petite contribution
à une déstabilisation de M. Jourdain 10 / Devant l'inhumain |
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ce texte répond à la chronique de Philippe Rahmy : Septembrisades
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" Mais linhumain cest encore lici " Septembrisades En effet : il ny a de parole possible que dans lévidence dune différence (" hasard ", " différence ", " divers ", dit Septembrisades ). Ce qui est aussi pour moi le propre dune fragilité. Y a-t-il en règle générale, devant la nécessité, une parole possible autre que de fragilité, laquelle sexprime dans cette difficulté récurrente où lon est, parlant, dexprimer autre chose quune espèce daporie : je ne sais que dire devant lévénement ; je voudrais dire, mais à part lévidente compassion, je ne peux rien affirmer en terme de certitude. La vérité fuit de toutes parts. Les combles danalyse sont comme les images en boucle : elles tracent des cercles vicieux dexclusion. Or la fragilité va contre la volonté où senferme toute certitude de combler la perte et son creux par la communication. Comblement sans doute nécessaire au politique pour réagir et ne pas être écrasé par la force. La fragilité ne comble pas. Elle évide. Elle ne communique pas ; elle est - voudrait être - présence. Fragilité, cest : parler de ne pas parler, comme " mourir de ne pas mourir ". Est-elle, celle-là, laporétique, la sur de
" léveilleuse ", elle dont le manque nécessaire,
je veux dire sa faille, déposséderait la force de sa force
; serait-elle porteuse de bonne nouvelle, et en ce sens évangélique
en ce quelle " sèmerait le mot tendre " (Septembrisades)
? Question de la " douleur dite qui donnerait poème " (Septembrisades) ? Je crois que oui. Le poème est cette parole où, en creux, vient la pudeur de cette douleur et son pouvoir idéal : " attirer le bourreau du côté de la parole. " (Septembrisades) Cest celui aussi de la fragilité. Jamais celui de la force. [Tout autant quen ces jours-ci de comble de violence, et donc dans des situations où ce nest plus le sang des hommes qui est versé, et où les jours coulent calme en surface, je pensais cela de lécriture dès lors quelle refuse les rhétoriques, et de lenseignement, dès quil refuse sa superbe et les poses apodictiques : oser en tout se dire, se montrer, inachevé ; refuser la force et les contraintes venues du dehors. Certains, pour cela aussi, ont accepté de risquer leur vie, leurs
vies
] Quant à la force : Comment aussi ne pas songer à Trakl, à lenfant Elis (" Il fait déjà plus froid autour de nous/ et les nuages se défont dans les lointains ", " Rencontre ") , et à ses mots à la veille de la bataille de Grodeck ? : " Es wird grausam sein : cela sera cruel "Et est-ce quil ne faudrait pas relire LIliade ou le poème de la force. Ces extraits-ci, par exemple : " Le vrai héros, le vrai sujet, le centre de lIliade cest la force. La force qui est maniée par les hommes, la force qui soumet les hommes, la force devant quoi la chair des hommes se rétracte. Lâme humaine ne cesse pas dy apparaître modifiée par ses rapports avec la force, entraînée, aveuglée par la force dont elle croit disposer, courbée sous la contrainte de la force quelle subit. Ceux qui avaient rêvé que la force, face au progrès, appartenait désormais au passé, ont pu voir dans ce poème un document; ceux qui savent discerner la force, aujourdhui comme autrefois, au centre de toute histoire humaine, y trouvent le plus beau, le plus pur des miroirs. La force, cest ce qui fait de quiconque lui est soumis une chose. Quand elle sexerce jusquau bout, elle fait de lhomme une chose au sens le plus littéral, car elle en fait un cadavre. Il y avait quelquun, et, un instant plus tard, il ny a personne. Cest un tableau que lIliade ne se lasse pas de nous présenter. " " La force qui tue est une forme sommaire, grossière de la force. Combien plus variée en ses procédés, combien plus surprenante en ses effets, est lautre force, celle qui ne tue pas; cest-à-dire celle qui ne tue pas encore. Elle va tuer sûrement, ou elle va tuer peut-être, ou bien elle est seulement suspendue sur lêtre quà tout instant elle peut tuer; de toute façon, elle change lhomme en pierre. Du pouvoir de transformer un homme en chose en le faisant mourir procède un autre pouvoir, et bien autrement prodigieux, celui de faire une chose dun homme qui reste vivant. Il est vivant, il a une âme; il est pourtant une chose. Etre bien étrange quune chose qui a une âme; étrange état pour lâme. Qui dira combien il lui faut à tout instant, pour sy conformer, se tordre et se plier sur elle-même? Elle nest pas faite pour habiter une chose; quand elle y est contrainte, il nest plus rien en elle qui ne souffre violence. ". " Telle est la nature de la force. Le pouvoir quelle possède de transformer les hommes en choses est double et sexerce de deux côtés; elle pétrifie différemment, mais également, les âmes de ceux qui la subissent et de ceux qui la manient. Cette propriété atteint le plus haut degré au milieu des armes, à partir du moment où une bataille soriente vers une décision. Les batailles ne se décident pas entre hommes qui calculent, combinent, prennent une résolution et lexécutent, mais entre hommes dépouillés de ces facultés, transfor-més, tombés au rang soit de la matière inerte qui nest que passivité, soit des forces aveugles qui ne sont quélan. Cest là le dernier secret de la guerre, et lIliade lexprime par ses comparaisons, où les guerriers apparaissent comme les semblables soit de lincendie, de linondation, du vent, des bêtes féroces, de nimporte quelle cause aveugle de désastre, soit des animaux peureux, des arbres, de leau, du sable, de tout ce qui est mû par la violence des forces extérieures. Grecs et Troyens, dun jour à lautre, parfois dune heure à lautre, subissent tour à tour lune et lautre transmutation. " J.-M. B. 19/09/2001 |