Rayon Poésie
Depuis presque six mois, ma résidence d’Écrivaine en Ile-de-France avance, prend corps, change d’apparence, recule, repart, s’adapte. Il est temps de faire une mise au point, de dézoomer pour mieux voir ce à quoi en définitive elle ressemble, d’en redéfinir les contours pour pouvoir commencer à en dessiner une trace (fichiers audio + textes d’ateliers à venir).
Au début...
La découverte des écritures poétiques contemporaines soulève un indéniable enthousiasme. Le regain de manifestations culturelles qui intègrent le genre poétique en est d’ailleurs un signe. Au sein des librairies généralistes, y compris de celles qui ne lui accordaient que peu de place, le rayon poésie a tendance à s’étoffer, relayant vaillamment cet engouement. Sans doute a-t-on suffisamment claironné que l’âpreté de l’époque et de ses vicissitudes créait un « besoin de poésie ». Ce besoin semble vif et j’ai souhaité, en tant que poète et grâce à cette résidence, œuvrer à y répondre, en rêvant qu’il ne soit pas qu’un possible réservé à une élite ni un éphémère mouvement à la mode.
« La poésie n’est pas un luxe »
Au cours des dix dernières années, j’ai eu l’occasion d’animer nombre d’ateliers d’écriture dans des institutions variées, auprès de personnes jeunes, vieilles, insérées, exclues, malades ou (prétendument) saines, dont certaines m’ont demandé s’il existait des lieux où pouvoir revivre de telles aventures littéraires. Ces demandes émanaient des individus qu’on pourrait dire les plus proches du « grand public », tenu parfois à distance du champ de pensée des programmes d’action culturelle. Pour cette population, en Île-de-France en tout cas, il n’y a pas d’accès à des ateliers d’écriture, hormis au sein de structures privées qui proposent des séances trop onéreuses pour une large partie des intéressé.es.
Des ateliers d’écriture gratuits dans un lieu dédié aux livres : le Merle Moqueur
Dans le cadre de ma résidence, j’ai cherché à concevoir, localement, un dispositif facilitant l’accès à des ateliers d’écriture poétique. J’ai aussi cherché à étoffer au fil des mois le Rayon Poésie d’une librairie : Le Merle Moqueur. Cet établissement suit mon travail et le met en valeur depuis longtemps. Il est située au 51, rue de Bagnolet, dans le 20e arrondissement. Il est régi par Yannick Burtin et animé par une équipe de jeunes libraires passionné.e.s. Implanté dans le quartier depuis vingt-trois ans, c’est un lieu d’exception, un ancien garage de 400 m2, qui fait la part belle au livre dans tous ses états, visant d’un côté le public familial de cet Est parisien (vaste rayon jeunesse) et de l’autre celui des férus de pure littérature et d’essais en tout genre. Cette forteresse en plein passage, dans une rue à certaines heures sur-agitée, est investie par un beau mélange de générations, des lecteur.ices affairé.es, des libres-penseur.euses, des artistes de passage. Son nom d’oiseau facétieux évoque les possibilités d’envol qu’elle abrite – liberté permise par le livre – et la distance malicieuse qu’elle prône vis-à-vis du monde.
Dans les faits
Depuis décembre 2022, dans ce lieu exceptionnellement propice, se tient deux fois par mois mon atelier d’écriture. Dix personnes y participent, âgées de 18 à 70 ans. Incité.es à passer les portes de la librairie, ils elles viennent écrire ensemble, découvrir des textes, des auteur.ices. Cette expérience partagée, où je mets en avant des écrivain.e.s et des éditeur.rice.s à la notoriété souvent confidentielle, devrait finir par désigner, peu ou prou, et pour les participant.es et pour les libraires, ce que peut recouvrir le mot « poésie » décliné au contemporain, au-delà des clichés dont il pâtit. [1]
Pour ceux qui ne fréquentent pas (assez) la librairie : l’action auprès des élèves du lycée professionnel public Charles-de-Gaulle
Le lycée Charles-de-Gaulle se trouve à quelques dizaines de mètres du Merle Moqueur. Il accueille des élèves de la seconde à la terminale. Ils suivent tous un cursus professionnel Gestion et Administration. J’y mène des ateliers dans une classe de première. Mes interventions s’intègrent à l’objet d’étude imposé par l’Éducation nationale « Créer, fabriquer : l’invention et l’imaginaire ». Ce chapitre soulève des enjeux qui coïncident avec ceux de mes ateliers. [2]
J’ai eu envie de faire entrevoir à ces élèves peu enclins à s’abreuver de littérature la possibilité de lire et d’écrire pour le plaisir, d’introduire le jeu et l’insouciance dans leur rapport aux mots. Ce point de vue, cet axe oblique, permet de soutenir d’une autre manière les objectifs pédagogiques de Jeanne Marot, leur enseignante. En séance, ces jeunes réfléchissent à l’origine et au cheminement de l’acte créateur mais aussi, je l’espère, renforcent leurs capacités de penser, de choisir, d’argumenter et de partager.
Encore quatre mois...
La Maison de la Poésie de Paris, dirigée par Olivier Chaudenson, accueillera à la fin du mois de juin un moment scénique où seront donnés à entendre des textes produits en ateliers et des extraits de mon livre en cours d’écriture.
Les ateliers au Merle Moqueur se poursuivront jusqu’à mi-juillet. Cette saison de poésie sera clôturée, à la librairie, par une rencontre, conviviale et ouverte au public, avec deux poète.esses parmi ceux et celles découvert.es au cours des ateliers.
Ensuite, pendant encore au moins deux mois, je tenterai de terminer Poudreuse, dont voici un extrait :
le temps se réduit dans nos actes dévoreurs écrire à l’ami puis écrire un message qui lui dit qu’on lui a écrit parce que tant d’espaces tant de lieux où se trouver à la fois avec soi et les autres tous ensemble demandeurs de présence, vous avez le temps encore vous le temps de vivre le temps de vous arrêter sur le temps de le laisser prendre toute la place du moment ?
[1] Pour donner une idée, voici la liste des livres que nous avons jusqu’ici lus ou entendus au cours des séances (merci aux poèt.esses qui m’ont fait des audios de dernière minute !) : Ecrire cuicui, Frédérique Soumagne, Dernier Télégramme, 2019 ; République Sourde, Ilia Kaminsky, Christian Bourgois, 2022, traduction Sabine Huyn ; Quatre Catastrophes, Louis Haentjens, Vroum, 2023 ; La cartothèque, Lev Rubinstein, édition le Tripode, 2018 ; Blue Box, Barbara Köhler, traduction Laurent Cassagnau, Extrême contemporain, 2022 ; Oursins et moineaux, Sjon, traduction Séverine Daucourt, LansKine, 2017 ; Ils (défaut de langue), NatYot, Boucherie Littéraire, 2021 ; Mon corps n’obéit plus, Yoann Thommerel, Nous, 2017 ; Une position qui est une position qui en est une autre, Virginie Poitrasson, LansKine, 2019 ; Gens de peine, Aurélie Foglia, Nous, 2014 ; Flux migratoire, Violaine Schwartz, Les Solitaires intempestifs, 2013 ; Chômage monstre, Antoine Mouton, la Contre Allée, 2017 ; Vous êtes de moins en moins réels, Laura Vazquez, Points, « points poésie », 2022...
[2] « Lire et étudier des poèmes », « s’interroger sur les processus de la création artistique », « découvrir le plaisir qui peut naître du maniement des mots », « révéler le lien intime entre la forme et le sens », « écrire des textes personnels », « les mettre en voix »...