « je », comme une caméra subjective qui accomplit son travelling (steadycam) à l’intérieur des différentes salles (et piliers !) de la basilique ; et les citations latines, entourées de grandes marges, les traductions de la Bible de Jérusalem, et l’évocation précise de la décoration.

La Façade :
Et tous les cris, toutes les conversations emportées dans ce mouvement, dans cette houle de foule, dans ce lent tourbillonnement, ces fragments de dialogues que l’on saisit, qui vont, viennent, s’approchent, tournent et disparaissent, montent, s’engloutissent, transparaissent les uns dans les autres, s’interrompent les uns les autres, glissent dans toutes les langues, éclats, relents, avec des thèmes qui émergent, s’organisent en cascades, canons, agglomérats, cycles.
pas vous tromper, vous prenez le vaporetto jusqu’à la station San Barnaba, vous vous enfilez dans la ruelle à droite, et c’est à deux pas. – Garçon ! Garçon ! Cameriere ! Deux jus d’orange, s’il vous plaît ! – Mais oui ! C’est lui ! C’est bien lui !
(page 12).

C’est pourquoi, écrit Michel Butor, « La façade doit donc être étudiée non point comme un mur de séparation, mais comme un organe de communication entre la basilique et sa place, une sorte de filtre fonctionnant dans les deux sens, et que le vestibule complétera. Déjà la place est un espace fermé, avec ses pores tout autour, mais une seule grande fenêtre, celle qui donne sur l’ouverture du Grand Canal. La façade de la basilique va émettre des avant-postes pour bien marquer la continuité. » (page 15).

Voyage obligé, les jeunes ou moins jeunes mariés vont jusqu’à Venise. C’est la sanctification officielle de l’union conjugale, la bénédiction par la ville elle-même, ses églises, ses canaux, ses rues étroites, ses restaurants, ses chansons... du couple qui se conforme à une sorte de daguerréotype sépia par lequel il faut passer : comme Rimbaud se faisant photographier par Carjat, il est d’usage de se faire tirer le portrait devant le Pont des Soupirs ou, sur la place Saint-Marc, attablés au café Florian.

Ceux qui viennent pour leur voyage de noces, ceux qui viennent pour se rappeler leur voyage de noces, ceux qui n’avaient pas pu se payer le voyage lors de leurs noces, et qui, aujourd’hui, enfin, comme les affaires ne marchent pas trop mal... Toutes ces alliances, toutes ces bagues, toute cette poussière d’or qui saupoudre la foule.
frappé ! et une cassata ! – Regardez ce verre vert, un peu irisé, sur la deuxième étagère, non, pas celui-là, un peu plus loin. – A vrai dire, moi, oui, je crois que j’aimerais mieux celui-ci. - C’est lui ? Mais oui ! C’est bien lui ! Décidément, on rencontre tout le monde ici ! - How do you say in italian a glass ? – Et vous où
(page 13).

Vue du café Florian, la façade de la basilique est somptueuse. Elle attire immanquablement le regard comme une sorte de gouffre dans lequel pénétrer, avec, par précaution, une lampe frontale pour se diriger dans ses méandres propices à une camera obscura.

Laissons tomber la pluie sur tous ces marbres, la pluie chassant, noyant les paroles de la place, les intégrant à son murmure... (page 24).

 

II. Le Vestibule.
La caméra à double focale de Michel Butor avance dans le Vestibule, dans le saint des saints. L’écrivain est à la fois cadreur et preneur de sons.

« Entrons. Le murmure de la foule s’atténue. A droite, la première coupole.
Ombilic : bleu profond moutonné d’or des eaux de l’espace avant le premier jour.
Pas seulement une architecture de briques et de marbres, et de petits cubes de verre, mais une architecture d’images, mais une architecture de textes. De tous les monuments d’Occident, peut-être celui qui comporte le plus d’inscriptions.
»
Les mosaïques représentent des animaux : « Appelavitque Adam nominibus suis. « L’homme donna des noms à tous les bestiaux. » Le lion près de sa lionne, le cheval avec sa jument, le dromadaire et sa femelle, le renard avec sa renarde, un couple de léopards et un couple de hérissons. »

Ce bestiaire est à terre : on le foule avec douceur. On n’écrase pas ces bêtes antiques.

