Louise Warren / bleu inédit

 

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on a déjà accueilli Louise Warren sur remue.net pour September Song - elle vient récemment de publier aux éditions québecoises L'Hexagone Soleil comme un oracle - courrier via le site

Bleu inédit
© Louise Warren

 

 

Bleu et lueur, deux mots qui me sont familiers. Le bleu pour le bleu, ce qui veut dire un bleu plus vaste, un bleu ouvert qui est devenu chez moi, l’objet d’une pratique, d’un atelier. Le bleu non pas comme couleur mais comme objet poétique, un mot détaché de la blessure à la fois pour la circonscrire et la dépasser, pour la rendre autre. Lueur, pour le trait qui sans cesse revient dans l’espace, habite, éclaircit la trouée, produit la voix. Deux mots qui veillent la blessure et s’unissent dans le même processus de création. Dans bleu, j’entends eux, les autres. Si je parle du bleu, est-ce que je parle de l’autre?

Dire le bleu ouvert, c’est en réinventer la forme. Le bleu traverse les siècles et répond certes au désir de se lier à des sources infinies, inépuisables, telle la nuit. Il en va de même de la recherche de la lumière. L’être qui ne cesse de produire des lueurs, qui s’instruit de chaque rayon du jour, parle au soleil et joue avec les degrés du bleu comme d’un présent infini.

Bleu ouvert. Quel est ce bleu, ce nouveau mystère, cette nouvelle présence? Est-ce l’espace dans lequel plonge le poème, espace qui le dépasse, lieu qui le rassemble? Ouverture qui ressemble à celle de la blessure car dans ce lieu circulent les mouvements qui produisent le corps de la création et qui, en lui donnant son autonomie, lui permettent d’atteindre sa complétude. Est-ce après avoir effectué ce parcours que le bleu tracerait un cercle de plénitude, une figure d’amour, des marques d’amour?

Prendre soin de la blessure, tel est le rôle du poète, de l’écrivain, de l’artiste. Cela commence enfant par des objets que l’on berce, par la branche cassée que l’on garde, le nid si minuscule tombé de l’arbre auquel on ajoute un peu d’herbe et le genou, le genou qui saigne cesse soudainement de saigner à travers une voix. Magie de la voix, de cette lueur qui apaise, monde qui brille de l’intérieur. Théâtre qui invente des bijoux pour le cœur et l’esprit. L’œil s’ouvre, la main s’agrandit, la voix chante, la blessure au cœur du monde vibre dans la voix même du poète, brille de tous ses feux. Il en produit une matière solaire, une présence chaleureuse, une intimité retrouvée, un profond attachement. L’isolement de l’hiver, l’éloignement de l’ami, le cri de glace et les rubis s’inscrivent dans le livre. Autant de marques d’amour qui s’accrochent à la terre, à cette sphère qui roule entre les faisceaux lumineux du jour et de la nuit et que le poète traverse en poussant son noyau d’obscurité et de joie vers une forêt tropicale, vers un nouveau visage. Ainsi allume-t-il d’autres objets, une montagne sombre, un fjord, une lettre infinie qu’un autre poisson volant attrapera.

Cela a pour titre Histoire naturelle. Ce sera un long poème, il y aura des photographies. Un animal fabuleux me regardera dans les yeux. Des squelettes apparaîtront deux par deux, des serpents s’élèveront en lentes fumées, un platane recevra le vent, les oiseaux prendront des bains d’or et de thé, je parlerai du visage des plantes, des mains des grands-mères, de la tête d’un arbre tombée dans l’eau. Je dirai l’absence infinie et la nuit dans mes bras, les étoiles des villes, je dirai que je t’attends dans un coin du monde, je dirai les morts et les morts, l’histoire, et le ciel couché sur le dos de l’éléphant. Je dirai les mots encore et encore. Je dirai dors mon ange, repose-toi mon amour, et ce sera toujours ma voix et ce sera aussi paisible que l’herbe dans l’eau verte des blouses. Mais ce ne sera pas encore assez de beauté. Nous contemplerons les cornes et les osselets, la peau des tortues dans l’eau du soir. Je laisserai la tige de la plante monter, se pencher, j’en ferai une liane d’eau, je la laisserai pousser l’air. Pour toi, pour toujours, ce sera le don magique d’un fa mineur. Je te montrerai comment l’arbre et le nuage se séparent, à quelle lenteur regarder le monde et nous verrons ensemble les oranges tomber dans la gueule du lion, les oiseaux frémir sous la pluie, j’entrerai dans ta chambre, je verrai l’échelle, celle qui laisse passer les objets. Oui, les cheveux seront muets, tu verras que mon cou est un lieu petit, chaud et seul, puis nous regarderons la blessure. Nous nous approcherons du bleu, nous irons au bord, nous resterons tout près. Pas de larmes. Une scène de beauté et d’harmonie.