Michel Séonnet / temps vient

 

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Temps vient.

Et donne chance de se défaire de la mort.

Rien n'a été perdu.

Rien dont nous ne puissions attendre le retour.

Le passé ce n'est rien d'autre que le laissé en attente d'attente.

Notre tâche est d'attente.

Retrouvaille.

Fiançailles.

Retour en arrière n'a pas de sens. Il n'y a que devant nous. Devant se renoue l'alliance avec le passé.

Et maintenant, c'est ce qui donne chance d'accueillir le relèvement d'un passé.

" Je dis chance" (René Char)

Quand le poète montre le temps qui vient, l’obscurci regarde le doigt et l'appelle "paradis perdu".

Jadis : mot de mort pour les morts.

Au commencement, il y a la mort. Après vient le temps.

Ne cesse de venir.

Ne cesse de donner chance.

Promesse prise dans ses glaces que le temps vient délivrer.

Le passé est devant nous.

Les morts nous attendent.

Il y a du non-parvenu par eux qui attend notre effort.

Le passé attend le temps de son retour.

Le passé attend son tour.

Sens toujours à venir.

" Le sens c'est la promesse" (Dietrich Bonhoeffer)

Il faudrait dire : le sens c'est ce que le temps exhume à chaque fois qu'il vient.

Temps vient à coup de pelle.

Comme écrire.

Rien d'autre que ce qui vient.

Rien d'autre, pour ce qui vient, que de re-nouer ce qui a été vécu. Et laissé.

Il y a bien plus d'à-venir dans ce qui a été que dans ce qu'on appelle "nouveau", "moderne".

Temps qui vient, c'est porte ouverte sur ce qui fut, dans le passé, laissé pour compte.

Passé vient lui aussi. Promesse tout autant que malédiction.

Pour ça qu'il est absurde d'exhorter au "devoir de mémoire". Mémoire est une attente. Mémoire, c'est défricher pour accueillir le temps qui vient.

Il n'y a que le présent. Non pas (Augustin) parce que passé n'est plus et futur pas encore. Mais parce que présent, c'est cette pointe où temps vient, chiffonnier, bric à brac de passés en quête de futur.

Temps vient. Evénement. Il n'est rien d'autre.

Lorsqu'on demande au temps son nom, il dit simplement : "Merveille" (Samson - Livre des Juges)

Temps qui vient c'est l'ange qui annonce à la femme stérile que le passé (la promesse) va avoir un avenir (l'enfant).

Quand temps vient, c'est tous les temps confondus.

On appelle aussi naître cet instant où temps vient.

Aucune innocence de naître. On naît toujours plus vieux que soi-même. Mémoire de tout ce que l'on n'a pas vécu.

Temps vient pour qu'on s'en fasse un corps.

Il n'y a pas d'innocents.

Lorsque temps vient c'est autant de promesses que de fautes. Tous promis. Tous fautifs. Et "péché originel" ce ne serait rien d'autre que reconnaître cela.

Venir au temps, c'est corps toujours déjà marqué d'un passé non vécu - et tâche de le vivre.

Ce n'est pas le futur qui fait peur. Mais le passé qui nous y attend.

Coupable de ce qui va venir. Ne pouvant trouver grâce que dans ce qui vient.

Illusion d'Abraham : croire qu'il suffit d'un coup du tranchant de la lame pour que cesse la faute. Allant au bout du geste, c'est tout ensemble faute et promesse qu'il aurait égorgées.

Temps qui vient ramène la mort, ramène l'amour.

Quoi d'autre, l'amour, sinon cette incandescence (coup de foudre, on dit) où ce qui vient ressaisit en un seul corps tout ce qui fut attente, prédiction, construction inconsciente. Tout un passé qui prend corps dans la fulgurance de celui (celle) qui vient.

Temps qui vient est amour.

L'amour - la prophétie qui se réalise.

La mort.

Temps qui vient est la mort.

Tu viendras. Tu aimeras. Tu mourras.

Pour ça que naître est toujours devant.

Pour ça qu'il arrive à certains que naître et mourir soit d'un même souffle. Que vienne le temps de naître à l'instant de mourir.

Veiller. Et faire que quand mort vient on soit encore en attente de naître.

Vieillir n'est rien d'autre que ce défi.

Temps qui vient quand tout s'en va.

Lorsque temps vient, "moderne" n'a jamais été aussi vieux.

