Ecrire, 4

La machine à écrire a été ma libération et mon tourment.

Enfin mes mots cessaient de ne ressembler à rien. L’absolu laideur de mon écriture ne me sautait plus au visage et j’étais enfin capable de me relire sans être au plus haut point embarrassé. Mes mots, sans ma graphie, ne touchaient certes pas au sublime mais accédaient à une dimension que je ne leur avais jamais connue. Comme beaucoup sans doute, je les ai longtemps observés, étonné qu’ils émanent de moi alors qu’ils ressemblaient tant à ceux que je lisais. Ils acquéraient, par la grâce de ma machine, une valeur que je n’avais jamais soupçonnée.

Dans le même temps, cette « objectivation » de mes textes par la machine a marqué le début de ce que je dois bien appeler ma paralysie. D’une part, et sans doute parce que le texte tapé était pour moi un texte propre, je ne supportais pas la moindre rature, ce qui à l’époque de la machine à écrire était une gageure. Je recommençais sans cesse. A la moindre erreur j’arrachais la page, en insérais une neuve et retapais. Il me fallait ainsi user 20 à 30 pages vierges pour réussir à en noircir une seule. Si la méthode m’est restée, adaptée au traitement de texte, elle a engendré chez moi un culte de la moindre phrase : je ne peux pas passer à la suivante avant d’être sûr et certain que la phrase que je suis en train d’écrire est parfaite. Et comme la perfection n’existe pas… D’autre part, taper à la machine, c’était taper à deux doigts. Et avant que je ne passe (en travaillant) à la machine à écrire électrique, taper à deux doigts signifiait taper fort, et mettre dans ce jeune âge qui était le mien, tous les éléments en place pour un dos souffrant la vie entière. La douleur qui m’accompagne depuis, mon frein, ma paralysie, mon tourment... Mon excuse.

19 novembre 2021
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