Prendre suint - 2

Le soir exige la joie de la houe. C’est dans ces moments si particuliers du soir que sont l’été, les os ou les guêpes, qu’écrivent les poètes. La poésie nous tient lieu de famine. Ce qui soigne, c’est toujours ce qui saigne ; et le sang, qu’un sanglot coupé. Qu’est-ce donc qui est retranché ? C’est le sien de l’individu concret. Le sien des maux et des fêtes, car le je du poète ne parle jamais de soi. Depuis le sein des mots, depuis le jeu des mots, il parle pour dire comment, sous nos yeux, tout à coup, hors de toute attente, toute atteinte, c’est le monde. Sans prévenir. Comment c’est – pour tout le monde.


IV


Des haveurs tapent à la veine

Si étroites sont les gaines qu’elles liment tout à fait la couche interne des vertèbres. Les lampistes jouissent. C’est maintenant ou jamais. À nos pieds, les pavots poussent des lignages brésillés dans les tailles. Il n’y a jamais eu de fleurs ici avant le passé.



Je trace du tas de l’œil une flaque de mer à marée basse. Un esquif attardé passe dans cette drôle d’après-midi

suivi par assez d’épaulards
traversant le soupirail des entéléchies
où notre clameur rebondit contre le mur




Les samares tombent des érables ; elles tournent dans l’air en répandant des conjonctions discutables.

Dans la cour
le préau ne tient plus debout
que par un relief
de gaz


V



Le soir venu
rien n’est moins sûr que cette barque
où nous prenons comme un avertissement
de mesurer l’écart du tuf et des fémurs

les fronts baissés sur l’écume, n’en vienne pas à chavirer dans la couture de notre œil, là où l’étirement du temps fait un drap des plaies des loirs et des tracteurs.

Nous nous hâtons de ramer pour apercevoir
au détour de la rive pointant dans ce lac de cratère
le portail de la maison d’où nous surgîmes des collets de l’enfance
avec sur les lèvres des mots de venin
dans la phonation des chênes




Au petit matin : repartir dans le murmure des stèles. Aucune couleuvre n’a le droit de prétendre à des portraits de nous mâchés.


VI



Vous que j’aime de tous mes os

vous tenez-vous à l’intérieur de vos sensations
à genoux sur le dos des merles
les guéridons de fer forgé
le moût et la gloire

ou bien parlez-vous
avec des tulipes blanches sur la
langue



Comment vous aborder quand on a comme moi
toute la vie
pour mourir d’un instant à l’autre ?

11 avril 2023
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