Albane Gellé / crédible et authentique (les deux)

dossier préparé en collaboration et amitié avec Jean-Jacques Le Roux et Yann Dissez (Rennes, le Triangle) -
nous sommes particulièrement heureux de mettre en ligne le journal tenu par Albane Gellé dans sa résidence d'écriture à la tour du Blosne (Rennes), croisement du regard de l'écrivain et d'une réalité sociale complexe et dure

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Albane Gellé © Ouest-France
l'effet froissé n'est pas volontaire, mais la touche quintecento convient bien au poète!

Albane Gellé en résidence cité du Blosne à Rennes

La réalité est plus vaste que ce que nous croyons, ci-dessous, présentation de la résidence, par Jean-Jacques Le Roux, Rennes, Le Triangle, plus bio express et biblio complète

exclusivité remue.net : le 27 septembre 2002, et les jours qui suivent
notes inédites d'Albane Gellé sur sa résidence au Blosne

sur Inventaire/Invention, la suite de portraits et le livre, Quelques (en lecture intégrale, mais on peut le commander - en vente aussi dans les bonnes librairies, accompagné d'un CD audio, Quelques lu par l'auteur)

pour découvrir le style Albane Gellé, L'air libre, un extrait

Le Triangle sur remue.net : Joël Hubaut et bien d'autres y ont déjà été accueillis

on propose aussi la relecture des cafés parlés de Leslie Kaplan (2001), au même croisement de la parole, de l'écriture, du réel

autres liens : Albane Gellé avait reçu de la ville de Boulogne-sur-mer le prix Découvreurs de poésie en 2003, extraits, entretien

contact et courrier Albane Gellé ou Jean-Jacques Le Roux possible via le site

La réalité est plus vaste que ce que nous croyons
par Jean-Jacques Le Roux

Un lieu culturel qui joue hors les murs, dans le quartier où il est implanté, un immeuble animé par un collectif d'habitants et savamment orchestré par un gardien à l'accent toulousain, une auteure en quête de réel... Tels sont les ingrédients qui auront conduit à "Quelques".

Pas en terrain conquis, mais plusieurs années à croiser les habitants avec des artistes : Erwan Mahéo, plasticien en résidence dans un appartement du rez-de-chaussée, Lucien Suel à propos de l'instant T et d'une résidence d'auteur, lectures, rencontres, échanges, cafés, bla bla ont jalonné ces années.

Le projet d'écriture s'est construit avec Albane Gellé sur la base de rencontres sous forme de rendez-vous avec chacun, chaque famille, dans les moments d'après-midi ou de soirée... Autour d'un café, d'un biscuit, dans le silence d'un appartement vide, entre les bruits du dehors ou les discours fleuves de la TV allumée en permanence, s'amorce un échange où se raconte la vie d'ici, celle de tous les jours, celle d'hier et aussi les espoirs pour demain. A travers ces (ses) paroles, l'hôte se livre peu à peu, se dévoile doucement pour laisser affleurer l'intime.

Albane Gellé a choisi de s'immerger au cœur de cette parole. Elle a choisi de ne pas noter, de ne pas écrire, de ne pas enregistrer... Toute entière disponible, se laisser bercer, happer par cette parole pour en saisir toute la préciosité tout en sachant que déjà un filtre se met en jeu.

1 heure, 1heure _, parfois plus : lancée, la parole ne cesse pas aussi facilement... On a envie de raconter, se raconter, encore, et encore…

Alors, Albane redescend. Elle descend les étages de l'immeuble et descend dans sa mémoire.

Alors seulement, au "Sofia", le café du petit centre commercial, un peu à l'abri du brouhaha extérieur, elle couche sur le papier ses impressions, ce qu'elle a retenu, ce dont elle a souri, ce qui l'aura attristée, ces paroles, ces mots de rien et pourtant si vitaux du quotidien, auxquels se mêle l'ambiance du café.

Le processus d'écriture, pour nous lecteurs privilégiés, s'est caractérisé par une épure dans cette mémoire couchée sur le papier…Logique si l'on se représente le premier jet comme une matière première jetée sur le papier. Il aura fallu compacter, triturer, mélanger jusqu'à ce que le poème trouve son équilibre propre, au cœur de sa forme, sans rien céder au réel. Il aura fallu s'arracher à ses paroles trop proches pour y retrouver une écriture.