« Venise, avec son contrôle du commerce barbaresque, avec son ghetto, ses liaisons avec les royaumes terre ferme, comme point de convergence des groupes dispersés à Babel. Orgueil, audace de Venise, la basilique et son campanile comme lieu où les langues viennent se retrouver, les différents peuples s’entendre, la ville de la Pentecôte.

Mosaïques datées du tout début du XIIIe, juste après la quatrième croisade, on peut en retrouver le style dans celles de l’abside de Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome, exécutées, selon un document de 1217, par des artistes vénitiens.
Tu as vu cette femme aux lèvres rose-rose ? – Vous savez où est la Ca’ Foscari ? – Je pars pour Ravenne. – Et comment avez-vous trouvé le concert hier ? – J’étais persuadé que vous vous... - Les nuages. – Comment, vous n’êtes pas
(page 46).

Michel Butor se pose alors la question :
Comment creuser le texte en coupoles ?
Comment réaliser une nappe de texte qui passe d’épisode en épisode, de détail architectural en détail ?
(page 46).

Comment la littérature peut-elle rendre compte de l’architecture (sauf à ne mettre dans le livre qu’un plan de la basilique, et à chacun de s’y déplacer, en le surplombant) ?

Mais si cette architecture unique vient à englober des milliers de personnes venues l’admirer, la contempler ou essayer de la comprendre, comment adjoindre à cette procession incessante le bruit des pas, le raclement des gorges, les rires, les soupirs, le bruit des déclencheurs d’appareils photos clandestins, les pleurs d’enfants à cause du noir ?

Intégrer tous ces phénomènes acoustiques dans une incursion quasi spéléologique en une immense caverne platonicienne : tel est bien l’enjeu de Description de San Marco .

Car cette basilique est faite, depuis des siècles, pour être peuplée et non désertée. Elle est construite au large : les pèlerins peuvent s’y rendre comme les incroyants, les impies, les athées, les fantaisistes, les curieux, les amoureux, les adeptes du tourisme culturel...

 

III. L’Intérieur.
Maintenant, Michel Butor poursuit son itinéraire, de manière géométrique.
Je suis monté à l’intérieur du mur. Je vais faire un second tour de l’église à mi-hauteur, par les galeries, profitant des autorisations qui m’ont été accordées du fait que je préparais ce livre ; mais je vais le faire en sens inverse, commençant cette fois par le nord. Je caresse le doux marbre poli de la rambarde, non point glacé et écrasé par une meule, mais voluptueusement usé ; je flatte de la paume les boules qui la surmontent, enjambe les énormes tirants de fer qui consolident la construction.
En enfilade, les percées au milieu des piliers carrés, comme des portes suspendues en plein espace.
Les trous de tous côtés, viviers, piscines, remplis des poissons de la foule.
Les transennes rapportées de Constantinople, encastrées dans la balustrade, les petites têtes qui la soutiennent.
Les gens en bas s’agglomérant, se dispersant, passant de case en case sur l’échiquier de marbre, leurs voix montant, se mélangeant, chuchotements, soupirs, caresses :
- It’s nice ! – Vous prenez le vaporetto jusqu’au Rialto. – Tu es belle. – De
(page 75).

San Marco, vue de haut : le murmure monte maintenant vers l’auditeur privilégié. Il dispose d’une perspective plongeante, comme celle d’un Dieu regardant ses ouailles batifoler, mais dans le respect des conventions terre-à-terre.