Nous avons trop longtemps confondu l'avancée velléitaire et l'appel à devenir. La conquête et la rencontre. Nous avons cru que terre promise c'était terre due. Que promis c'était dû. Et qu'on pouvait y entrer à main forte. Mais terre n'est pas temps. Et une fois la terre conquise, il faut attendre que le temps vienne. Attendre encore.

Viens ! Viens !

Je re-dis : chance.

Lorsque temps vient je suis le frère de mon père, le fils de mes enfants. J'accouche de mes aïeux.

Peu importent les siècles.

Au commencement, la mort, l'inanimé. Puis le tohu-bohu. Puis vient le temps qui donne chance.

L'histoire commence quand l'homme tente de s'arracher à la mort et accueille le temps comme cette chance-là.

Stupidité du sablier. Temps qui trahit le temps qui vient. Le compte à rebours pèse le temps comme n'importe quelle marchandise. Temps gagné. Temps perdu. L'heure des comptes.

La fin des temps n'est pas ce qui survient au dernier grain de sable du dernier sablier, heure où l'on solde le compte, mais bien au contraire (si l'on tient à garder image) l'heure de la déflagration qui remet en présent tous les grains écoulés.

Tous les passés un seul maintenant.

" Récapitulation". (Saint Paul)

Accomplissement du temps en son ultime venue.

Relèvement de l'attente.

Et "tout est accompli". Non pas comme un déterminisme : ça a lieu comme c'était écrit. Mais en relèvement de prophétie : ça a lieu à partir du passé où déjà cela eu lieu en promesse.

Avoir lieu de l'accomplissement qui vient relever les attentes, les promesses.

Relevé d'entre les morts.

Et chaque maintenant en rend possible l'accueil.

L'événement.

C'est maintenant que se réalise la promesse d'avenir du passé.

C'est aujourd'hui l'avenir du passé.

Aujourd'hui donne avenir au passé.

Temps vient qui donne avenir au passé.

Il n'y a d'avenir que sur le lieu de ce qui eut lieu.

Les meurtres comme les naissances.

Sur les lieux de cet eu-lieu.

Ce qui vient c'est ce qui eut lieu, mais sorti de sa gangue.

Gangue - de Gang, qui veut dire "chemin" et "filon" en allemand.

Temps qui vient sort le passé de son chemin.

Met à jour.

Temps qui vient accomplit. N'achève pas.

La mort achève qui donne tout au passé - et le passé lui-même.

Achever fait du présent un passé quand accomplir fait du passé un futur.

Temps vient.

La délivrance.

Ou la chute.

Guerre vient aussi. Et ravage.

Nous avons appris que temps peut venir qui en finisse avec toute venue du temps.

" Il tombera dans le trou qu'il a fait" (Psaume 7)

A la levée du temps qui vient, "progrès", "recul", "ancien", "moderne" : tout cela n'est que fumées.

" Fumée ! " "Tout est fumée".

Sauf l'étincelle du temps qui vient.

Ou l'incendie.

"Parler la langue de son propre incendie." (Artaud)

Le poème est la trace du temps qui vient.

Tout le blanc de la page pour accueillir ce qui vient dans le temps qui vient.

Le sang, aussi.

Dans la nuée.

Ce que voit le voyant c'est cette venue dans la nuée. Tous les signes entremêlés. Guerre dans progrès. Peine avec espoir. Libération avec terreur.

Temps vient comme tempête qui dépose sur la plage les débris toujours vivants de corps jamais libérés de leurs étreintes, de leur fureur.

Passé n'est pas.

– Qui va là ?
– C'est le temps !

Bien pour cela que nous ne faisons que naître. Pas d'autre destin que naître. Et naissant, retrouvant en futur tout ce que l'on dit héritage.

Parole dite au père :
" Tous tes morts j'en ai hérité" (Gatti)

Mais plus encore :
Toutes tes morts, j'en ai hérité.

Puisque hériter c'est accepter que vienne aujourd'hui en futur cette part du passé (terres, douleurs, génétique, etc.).

Il faut que temps vienne pour que le patrimoine soit délivré.

Temps qui vient ne vient pas pour reconduire au "Paradis perdu", mais pour ouvrir à l'inconnu d'une "Jérusalem délivrée".

A chaque fois délivrée.

Le temps qui vient libère la part reçue en héritage.

