Sorbonne du matin

(La souris matraque l’image.)

« Charles Fourier observant, au cours d’une insurrection, avec quel soin et quelle ardeur les émeutiers dépavaient une rue et élevaient une barricade en quelques heures, remarquait qu’il aurait fallu pour le même ouvrage trois jours de travail à une équipe de terrassiers aux ordres d’un patron. Les salariés n’auraient pris à l’affaire d’autre intérêt que la paie, au lieu que la passion de la liberté animait les insurgés.
Seul le plaisir d’être soi et d’être à soi prêterait au savoir cette attraction passionnelle qui justifie l’effort sans recourir à la contrainte.
Car devenir ce que l’on est exige la plus intransigeante des résolutions. Il y faut de la constance et de l’obstination. Si nous ne voulons pas nous résigner à consommer des connaissances qui nous réduiront au misérable état de consommateur, nous ne pouvons ignorer qu’il nous faudra, pour sortir du bourbier où s’enlise la société du passé, prendre l’initiative d’une poussée de sens contraire. Mais quoi ! On vous voit prêts à vous battre et à écraser les autres pour obtenir un emploi et vous hésiteriez à investir votre énergie dans une vie qui sera tout l’emploi que vous ferez de vous-même ?
Nous ne voulons pas être les meilleurs, nous voulons que le meilleur de la vie nous soit acquis, selon ce principe d’inaccessible perfection qui révoque l’insatisfaction au nom de l’insatiable. »

Raoul Vaneigem, Avertissement aux écoliers et lycéens (Editions Mille et une Nuits, 1995).

Ce matin 15 mars, les environs de la Sorbonne sont vraiment calmes, un rayon de soleil joue à effacer les traces des affrontements de la veille.

Sur la place elle-même, des barrières séparent les gardiens de l’ordre, en calot et écusson rouge de CRS sur la manche, leurs camionnettes blanches dans le dos, des quelques groupes d’étudiants ainsi empêchés d’étudier (les rues de la Sorbonne et Saint-Jacques sont bloquées : on ne passe pas !), mais ceux-ci discutent de leur avenir donc du CPE, installent de petites tables, distribuent des tracts, servent du café en gobelets.

L’ambiance est pacifique.
Il n’y a pas cours, camarade, le vieux monde est derrière toi !

Cinq policiers en civil surveillent sans punir, le long de la vitrine du magasin Gap, derrière la statue d’Auguste Comte qui n’a pas été abîmée : on les reconnaît facilement au grésillement de leurs talkies-walkies s’échappant de leurs blousons.

Plane dans l’air comme une certaine attente, mêlée à quelques souvenirs historiques. Un slogan a fusé hier soir : « Quand la jeunesse a froid, le monde claque des dents !  ».

Des profs, ce sont sûrement des profs, se tiennent au milieu de groupes animés.
La parole est libérée, la Sorbonne est cadenassée, comme l’est définitivement la librairie (ex-PUF) qui porte encore son nom.

Pour pouvoir aller regarder les livres de la Librairie philosophique J. