Yves Ughes / Prédelle

parmi les récents travaux d'Yves Ughes, à l'Amourier :
Décapole

 

 

 

avec deux interventions graphiques de Martin Miguel, proposées par l'auteur

 

 

 

e-mail / courrier pour Yves Ughes


Yves Ughes, photo Marc Monticelli

retour remue.net

partir ne fut pas difficile le bord de mer n’est plus que contracture le béton ravage les ovaires même
la marche vers le haut-pays conçue alors comme une liturgie
du baptême au partage trois montées autant dire un retable à trois compartiments

 

prédelle

en ce monde sans lieux la fécondation et l’engendrement ne sont que compositions de fortune
et toute chair que l’on priverait d’alcool se décomposerait en simple texture d’urgence
tu avances maintenant sur cette zone de racines nouées elles se dégagent parfois de la terre pour aller comme cordes incisées de lumière et désignant le vide
tu veilles à ne pas les effleurer car d’un claquement de paupières elles sont vipères défiant le silence
l’intensité de midi agit comme un appel du sang pour ces morts qui se cambrent encore dans la pierre
dans l’étirement d’en bas passent aussi un peuple de poussière et son troupeau de bêtes dépareillées aux ventres las
il te faut donc avancer dans le mystère béant du corps et rencontrer des hommes dont les mains offrent des clous rouillés aux relents d’urine
saisie par les poumons la trahison entre en toi comme combustion des siècles elle sera par le souffle retenuela roche se défait dans le temps comme une dent érodée elle libère un nerf à vif
sur ce sentier tout point d’arrêt menace de devenir pôle d’infection

il conviendra de cultiver la patience du geste s’approcher de Judas
l’Iscariote au ventre désormais béant
et purifier son abdomen en curant les cavités iliaques les frottant même de lavandes sèches
et participer ainsi sur le mode mineur à la révélation
le val d’enfer se situe dans ce corps traversant murs de mouches et les sarcasmes
et qui accepte pourtant la rage de la montée
l’eau pourrait bien être ici un miracle déserté
un bourdonnement insistant pour se mêler à la foule
je serai de la procession des échos calcinés
dans le bourdonnement du soleil sur les ordures de la cité
l’ânon sous le pas de sa mère tire un lait de senteurs

1ère montée
1. et maintenant et pour longtemps en cette lumière ne plus avoir affaire qu’au souffle des pierres et aller donc dans la régulation des odeurs
2. que chaque avancée soit accomplie pour dénouer le fer enserrant encore la roche du lieu
3. dans la concentration du pas vient s’encastrer le balancement du monde le chaos des pierres s’imprègne comme un signe des origines
4.
l’éboulis à peine convulsé par l’émergence des lézards te dit les précautions prises en son temps par le lieu
5. une ligne droite et longue est soudain tracée par le soleil dont les éclats tombent comme cris d’effraies dans l’effroi de la montée
6. retrouver par ces voies l’innocence de la sueur et l’innocence du sel
7. dans ces intensités ces extrémités on voit se dessiner les galbes de l’amante non loin
8. dans les replis l’enfant qui conçoit la paix comme une stèle d’accompagnement
9. ce lieu peut être saisi à hauteur de verre le vin dans ses veines
10. je me trouve à mi-chemin presque sur le point d’accepter l’ombre comme signe d’humilité 11. au loin comme depuis des siècles la mer s’est retirée laissant néanmoins sa fluidité aux filaments d’herbes sèches
12. les pavés sont ici comme mâchoires de l’instant enfin écartées
13. la succion de l’entonnoir acceptée par incandescence.
14. les arbres se font implants tenaces et lieu d’accueil temporaire
15. sentie dans l’ombilic des lumières la chair s’installe sous l’armature des hanches
16. ton instant est désormais ponctué par la route et ces bornes romaines solaires même
17. de la sorte basculent dans la cadence des pas inversés le ciel laiteux et ses nuages d’huîtres
18. s’ouvrent le flanc aride de la fécondité
19. la matrice circulaire des nourritures psalmodiées
20. et la scansion de l’eau se fait dans le fracas du corps
21. la violence d’arrachement que demande la marche est la même que celle que réclame le poème

 