Boite de Pandore, bien souvent.

D'une certaine manière, le moment de transmissions d'héritage, le moment où l'héritage est accueilli, est figure de la récapitulation.

Dans ce que je reçois de paroles, de récits, de terres, d'atavisme, le passé vient en présent (dans les deux sens du terme : don et temps).

Temps qui vient vient en présent. Comme don.

L'héritage n'est pas capitalisable. Tout de suite offert à la dépense.

Nulle possibilité de stocker le temps qui vient.

Du don au don.

Cadeau empoisonné, bien souvent.

Temps qui vient en présent comme charge.

Comme joug.

Ce qui vient (l'événement) ne vient jamais qu'en ce futur qui nous vient du passé.

Qu'en ce passé qui revient.

(.../...)

Ce qui, du passé, vient dans le temps qui vient, est tout aussi "réel", "objectif" que les questions de terres, de murs, d'espace.

Les morts tuent - on l'oublie un peu vite.

Temps qui vient, c'est tout autant le Shatan que le Messie.

Il ne faut pas, comme on le dit, "donner du temps au temps" - mais lui donner espace. Terre aussi bien que corps. Il faut que temps s'incarne pour devenir destin.

Temps qui vient, c'est pétri de boue et de terre.

Temps où le boueux, le terreux (l'Adam) trouve sa trace à accomplir.

" Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde" (Kafka)

Seconde le temps qui vient.

Seconde la boue du temps toujours en effervescence.

Il n'y a pas de digue assez puissante pour mettre à l'abri du temps qui vient.

Murs, tours, boucliers, richesses, puissance, empire - longue est la liste des tentatives de l'homme pour se mettre à l'abri du temps qui vient.

L'histoire - l'histoire des livres d'histoire qui est "histoire des vainqueurs" (Benjamin) - est histoire de toutes ces tentatives de se mettre à l'abri.

Le poème est pur accueil du temps qui vient.

Le livre - trop souvent - manière encore de vouloir le tenir entre des digues. Temps mort.

Bras de fer impossible avec le temps.

Seulement se soumettre.

Ce qui n'est pas baisser les bras.

Seulement s'abandonner.

Ce qui n'est pas abandonner.

Abandon comme tâche.

Lorsque temps vient, impuissance de la puissance (seulement possibilité de donner le change, de donner l'illusion d'avoir le dernier mot).

Face au temps qui vient la puissance n'affiche sa puissance qu'en nombre de morts au kilomètre-carré.

Morts qui s'ajoutent aux morts.

Morts toujours au futur.

Et d'autres massacres pour affirmer sa puissance sur eux.

La puissance cherche toujours à faire taire les morts sous le poids des morts.

Mais ce sont les morts eux-mêmes qu'il faudrait pouvoir définitivement tuer.

La mise en cendres des Juifs n'avait d'autre but : que ce soit pour toujours.

Impossible (pour nous, européens) de ne pas tenir chacune de nos paroles, de nos décisions, chacun de nos rêves, à l'expertise de ce qui fut la tentative de destruction des Juifs d'Europe.

De ce qu'est, ne cesse d'être, la tentative de destruction des Juifs d'Europe.

Temps qui vient les ramène toujours à l'heure de l'agonie.

Non pas comme une faute (qu'il faudrait racheter). Pas même comme un devoir (de mémoire). Mais comme s'ils étaient devenus pour nous quelque chose de la matière même du temps qui vient.

Chaque temps est temps possible de récapitulation qui est temps de justice. Mais lorsque le meurtre a été si nombreux ?

Il faudrait savoir accueillir chaque mort un à un. Que chacun accueille chaque mort un à un. Tâche sans fin. Notre histoire. Dont nous croyons pouvoir nous échapper. Mais qui vient, vient.

Nous vivons au milieu de bien plus de morts que de vivants.

Morts qui sont chance autant que poids.

Il y a plus de futur dans la plupart des morts que dans bien des vivants.

Ainsi viennent des livres écrits depuis bien longtemps.

Viennent des phrases dites par d'autres voix.

Et c'est première fois quand nous les (re)lisons.

Première fois quand nous les (re)mâchons.

Tout livre est à venir qui est en attente de lui-même au moment où il sera lu.

Tout homme est à venir.

Temps vient.

Homme va.

Et la rencontre.

" Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent !"
(Rimbaud)

(.../...)