Les pêches, faut les faire danser !

Suite du projet « Écrire le travail, écrire le métier » avec trois classes de secondes CAP. Je vérifie à cette occasion l’exactitude de propos entendus en salle des profs, selon lesquels chaque séance est une surprise, dans un sens ou dans l’autre (c’est-à-dire bonne ou mauvaise). Propos que l’on pourrait résumer sous la forme d’une sentence : « Des fois tu crois que c’est gagné, et en fait non ; des fois tu crois que c’est foutu, et en fait non plus. » Ou quelque chose comme ça.

Premier groupe, classe 2R2, on travaille autour d’un texte de slam, ça prend bien, l’émulation est grande et à la fin de l’heure, quand il est temps de laisser la place au second groupe, les élèves tentent de négocier une heure de plus : « S’il vous plaît, on pourrait rester deux heures au lieu d’une, on prend la place du deuxième groupe et eux ils feront l’atelier une prochaine fois ? » Joie, gratitude, bonheur éternel, les élèves ont adoré l’atelier et ils en redemandent ! Je ne peux pas répondre à leur demande pour cette fois, mais je leur confirme qu’on se retrouvera dans quinze jours, allez, c’est dans pas si longtemps… Dans les couloirs, ils croisent les élèves du deuxième groupe auxquels ils annoncent que « c’est génial, vous allez voir ! ».

Confiante, je repars donc sur les mêmes bases pour lancer le travail avec le deuxième groupe. Et là : FLOP, ça fait comme un gros flop, ça ne prend pas du tout du tout. Alors il faut m’adapter, changer de méthode, expliquer différemment, lancer le travail en individuel puisque le groupe ne fonctionne pas. « Et tu verras, ceux qui étaient motivés aujourd’hui ne le seront peut-être plus dans quinze jours, et inversement… bienvenue dans l’enseignement ! » me lance une prof à la pause devant la machine à café.

J’apprends, j’expérimente cet univers du lycée dont j’étais il y a quelques mois tellement éloignée… Ressortir d’un cours tantôt épuisée, tantôt euphorique. Parce que tout cela est aussi une affaire d’énergie, qui circule parfois à sens unique, de l’enseignant vers les élèves, et d’autres fois se met à jaillir dans tous les sens, l’atelier roulant vers son objectif avec un enthousiasme communicatif. Alors ça s’enflamme et c’est bon, comme les pêches et les poires que ces apprentis cuisiniers feront flamber sous mes yeux ce midi pour le dessert annoncé au menu du restaurant d’application. « Vas-y, fais-les danser » commente le professeur de service en montrant à l’élève le geste approprié pour que chaque fruit s’imprègne de jus et de caramel.

Tous ces gestes – transmis, repris, acquis – sont ceux que nous transposons en mots lors de nos ateliers. Car la langue est un ustensile qu’on s’exerce ainsi à manier, pour les mots, les faire danser.


SLAM DU SERVEUR

Se changer, enfiler sa tenue, commencer à nettoyer
C’est comme ça que démarre la journée

Essuyer tous les verres au bar
Éviter de prendre du retard
Disposer sur le guéridon
Les serviettes et les torchons
Napper les tables, poser les couverts
Et maintenant passer la serpillère

Se rendre à l’office, préparer l’entrée
On peut même la goûter
Avocat-crevettes sauce cocktail
Il faudrait peut-être ajouter du sel

Aller chercher le liteau
Remplir les carafes d’eau
Se faire expliquer tous les plats
Disposer trois assiettes sur ses bras

Accueillir les clients en souriant
Tirer les chaises, annoncer le menu
Entrée plat dessert
Aujourd’hui il y a de la morue
Et aussi des hamburgers
Apporter l’eau et le pain
Plus tard il faudra servir le vin

Découper le pain pour la salle
Empiler les assiettes sales
Vérifier le lave-vaisselle
Et vider toutes les poubelles

Allumer déposer flamber
Avec le sucre ajouté
Les pêches faut les faire danser
On est prêts à dresser

16 mars 2021
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