joël kérouanton | le cul des riches

Bio-bibliographie de Joël Kérouanton.

Dernier ouvrage paru : Trouble 307.23, champ social éditions, 2011.


Ça s’est passé un soir. Un soir de tempête. Un soir où la base sous-marine de Saint-Nazaire s’ébranlait sous les coups de butoir du suroît. Un soir où le poète Armand Gatti rencontrait l’Histoire d’une ville.

En compagnie de quelques amis, installés sur des sièges couenneux comme du béton armé, je me trouve face à LUI, blouson de cuir, badges anar, cheveux gris, cheveux longs, cernes pendantes, quatre-vingt-quatre ans au compteur.

Armand Gatti, dès qu’il parla, on entendit souffler le vent. On ne vit que ses immenses yeux d’outre-tombe, ses grands bras de pieuvre, son long corps de revenant. Inénarrable. Comme sa venue à Saint-Nazaire de septembre 1976 à février 1977, autour de la fameuse expérience Ces canards qui volaient contre le vent. Moment historique. À tel point que la Maison des écrivains étrangers et traducteurs de Saint-Nazaire (MEET) en fit un livre. Et fêta la sortie dudit livre lors d’une soirée au cœur d’une alvéole de sous-marin allemand, aménagée en Lieu international des formes émergentes (LIFE).

Cette soirée de rencontres littéraires au LIFE (prononcer laiiiffff), ordonnée sous le thème de « Se donner un genre », cette soirée pourrait s’intituler « Le genre Gatti ».

Alors voilà ce qu’a dit (ou aurait pu dire) la voix d’Armand Gatti à Saint-Nazaire. Voilà sa parole errante. Ses mots et ses silences. Ses mots et les associations que j’en ai faites. Aussi, ne prêtons pas exactement l’ensemble de ces propos à Armand Gatti. Même si l’homme possède encore vitalité et finesse, on ne saurait trop le perturber. Il a encore un long devenir : le genre Gatti est infini.
J.K.


 

parce que ma mère était balayeuse et que mon père était ouvrier et qu’ils me le disaient hein, ils me le disaient du matin au soir, ils me le disaient hein que je n’essuierais pas le cul des riches

que ça ne pouvait pas être mon ambition d’essuyer le cul
des riches, les conditions de l’existence déterminent la pensée et je pensais et ma mère aussi pensait que le cul des riches, c’était tout ce qu’il ne fallait pas essuyer mais comment manger et se loger hein ¿ eh ben ma mère elle comptait sur l’école des mots, elle comptabilisait les mots que j’apprenais et elle avait son ardoise et elle crayonnait un trait par mot appris, à chaque mot nouveau ma mère était aux anges et je ne comprenais pas vraiment pourquoi mais ma mère savait qu’à chaque mot nouveau je m’éloignais du cul des riches, à chaque mot nouveau je me rapprochais de l’infini

les riches peuvent s’asseoir sur les mots
mais ça reste toujours des mots, on ne peut pas les escamoter sauf à les brûler mais l’époque n’était plus à ça, on ne brûlait pas les livres on les vendait alors j’ai commencé mon crève-corps de poète, je n’avais rien à dire mais je le disais quand même, je cherchais et je trouvais les mots pour sauver la face, se déprisonner, prendre la clé des champs, s’arracher du langage polie (tic)

vous comprenez, vous
comprenez pourquoi les mots furent une affaire d’injonctions maternelles, jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier souffle je rendrai hommage à la daronne, une femme généreuse qui me déclamait ses pensées du matin au soir et du soir au matin, mon fils, écoute bien mon fils, la vérité se fixe par les mots, alors il faut partir à la recherche des mots perdus, PARTIR À LA RECHERCHE DES MOTS PERDUS POUR ESQUIVER LA MISE À MORT DU PAUVRE

maintenant vous comprenez j’aspire
à donner une forme lexicale à ce chaos absolu qu’est la vie, vous comprenez hein, vous comprenez pourquoi je cherche et trouve un reflet poétique de ce chaos, pourquoi je cherche à dire la saleté, à dire la beauté, la poésie peut tout, la poésie produit du sens là où il n’y en a pas, la poésie permet de répondre aux seules questions qui vaillent, aux seules questions à se poser de la naissance à la mort ::::::::::::::::: :

qui suis-je ¿

à qui je m’adresse ¿

chacun des spectateurs présents ce soir dans la salle, je dis bien CHACUN chercherait à répondre aux « qui suis- je » et « à qui je m’adresse », chacun trimballerait ces questions sur ses épaules, je sais, ces questions ne sont pas des moindres mais nous n’avons pas le choix que de tenter d’y répondre hein, même à quatre-vingt-quatre ans je ne cesse de m’adresser à ma mère qui n’est plus, même si ce soir je m’adresse à vous, même si ce soir c’est à vous et bien à vous que je m’adresse, c’est à ma mère que je dédie mes nouveaux mots