2ème montée
1. dans les entrelacs de la ferraille sèche tu as ce matin le sentiment d’accéder à la vie par une chair rouillée auréolée de poivre
2. ici au moins tu ne décevras pas les pierres
3. ta seule tâche est d’arracher des pas et d’en témoigner
4. il en va tout autrement avec ces êtres aux chevauchées de mouches rencontres faites dans des zones de hangars aux paiements étoilés
5. le chemin qui s’abreuve ici sait également le roulement des voix les déchirements des étoffes et les déchirures de la peau aujourd’hui vendues en location
6. comme cygnes glissant sur des eaux lustrales
7. ami tu vas aujourd’hui par le souffle apprendre ces longues lignes empierrées par lesquelles tu te retrouves sur les flancs ensoleillés des femmes
8. ceux qui en noir et blanc intensifient les rêves des uns et puis des autres mais où donc triomphent les hymnes
9. il nous faut redécouvrir ces femmes neuves du matin
10. par la torsion des reins naissent en contrebas dans les éboulis des époques des peuplades ininterrompues
11. il est donc des morts qui n’ont pu résister à la pulsion des pylônes et d’autres dont le sourire s’est instantanément figé dans la salive
12. tu perçois bien avec ces buissons de cris en échardes que des gens se pressent en bas dans le florilège rauque de la logique des ordres murmurés
13. se dira toujours l’avenir cette dolente rumeur dans l’épanchement des plaies
14. il faut avouer que les élans protecteurs nous viennent de bureaux fermés de longue date à peine présents dans le souvenir
15. dans la sécheresse de la marche se recompose l’épaisseur
16. aux détours des crêtes les chiennes lâchent la senteur de leurs ventres constellés en semences battues
17. naissent les violences charnelles de la canicule
18. et si l’homme pour arrêter la peste acceptait le déchirement
19. dans cette coupole calcaire dans cette armature de côtes arrachées à l’arche sur ce chemin qui ne saura pas longtemps assurer la bénédiction du sol tout effondrement est fait pour que s’y encastrent les bouches purulentes
20. l’autre est là qui attend sa part de manteau
21. je cheminerais ainsi avec toi par des voies de discrétion et quand nous reviendrons nos fenêtres seront à nous-mêmes fermées

 

3ème montée

1. c’est une terre de paysages souffrants et l’on y va en des matins rêches avec le pas heurté des convois dérisoires

2. dans la fracture immédiate des collines passe le sang des hommes.

3. par ici les forêts sont grises et disent la vanité et l’incandescence des êtres

4. dans le déferlement des pas et des arbres se formule la transe dire ce qui se fera et sera sous les aisselles déphasées des ornières.

5. et dans leur sueur

6. creuser ainsi l’espace pour que les collines connaissent enfin un sens aller comme pour se définir dans le mugissement du verre.

7. l’azur acide trouant la pâte du lieu l’étirant comme sable en fusion

8. tel est l’espace de l’union il est des lèvres ouvrant le passage et des chiens qui se vident dans un spasme de lumière l’organe s’agence

9. comme traversant le mugissement de ce monde de vacarmes fourbu se crée en coupole l’extase du corps.

10. la voix peut même en ce lieu souffler la présence des arches définir la forme des crues par le sang libérées

11. dans la brume les mains façonnent les hanches et dans la chaleur noire des femmes circulent des corps incisés en vrille 12. se pleure à genoux la confusion des pierres par le temps sanctifiées

13. la détermination des veines rétablit la conscience

14. frères de hanche démise et de marche forcée vos composantes calcaires offertes vos luxations dans le martèlement des battues composent nos pas

15. elle marchait les seins lourds comme actions de grâce glissant sur des instants de solitude le sentier se faisait toujours plus abrupt vers l’œil de la coupole

16. soutenue par l’arc des collines sa voix n’était que mouvement de lessives disait-elle il faut oublier la mer dont la grimace ourlée de béton ne constitue que bord figé

17. il nous faut oublier cette côté tirée de nous- mêmes désormais livrée comme à l’étal

18. aucun pas de lumière ne peut se faire sur ces galets monnayés ensablés morts à toute revendication

19. disait-elle et l’ascension dénouait la sueur comme pleurs en signes salés de l’ampleur des entrailles

20. car l’union ne s’accomplit que sur la pierre interne des ventres là où se noue le divin et qu’était-elle sinon un guide à la sueur savoureuse à travers l’odeur des arbres

21. elle marquait le manque d’eau et de parole nous avancions désormais vers l’arc central et l’on entendait déjà la Siagne sur ce rocher fracassé

c ’était hier et par les ratures du corps fut dit l’émerveillement

Grasse, le 24 juil.-03.