Dominique Dussidour / Maï Mam, Honey Money |
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Chacun a besoin dune
maï mam.
Dépités par les ciels bas
et haut, maï mam et saï honey money embarquent vers les îles
Dessous-le-Vent-des-Berges. Saï honey money tombe à leau
au large de Vancouver - quest-ce qui nage jusquau rade de
Brest ? Maï unique mam. Javais maï mam, pleure une ô maï mam sauf que - le rade de Brest est fermé le dimanche saï maï mam y pratique lamour en blanc - on écrit la somme quon a le besoin - endossable encaissable telles la cruche de vin blanc et la corbeille de moules - inépuisable lamour de saï maï mam aux noces canailles du rade de Brest couche-toi my fille, me dit maï mam
et elle : compote dabricots et riz au lait, le riz au lait est bon pour ta santé jaime la santé quand jai mal aux dents maï mam memmène chez saï dentiste. Saï dentiste sappelle Ciccia Jésusalem. Cest une expansion de saï honey money, une épaisse femme blonde qui pleure son père avec des larmes, aux gestes pas très délicats, qui anesthésie les gencives et les racines avant dattaquer à la roulette du fait que maï mam assise dans le fauteuil en skaï bleu la surveille du coin de lil. Il y a aussi saï boucher, saï fleuriste, saï marchand de journaux, saï tabac - maï mam les surveille tous. Sils sont peu aimables avec moi - couic. Grâce à maï mam, tout le monde maime. Ciccia Jésusalem dit : " Depuis que ma mère est morte, ma banque sempresse à la remplacer. Elle me conseille les prêts et les déprêts. Elle mécrit les enlevés et les relevés. Elle me téléphone les découverts et les découvertes. Mais rien ne vaut une mère. " Ma bouche grande ouverte empêche que je hurle la douleur : rien ne vaut une banque. Les entreprises fonctionnent comme ça : elles embauchent de préférence des mères célibataires et des mères divorcées qui acceptent de travailler pour des bas salaires parce que ces maï mam ont vraiment besoin de freak. On aurait toujours saï mam - on se délite avec saï honey money. Lamour de maï mam me tient chaud. Quand maï mam se noie trop longtemps dans les verres du rade de Brest je me couvre le corps avec les billets de saï honey money, des billets en toutes lettres et couleurs. Quand maï mam sattarde trop longtemps derrière le comptoir du rade de Brest les billets réchauffent mon cur fragile - comme le papier-journal, dit Sam -, les billets qui rembourrent les matelas, les billets confortables. Un jour un chanteur quon appelle Serge Gainsbourg a brûlé dans la télévision un billet de saï honey money. Les billets se défroissent avec une patte-mouille, au repassage. Le midi je rejoins Ciccia Jésusalem et on déjeune ensemble dans un bistrot nanti de la place Léon-Deubel. Ciccia Jésusalem me raconte des histoires de quand elle et maï mam étaient jeunes. Dentiste, cest ce que voulait faire Ciccia Jésusalem depuis. Elle la fait parce que son père était dentiste et il est mort. Il lui a tout appris. Elle a pas fait les diplômes mais daucuns ne le savent. Ils se faisaient soigner les dents par le père, un jour ça été par la fille, ils ont rien réclamé - cétait plus rapide que partir à la recherche dun autre cabinet, dont on connaîtrait mal ladresse plus loin, etc. Ciccia Jésusalem avait suffisamment vu son père travailler dans les bouches grandes ouvertes pour savoir à son tour. Et maï mam, je demande, elle voulait faire quoi quand elle était jeune ? Elle voulait être vieille, cest tout. Alors elle a réussi sa vie ? Oui, se réjouit Ciccia Jésusalem. Comme moi. Toi tu veux faire quoi ? Juste rester seule avec my dents et saï honey money. Les billets de saï honey money cest rien que du papier imprimé dargent. Pas facile de tracer des lettres dessus. Jessaie décrire sur le papier qui brille ça glisse. Et on na pas beaucoup de place entre les pleins et les déliés. Mais ça encore... Je