vous cherchez des vérités car la vérité vous rassure mais la vérité vous perdra, à chaque « qui suis-je » des centaines de réponses, les choses sont beaucoup plus troubles que vous le pensez hein et c’est justement parce que vous pensez comme le pense votre vénéré ordinateur, vous pensez en binaire, vous pensez en noir ou en blanc, vous pensez en non ou en oui, vous pensez en 0 et vous pensez en 1, vous pensez en O/1 alors que c’est ce qu’il y a « entre » qui donne à penser, le trouble de l’« entre », le salvateur « / »

oui
j’étais à Berlin le 9 novembre 1989 lors de la chute du mur de la honte, oui j’étais là au moment où la chimérique euphorie de la libération enflait dans les rues

non
d’euphorie je n’en ai pas vu, non je n’ai pas creusé dans le mur, non je ne suis pas parti avec une pierre du mur, non je n’ai pas de pierre sur ma cheminée, non je ne discourais pas, non je ne criais pas, non je ne buvais pas, non je ne dansais pas, non je ne violonais pas aux côtés de Мстислав Леопольдович Ростропович Rostropovitch

entre
les murs j’écrivais, j’écrivais sur le mur, j’écrivais un mot à ma copine de l’Est, sur vingt mètres j’écrivais, vingt mètres de mur de Berlin à moi tout seul pour écrire à ma copine ICH LIEBE DICH, voilà ma révolution, voilà mon euphorie, voilà mon démantèlement du mur de la honte, voilà ma participation à la fin de la guerre froide

j’ai toujours pensé l’amour avant le polie (tic), j’ai
toujours pensé l’amour avant de penser, j’ai toujours pensé l’amour avant la poésie et c’est la poésie qui m’aide à penser l’amour, qui m’aide à ne pas devenir fou, j’ai toujours pensé l’amour quand le dissident Boukovski fut libéré, ce coauteur avec Glouzman du fameux Guide de psychiatrie à l’usage des dissidents, Boukovski ce « malade de l’opposition » comme les pouvoirs russes disaient, ce « délirant réformateur », cette personnalité à « structure paranoïaque », ce « schizophrène torpide ou latent » (une nouvelle maladie inventée pour qualifier l’état où « la maladie ne se manifeste pas encore »), j’ai toujours pensé l’amour quand ce gaillard subissait la répression psychiatrique en URSS, gégéné d’électrochocs et de radiations, soumis au supplice du drap mouillé (qui se rétrécit et broie le corps en séchant), goinfrés d’insuline, de Sulfamine, d’Aminazine, d’Halopéridol, de ces tranquillisants et neuroleptiques qui font de vous la vache qui passe sa vie entière dans l’étable sans voir un brin d’herbe, qui font de vous un futur administré, un citoyen exemplaire, un p’tit rentier, qui font de vous un être muet car parler est un crime en soi, créer de la poésie, ou pis, rassembler pour poétiser de concert = internement psychiatrique automatique pour « paranoïa aiguë »

donc Glouzman fut libéré grâce à Saint-Nazaire,
je dis bien GRÂCE À SAINT-NAZAIRE, les p’tits rentiers russes à la couleur des murailles (un personnage dont l’Union soviétique n’a pas le privilège, ça aurait pu être des p’tits rentiers d’un autre pays, ou même les p’tits rentiers de Saint-Nazaire, eh oui, ils vivent comme tout le monde et pullulent à travers le monde, des individus sans individualité, ni marquée ni marquante), donc les p’tits rentiers lui ont lavé le cerveau à ce type-là hein, les p’tits rentiers lui ont lavé le cerveau comme à tous ceux qui mènent une bataille des mots dans les territoires d’oppression, les p’tits rentiers à la couleur gris sale lui ont lavé le cerveau et Boukovski a été libéré GRÂCE À SAINT-NAZAIRE, grâce à cette ville ouvrière parvenue, cahin-caha, à sortir d’elle-même, à changer le cours de l’Histoire, à changer l’Histoire pour changer la sienne et Boukovski a fait ses premiers pas d’homme libre et il est venu où faire ses premiers pas d’homme libre hein ¿ il est venu où parler, travailler, créer avec les tâcherons de la Grande Brière, les paysans guérandais, les ouvriers des chantiers navals, les pauvres qui essuyaient le cul des riches,,,,,,,,,,,,,,, ¿

