Prendre suint - 3

Quelque part meurt un monde. Ses plantes agonisent dans la siccité des loams et des prairies. Ses animaux hurlent dans la nuit qui les prend. Ses livres tournent aux reliques. Nous sommes copieusement les responsables de cette ruine, mais il nous faut encore parvenir à en devenir les témoins. C’est l’une des missions les plus hautes de la poésie de notre temps : prendre souci de la partance testamentaire de l’être ; en manifester soigneusement le legs. Car ce monde aussi naît, puisque c’est la première fois qu’il périt. C’est – dans tous les sens du terme – un nouveau départ pour notre monde. Il en vient à lui-même, sous un mode inédit, dans le surgir de son anéantissement.


VII


D’écorce : le même rapiéçage nous oblige sur quelques mètres de dénivelée à la céramique du grésil. Dans cet espace de transition, ma langue est maigre et prompte aux remerciements. Nous habitons dans l’ombre

portée des argiles

au milieu des connivences et de l’hésitation tardive. Les uns et les autres cherchent à ranger des arbres dans leurs bans : nul ne parviendra jamais pour autant à mettre le feu à un livre.

Règle de composition : l’acédie suinte des ombelles en un son levé. Ici aussi, l’insensé dit que l’incendie ne descend jamais dans le sang.



Le même bois de palissandre. Nous tournons les pages des livres sans dessein ni mémoire. Comme elle tombe, nous repoussons chaque feuille dans la chute des faîtes. Nous ne lisons que parce que nous ne sommes plus capables de trébucher ;

phrases bâties de mots décollés
par le grignotement des chenilles
La mandarine où tu mords
a le goût de mes lettres



VIII




du poulpe les ongles

les aphtes et le sourcil

anatomie des indisposés de l’estomac

les mains dans les poches
mais dans ce petit morceau de lumière

remonté du ciel
la douleur que nous n’aurons pas

comme ceinte par le sel

sous la lame

se fige la proie due
en son œil de trapèze




Au-delà de la fenêtre, ton regard se perd dans l’oliveraie de ténèbres, dans la grange de ténèbres, dans les étables de ténèbres : bien malin qui saurait différencier l’invisibilité d’une hutte ou d’une migraine. Tout se révise à perte de vue dans le noir, d’où s’échappe un parfum doux de violette. Comment ne pas avoir bougé quand le monde bascule dans la boîte crânienne ?



Des pluies de méthane liquide
t’interdisent d’ouvrir le moindre livre ;
n’importe quel trilobite patiente dans les éteules.


Quand es-tu où vient la nuit ?


IX


Dans ton pays,
on aime le beurre et le chuintement du jour qui se lève,
les artimons et les poissons d’argent.
On verse le vin dans des verres en étain
pour honorer les vieux et les tendres.
On épie le retour des bisons dans les lavognes.
On accroche nos entournures
aux genêts plantés pour les morts
dans des visages minces.
On se tient éloignés des bûches et des chartes.




Dans ton pays

on cède assez vite

18 avril 2023
T T+