écrire à la main 3 comme un lasso qui capture les rêves
Dans un monde où l’automatisation régit nos gestes les plus quotidiens, brandir son stylo devient un acte de rébellion, une parenthèse unique qui permet de s’affirmer en tant qu’individu. Chaque acte, payer ses courses au supermarché aussi bien qu’embarquer à l’aéroport, est remis entre nos mains. Comme si j’avais envie de passer moi-même mes articles en caisse ou de me débrouiller seule avec des données que je me vois contrainte de gérer. Pour que ces gestes DIY soient validés, par mes soins, ils doivent rentrer dans les cases. Tout ce qui déborde vous fait tourner en rond dans un espace virtuel qui, contrairement à moi, ne se lasse pas de botter en touche et de me renvoyer à la case départ. Et tous ces gestes, ces interventions que nous avons (soi-disant) le choix de valider, sont proposés comme quelque chose dont nous devrions être fiers, à la façon d’un enfant qui apprend à accomplir tout seul mille petits gestes. Cliquer, valider, ne m’apporte rien. Je m’y plie car je n’ai en vérité pas le choix.
En revanche, j’ai le choix de me saisir de mon stylo et de tracer des pages d’écriture. De voir progresser une ligne, noircir une page, laisser mon empreinte. De me replonger dans un monde, non sans nostalgie, où écrire à la main s’apprenait patiemment. Constater que les enfants rencontrent de plus en plus de difficultés à écrire à la main m’attriste et m’alarme. C’est dans cet espace aussi fragile qu’une bulle que nous pouvons encore exister en tant qu’individu.
Et lorsque je propose dans le cadre de ma résidence ce geste simple d’écrire à la main, lorsque je tends un stylo et une feuille et que je vois des sourires illuminer des visages, des gens s’asseoir pour réfléchir, écrire, ou écrire sans réfléchir, je me dis que je suis sur la bonne voie, que tout n’est pas perdu. Il faut seulement créer ce temps-là, cette halte dans le quotidien automatisé pour renouer avec le geste d’écrire. Ce geste simple qui renvoie automatiquement à l’enfance, à l’époque où germaient nos rêves de jeunesse que l’on attrape au lasso à chaque fois que l’on s’arme d’un stylo et d’une feuille.