Au bout de la galerie, une porte en général fermée, par laquelle on passe à la tribune du nord ; puis, par une autre galerie, j’arrive à la tribune au-dessus de la chapelle de saint Pierre, à gauche du chœur. Un orgue et un autre orgue dans la tribune en face, au-desus de la chapelle de saint Clément, et un troisième sous la rose.
Et que la musique soit !
« Toute une école de musique s’est développée à Saint-Marc, utilisant les dispositions remarquables de l’édifice, composant avec plusieurs chœurs de voix ou d’instruments, disposés à des endroits choisis pour qu’ils se répondissent ou fissent écho, réalisant une polyphonie spatiale dont nous commençons seulement à retrouver les secrets :
Andrea Gabrieli :
Madrigali e ricercare aquattro voci,
Venetia, 1589
Giovanni Gabrieli :
Sacrae Symphoniae... senis 7, 8, 10, 12, 14, 15
et 18 tam vocibus quam instrumentis,
Venetia, 1597. (...)
Igor Strawinsky :
Canticum sacrum ad honorem sancti marci nominis,
Venetia,1956.
Les Allemands du XVIIIe siècle héritèrent de ces inventions qui parvinrent ainsi jusqu’à Bach. (page77).

Ici, Michel Butor rassemble, de manière anticipatrice, l’espace et la musique : la basilique San Marco est en effet, au vu (ou à l’entendu) de ses dimensions, un exemple de ce que l’on appelle maintenant, notamment dans les recherches de l’Ircam à Paris, les phénomènes de « spatialisation du son ».

Ou comment transformer une salle de concert en un foyer multiple et inouï de résonances et non pas diriger vers des auditeurs assis dans des fauteuils en rangs d’oignons la source unique que représenterait, de manière immuable, l’orchestre sur scène.

Il n’est donc pas étonnant que Michel Butor se soit lié à des compositeurs de musique contemporaine pour créer un certain nombre d’œuvres, notamment :
Avec Henri Pousseur : « Votre Faust » (1960-1968) ; « Répons » (1960-1965) ; « Le procès du jeune chien » (1974-1978) ; « La rose des voix » (1982) ; « Déclaration d’orages » (1989) ; « Les leçons d’enfer » (1991) ; « Le Sablier du Phénix » (1993).
Avec Jean-Yves Bosseur : « Portrait d’Albert Ayme » (1980-1981) ; « Les Tarots-musiciens » (1983) ; « Cheminement au ras du sol » (1984).
Michel Butor s’est aussi, comparant la plume et le pinceau, frotté à la peinture avec Pierre Alechinsky : « Matériel pour un Dom Juan » (1977), « Au fur et à mesure » (1994), « La plume » (1995).
Cette polyvalence : littérature, musique, peinture, et aussi photographie, télévision, cinéma... montre combien Michel Butor a voulu se dégager d’un carcan qui serait purement scriptural, et comment il a essayé de faire se rencontrer tous ces arts dans une sorte de fusion, de répartition artistique qui serait bien entendu encore la littérature, mais « sa » littérature.

Avec une empreinte indélébile.

Au-dessus de la grande tribune, conclusion de tout cela, le Jugement universel, paradis au sommet, et, par la grande baie, ce qui devrait être une figure de la Jérusalem céleste, Venise, le ciel de Venise. (page 89).

 

IV. Le Baptistère.
En face, la porte vitrée fermée à mailles de bronze, qui donne sur la piazza, entre les deux piliers rapportés de Saint-jean d’Acre. A gauche, le palais des Doges ; en face la colonne de saint Marc et celle de saint Théodore, les proues coupantes des gondoles se balançant, les pieux auxquels on les accroche, l’eau, le miroitement de l’eau, le vaporetto qui passe, les tables des cafés devant les arcades de la bibliothèque, les Américains, les Anglais, les Allemands et les Français, les Italiens, les Vénitiens, les Africains, les Asiatiques.
Quelle région ? – Belle – Par ici – Tais-toi – Et cela ? – Je t’aime – Très ? – Fatiguée ? – Tu as vu ? – Really ? – Dahlia – Noir bleu – Un palais !
Au sommet de la coupole, le Christ assis sur l’arc-en-ciel double.
(page 95).