merci merci merci Saint-Nazaire

à Saint-Nazaire
j’ai été dérangé et j’aime ça être dérangé et j’aime donner des coups de pied dans la fourmilière et produire de la poésie à tout-va et j’ai aimé leur demander d’arrêter de chier sur scène à ces théâtreux-auto-gestionnaires-bachille-bouzouc, quelques verres de vin rouge, un laxatif et les voilà qui chiaient sur scène, ils en avaient partout, ça coulait le long de leurs jambes, de leurs genoux, jusqu’aux pieds ça coulait et ils se marraient, ça coulait et ils emmerdaient le monde avec leur performance sans sel, je leur ai suggéré de rencontrer de VRAIS ARTISTES, de visionner ces œuvres d’art contemporain qui isolaient les étrons de leur contexte – tel Duchamp et son urinoir –, je leur ai proposé de rendre visite à ces prisonniers de l’IRA qui peignaient avec leurs fèces les murs des cellules de Belfast, les pauvres théâtreux-auto-gestionnaires-bachille-bouzouc ils en avaient partout et je leur ai dit Vous chiez mal, je leur ai dit Vous chiez mal et ils ont quitté le théâtre sans le mot

on vit en se rappelant autant qu’en oubliant, l’oubli fait
partie de la survie, en venant ce soir à Saint-Nazaire je cherchais à savoir jusqu’à quel point on peut s’échapper de soi-même, jusqu’à quel point l’oubli prend le pas sur le souvenir, vous me parlez de Saint-Nazaire et je pense Berlin ou Belfast ou Moscou, je suis désolé mais je ne peux pas penser totalement Saint-Nazaire quand je suis à Saint-Nazaire, autant que je ne pouvais penser totalement Berlin quand j’étais à Berlin, ou totalement Belfast quand j’étais à Belfast, c’est comme ça je suis à la recherche de lieux dans lesquels je ne suis pas et je ne vais jamais là où j’aimerais vivre car sinon comment artistirais-je, hein ¿

vous comprenez, vous comprenez bien qu’il ne s’agit pas de relayer une postillonnade de langage polie (tic), mais d’engendrer une parole, chacun pour lui-même, au milieu de tous, vous comprenez bien que le collectif n’est pas une masse mais 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1+ pourquoi êtes-vous encodé ¿ + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 pour étudier ¿ + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + pour travailler ¿ + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + fonder une famille ? 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 ? 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + vous savez pourquoi vous êtes programmé et vous ne dites rien mais non d’un bachi bouzouk de tonnerre de Brest DANS QUEL ASILE VIVEZ-VOUS ¿ DANS QUEL
ASILE VIVEZ-VOUS HEIN ¿ PUTAIN MAIS DANS QUEL ASILE VIVEZ-VOUS, HEIN ¿

L’homme but un verre d’eau, ajusta sa veste en cuir et son énorme badge anarchiste offert par un ami nazairien résistant espagnol lors de la guerre civile de 1936. L’homme tapota sur ledit badge, invita le public à bien regarder l’objet précieux tout en fixant puissamment le public de ses grands yeux cernés. Et reprit.

on vit dans ce P... de langage commun, on vit avec les mots du Parti Unique, on vit avec des mots qui mènent qu’au silence,
on vit en compagnie de vocables utilitaires qui ressemblent à tous et à personne, qui écrasent les langages individuels à peine éclos, qui cherchent les genres mais la prose est à la fois de la poésie et la poésie est parfois de la prose alors il appartient de chercher le genre de l’indéfini, le genre de l’« entre », le genre qui appartient à l’espace qui n’est pas clôturé hein, quelquefois la poésie est très présente dans la prose et la prose peut ne pas être absente de la poésie, encore une prodigieuse conquête des cultures et des civilisations occidentales que cette notion de genre, la parole littéraire n’est pas tenue de passer par des genres fixes hein, elle peut passer par des genres fixes mais elle n’est pas tenue, les genres ce ne sont que des petites voix pour se débrouiller avec la vie car la vie c’est plus énorme que ce que nous pourrons supporter hein, on peut infiniser sur les genres et nous nous branlons tout seuls en se disant on maîtrise tout ça

mais on ne maîtrise
pas grand-chose

on vit dans la foutaise, n’importe quelle phrase humaine est poétique, prosaïque, essayiste, liturgique, politique, conne... on vit pour reproduire, on vit pour la reproduction de chapelle et
nos mots ¿ nos propres mots y sont où, hein ¿ Glouzmann le Russe a été interné pour « Fait de poésie » et les gens ne poétisent pas ¿ Nom d’un bachi-bouzouc de Tonnerre de Brest, qu’ils poétisent bordel ! Chacun a droit à la mélodie, à la scansion, au cadencement, au geste lexical, chacun a droit de se rappeler qu’au commencement était le verbe et que le verbe était Dieu, alors je leur ai demandé aux gens de Saint-Nazaire, je leur ai demandé Voulez-vous être Dieu pendant quelques mois avec moi pour découvrir

COMMENT.

CHACUN.

DEVIENT.

CANARD.

SAUVAGE.

POUR.

VOLER.

CONTRE.

LE VENT.

1er décembre 2011
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