Laisser décanter aussi pour que se dépose le sens des choses et des moments. Peut être est-ce de cela dont il s'agit : un précipité de vie ?

Le livre donne vie à une histoire. En passant de l'individuel au collectif, l'écriture renvoie chacun à un espace collectif, presque celui de la communauté. Les paroles personnelles se disloquent et s'agrègent pour faire naître du commun. Au-delà du souvenir, l'écriture comme avènement d'une mémoire.

Le poème devient un équilibre. Une tension entre la forme qui le fait exister, et le monde, dont il rend compte et pourtant qu'il déplace - double enjeu : à la fois résister au réel et y creuser un interstice : écrire ce qui ne peut se dire, témoigner de ce qui ne se voit pas.

Car ces trente-deux poèmes sont étonnamment sensitifs. Les regards, les odeurs, les bruits, sollicitent nos sens et les mettent en éveil pour nous renvoyer régulièrement à l'instant de la rencontre et aux images qui l'accompagne.

Plusieurs lectures et rencontres avec les habitants de l'immeuble jalonnent cette résidence, pour témoigner, laisser entendre. Non pas dévoiler, expliquer un processus d'écriture (dont l'auteur lui-même serait peut-être bien en peine de donner l'explication) mais plutôt livrer des étapes à l'oreille, faire entendre pour que se fasse sentir le lent cheminement de l'écriture... On écoute un texte que l'on a la sensation d'avoir déjà écouté et pourtant ce n'est plus la même chose... Parier sur le sensible pour mettre en éveil plutôt que sur l'explication.

Ensuite, l'attente.

L'auteur est parti, avec les mots. Ici, il nous faut continuer à raconter l'histoire qui se construit, anticiper. La rencontre avec l'éditeur, le manuscrit retenu, dire que c'est long mais que si, donner des nouvelles, faire que cela continue à vivre pour ne pas donner l'impression d'avoir volé ces mots. Il faut que cela revienne ici.

Et puis le livre.

Voir les personnes manipuler respectueusement ce petit ouvrage, n'osant pas l'ouvrir, le soupesant, objet étrange et attirant à la fois, sûrement précieux... Comme si on n'avait pas cru qu'un livre puisse sortir de cette aventure, qu'un livre pourrait s'écrire là, ici et parler de ça (de nous). Sûr qu'il sera en bonne place, (premier livre de poésie ?) pour passer de mains en mains... et dédicacé avec ça !

Une soirée - dîner poétique (spécialité Triangle !). On grignote, on écoute. Entre convivialité et attention soutenue, on se régale aussi du poème. Antoine Emaz, invité, témoigne de son ressenti avant de lire quelques extraits de "K.O.", fraîchement édité aussi. 70 personnes dont 40 de l'immeuble en question. On échange à mots choisis sur ses perceptions, sur ce que cela raconte, on hoche la tête comme pour acquiescer.

Aujourd'hui, distribué le livre avec Georges D, le gardien.

Fin d'une histoire ? Début d'une autre ?

Dans tous les cas, repousser les frontières du possible, du réel… La réalité est plus vaste que ce que nous croyons.

Au cœur de tout cela, raconté ici presque comme une évidence, demeure une énigme...

Un poète, des personnes, un immeuble, un gardien (et quel gardien !) pour un carrefour improbable et pourtant... "Quelques," comme un aimant, rassemble la limaille d'une vie collective, comme un tamis, retient entre ses mailles ce qui ne s'enfuira plus.

© Jean Jacques LE ROUX

L'air libre (extrait)
il y en a ils travaillent dur ils ont beaucoup de responsabilités ils veulent commander ils marchent vite ils ne font jamais de surprise à personne ils n'ont pas le temps il y en a ce qu'ils aiment c'est voyager aller partout dans le monde changer d'air de paysage courir dévaler les pentes se saouler boire des visages il y en a d'autres ils passent presque inaperçu ils ne veulent pas déranger ils font leur vie sans rien demander d'autres qui aiment argumenter discuter peser le pour et le contre analyser les causes les conséquences d'autres encore ils aiment flâner rêver marcher se taire sourire et puis plein d'autres c'est un peu mélangé ils veulent aimer ils sont souvent émus ils ont l'air de se débattre pour remettre de l'ordre

à propos de L'air libre, par Yves Jouan, postface à Aucun silence bien sûr
" Courte distance, discrète, intime ouverture : le décollage, en effet, n'est pas spectaculaire; la vie est juste là, à portée de regard, d'oreille et de plume. c'est cet infime-là, cette distance sans éloignement, qui vient nous offrir, à travers la vitre, le miroir ou le rétroviseur, une expérience unique du monde et de nous-même. Et c'est l'adéquation entre cette unicité et l'expérience langagière d'Albane Gellé qui fonde la syntaxe et la tonalité de cette réflexion poétique à la fois lente, posée et fragmentée."