calcule. En noircissant le recto et le verso on arrive à une page de roman de trois cents mots (dix mots par ligne et trente lignes par page selon Ernest). Deux cents feuillets = deux cents billets. Deux cents billets de dix euros = deux mille euros = soixante-cinq mille francs et des broutilles cher marquis. Cher le roman ! soupire Ciccia Jésusalem. Tu veux écrire un roman ? Zéro le roman ! Ou tâter un peu de lirrationnel des nombres ? Tu as déjà saï honey money - pas besoin décrire kif-kif roman. Ciccia, raconte-moi une histoire de quand vous étiez jeunes maï mam et toi. En ce temps-là commence Ciccia Jésusalem, nous allions vers Alome tous les samedis soir et Alome venait à nous. Il descendait de ses collines pour nous voir spécialement taï mam et moi. Taï mam et moi on était des petites malignes. À lheure où Alome arrivait on traînait encore sous les pis des vaches. Il simpatientait de nous voir lambiner, cest lui qui finissait la traite. Ca lexcitait, ces pis de vaches dont il serrait la pointe entre ses gros doigts. Ca nous excitait, ces gros doigts qui serraient des pis vachards. On enfourchait une vache, on sasseyait à califourchon lune en face de lautre, on ouvrait nos corsages et on se pinçait les seins. Alome rougissait, suffoquait, nous traitait de traîtresses. Mais nous, taï mam et moi, pas folles, cest pas avec lui quon destinait nos nuits. Lui on le destinait seulement à nous conduire au bal dHannibal. En ce temps-là recommence Ciccia Jésusalem, les paysages dégoulinaient. Les marées blanches débordaient des chaussées, les étoiles et les semelles sy engluaient, il fallait tendre des guirlandes de rocher à rocher pour se rendre où que ce soit. Les choses navaient pas adopté leur place. Elles la rodaient et si tu occupais celle que la chose envisageait, couic - en ce temps-là les routes enroulaient et déroulaient sous nimporte quel angle. Ah pourquoi tu me fais raconter ces saletés de passé ! Maï mam me raconte jamais rien. Dans le temps dans la rue maï mam doit me représenter. Quantité dinconnus se souviennent pas de moi ou peut-être ils enragent maï mam. Voilà my filiation, vous la connaissez ? Non, mais enchanté. Voilà my ayant droite, vous la reconnaissez ? Non, mais ravi. Maï mam me néglige certes pas, quand jétais petite elle me transportait dans un sachet en papier et elle ne moubliait jamais. Elle ne moubliait pas quand elle partait en vacances. Elle ne moubliait pas quand elle allait à la messe. Elle ne moubliait pas quand elle allait à la piscine. Quand je criais trop de ses transports elle fermait le sachet jusquà ce que mes cris métouffent. Un jour mes cris ont déchiré le papier et elle a remplacé le sachet par une pochette en plastique. Quand elle arrivait à la piscine elle vidait la pochette en plastique dans le grand bain. Maï mam sait toujours où je suis, même quand je sais pas moi où. Moi non plus je loublie pas maï mam à moi. Jétais accroupie sur le dévers dune très haute falaise, je voulais me jeter dans le vide. Jentendais quon mappelait. Jétais isolée trop énervée pour apercevoir les visages den bas mais jentendais les voix. Eh, chose. Eh, truc. Eh, machine. Jaimais ce vertige de la distance. Jaurais voulu être coquillage fossilisé sur un rivage, jétais que pierre qui dérapait sous chaussure cloutée, je tenais à rien quoi. Alors maï mam a entassé les liasses de saï honey money les unes au bout des autres et elle ma sauvée, elle a construit un pont. Vous croyez quon peut vivre sans
maï mam ? Maï mam est née avant moi. Cest rien. Maï mam est morte avant moi. Rien non plus. Maï mam née et morte avant moi je résume : maï mam la prem partout. On aurait pu se croiser pas. Il aurait suffi quelle écrive mon nom sur une addition défroissée du rade de Brest - mais non, il a fallu quelle sattarde de mon vivant, il la fallu, il la bien fallu. |