Dans le baptistère, les remarques vont bon train. Les douze apôtres baptisent chacun une nation. Sur les pendentifs, les quatre Pères de l’Eglise grecque : Sanctus Johannes Chrisostomus, Sanctus Gregorius Nazianzenus, Sanctus Basilius Episcopus, Sanctus Athanasius.

dawn. – Fatiguée ? – Meravigliosa ! – Vous croyez... - Un pigeon. – L’eau. – Tu es belle. – Bella donna. – La lumière. – L’or. – Really ? – Ciel de février.

Le chapitre Le Baptistère ne compte que dix pages, et le dernier à venir, sept. La visite touche à sa fin. Le bruit des voix enfle à mesure que la fin approche : on fait des projets, la parole l’emporte sur l’examen des fresques ou des inscriptions sur les piliers.

Cette musique vocale en acte recouvre la musique des images séculaires ; les uns chantent presque, les autres sont immortalisés dans leurs poses immobiles.

- Touristes. – Dentelles – Je t’en prie. – Et cela ? – Robe cramoisie. – L’amie Salomé ! – I couldn’t imagine ! – Tu as vu ! A Roma...- L’ami Marco ! – Le ciel de septembre. Roselina. – Vous suivez la calle larga di San Marco... - Je viens de Vienne. – Je viens de Belgrade. – Je viens de rencontrer la... (page 101).

 

V. Les Chapelles et dépendances.
Inondée tous les ans, la crypte sous la basilique a été rendue étanche.

Le plus beau musée d’objets byzantins, la plupart adaptés, transformés.
De quelle époque ? – Ce verre ! – Enchanté. – Mademoiselle ? – Ardent. – Si affreuses ! – Des Espagnoles. – Tu les as vues ? – L’amie Thérésa-Rosa ! – Je viens d’Istambul. – Grazie. – Il faudrait... - Je pars pour Aquiléia. – De
(page 103).

Maintenant, Michel Butor prend de la hauteur, il escalade.
Pour monter sur le toit, il faut prendre un escalier à droite du chœur. Le toucher du plomb sous les pas. Les grandes chevelures sinueuses que la pluie a dessinées sur les coupoles. Les nœuds de poutres à l’intérieur. Les cercles de fer installés par Sansovino pour empêcher leur écroulement, renouvelés deux fois depuis.
Tout en haut, les croix complexes, chacune tendant
vers toutes les directions de l’espace vingt-sept boules dorées, telles des gouttes de pluie suspendues en globe au-dessus des pointes. Un petit drapeau de métal cherchant le vent.
L’envers de toutes les statues. Entre les dos, les colonnes, les vagues, les vagues, dos, et colonnes des places.
- Comment dit-on en italien des bas-reliefs ? – Des Tunisiens. – Jérôme est avec vous ? – Un café. – Vieille famille vénitienne... - White pearl. – Magnificent ! – Moi, j’aimerais mieux celui-ci. – Il vous plaît ? – Un pigeon. – Ici vous avez la librairie de Sansovino. – Giovanni ! – Lumière. – So wonder... - Vous croyez
(page 109).

La vue est devenue panoramique. Michel Butor regarde circulairement ce paysage urbain et aquatique, ces édifices qui ont bravé le temps, les guerres, et s’en sont sortis indemnes. Les touristes viennent admirer ce miracle.

Ils apportent avec eux leurs commentaires, ignorants ou lettrés, mais ils joignent leurs voix à toutes celles qui, dans le passé, ont déjà reçu leur écho à l’intérieur de ce monument sacré.

Des ombres de visiteurs sont peut-être encore cachées derrière certains piliers. Le garde suisse veille toujours à ce que les jeunes filles et dames gardent leurs épaules couvertes. La basilique demeure, quoi qu’il arrive, décente.

Et son ventre maternel accueille indifféremment les personnes de toutes nationalités : avec une préférence pour les accents chantants !

La basilique San Marco, dans sa description par Michel Butor, est une musique mosaïque.
Un dernier rayon sur l’or.
L’eau.
Nuit d’eau d’or.
(pages 111 et 112).