Yaël Pachet / Chambre |
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Yaël Pachet vit à Nantes, et pour profession y chante aux choeurs de l'Opéra elle a aussi contribué à remue.net par un entretien avec Pierre Michon et une fiction Orange, été 2001 |
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Cest dailleurs aussi à partir de ce que je ne pense pas que je pense, et à partir de ma surdité que jécoute, puisquà tout éclaircissement il faut dabord une base de noir, un fond blanc aveugle sourd, une couche dinsensibilité dans laquelle les pieds ne senfoncent pas. De cet appui peut-être apercevra-t-on par la fenêtre quelque chose comme un arbre immuable, un chèvrefeuille qui pousse, une pie qui senfuit déjà. À partir de cette immobilité, de cette boue, de cette fange léopardienne quest la chambre, on voyagera, on patinera, on fera du ski, on dévalera des pentes, on mènera à terme une grande carrière sportive, ou lon séduira mille hommes tout aussi bien. On attendra sa maman de pied ferme. Dans ma chambre, il y a ma chambre. Les frontières et le remplissage cest du pareil au même. Cette confusion entre les limites et ce quil y a entre les limites, ce terme même despace, cette notion de chambre, le grand concept de lhabitation, lidéologie de lespace à soi où lon est censé évoluer, mais où il est plus juste de dire que tel barbapapa on colle aux murs, on ne pense pas on prend la forme de la pensée, on ne regarde pas on a la forme dun il, cette confusion formelle est figurée par un tableau abstrait de Bram Van Velde dont la reproduction occupe majestueusement un des murs de ma chambre. Le même trait de pinceau pour le cadre et la diagonale. Une de ces lignes (puisquil faut bien des efforts pour ne pas interpréter figurativement un tableau abstrait malgré le respect quon en ait) indique de même que ces lignes blanches que les policiers tracent au sol autour dune victime, lemplacement du corps de ma mère dans ma chambre, lors dune sieste, il y a quatre ans. Du jardin, javais jeté un coup dil par la fenêtre, je lavais vue, immobile, longue, mince, obéissant au devoir imposé par la maladie : celui dêtre patient. Plus tard, comment détourner son regard ? le corps se tiendra sagement dans une chambre de bois, un peu trop mince, un peu trop longue, une chambre dans laquelle la distinction est bien faite : les bords, le coussin, le corps, les poignées. Mais ça nest quune étape, la chambre et le corps dans la chambre referont corps, même matière. La familiarité est égale venant de la chambre et venant de celui qui lhabite, lui-même chambre de son corps, lun dans lautre nous ne formerons plus quun. Dans ma chambre il y a une chanson, il y a des regards. Tout ça, yeux fermés, dans le silence. Tant de vie ! Toute pleine daventures ! On peut senrouler dans lécho qui rebondit sur les murs, attraper la queue dune note de musique, semmêler les pédales les mains liées par une idée déraisonnable ! Ma chambre est parfois occupée, envahie, pousse-toi de là. Tant mieux. De toute manière, on ne dort jamais aussi bien que lorsque les yeux grand ouverts, tout lappareil sensible béant, traversé par la lumière du jour, on se couche dans la grande Chambre du monde sous la couverture du ciel. © Yaël Pachet, 2001 |