Albane Gellé, bio express
Albane GELLÉ est née en 1971 à Guérande,
elle est maman d'une petite fille depuis janvier 2000.
Après une enfance passée à Nantes, La Rochelle, elle s'inscrit à l'université de lettres modernes de Nantes où elle réalise en 1999 un mémoire de maîtrise sur la poésie d'Antoine Emaz, auteur qui compte énormément pour elle.
Elle a commencé à écrire très jeune, et l'écriture "a fait suite pour (elle) à une blessure du langage".
A 19 ans, elle rencontre Louis Dubost, directeur des Éditions du Dé bleu, qui lui conseille de se rapprocher de la Maison de la poésie de Nantes. Elle y sera bénévole pendant quelques temps, et participe à l'organisation du Marché de la poésie de Nantes de 1991 à 1994.
En 1994, elle quitte la ville pour la campagne, et s'installe dans la région nantaise, à Oudon. Elle commence durant cette période à animer des ateliers d'écriture.
En 2001, elle décide de prendre le temps d'écrire.
A travers l'écriture, elle cherche à : "Dire au plus juste les émotions. Avec l'exigence de tenir l'équilibre entre l'intime et l'universel."
Elle choisit l'écriture poétique car, pour elle, "la poésie parle de choses qui concernent tout le monde et avec les mots du quotidien. Peut-être qu'aujourd'hui, on se rend compte qu'il est important d'aller à l'essentiel que l'on porte en soi, pour ne pas se perdre dans un monde qui va trop vite."

Albane Gellé, biblio
À partir d’un doute - Éditions Voie Publique, 1993
Hors du Bocal - Éditions Le Chat qui Tousse, 1997
En toutes circonstances - Éditions Le dé bleu, 2001
De père en fille - Éditions Le Chat qui Tousse, 2001
L’air Libre - Éditions Le dé bleu, 2002
Un bruit de verre en elle - Éditions Inventaire / Invention, 2002
Aucun silence bien sûr - Éditions Le dé bleu, 2002
Quelques - Éditions Inventaire / Invention, 2004


Albane Gellé à Rennes,cité du Blosne © Ouest-France

je réside j’habite quelque part pour écrire quelque part qui n’est pas chez moi qui le devient quand même un peu je suis attentive à ce quelque part pourquoi pour écrire je suis entre deux avec mon sac mon téléphone pas ma fille hirondelle qui a deux ans alors je parle du jour qui sépare pas celui des retrouvailles parce que je suis d’avance dans quelque chose qui sépare entre chez moi et pas chez moi l’autre chez moi entre deux non plutôt dans les deux à la fois je passe à travers les murs je pose mon sac je prends des repères je les mets dans mon sac quelque chose de moi bouge pas seulement le sac quel est le lieu finalement le lieu où vivre est-ce que je reviens sur mes pas est-ce que je fais demi-tour parce que quelque chose est là-bas d’où je viens les lieux bougent devant derrière les yeux je les accompagne pour aller où comprenez-vous maintenant les histoires d’arrachement et de rétroviseur quelle importance je cherche à être là quand je suis là oui faut pas bouger zut je bouge écrire c’est pas rien c’est pas à cette heure-là dans la chambre c’est pas tout ce qu’on avait prévu organisé les meilleures conditions possibles non ça remue qu’est-ce que ça veut dire habiter là pas ailleurs pour écrire et si ça s’épuisait et si je m’en allais demandais qu’on me détache et puis n’est-ce pas trop tôt ce présent pas encore reposé il bouge comment l’écrire et si je n’écris pas et si j’écris ailleurs et si je parle d’autre chose et si je ne réponds pas aux questions il se passera quoi dites-moi

Aucun silence bien sûr
écrire écrire comme s'il ne restait plus
rien d'autre et pourtant on n'est pas dupe

L'air libre
les gens importants ils sont tout près
autour de nous forcément

L'air libre
entre le dedans et le dehors
difficile de se maintenir au milieu
crédible et authentique (les deux)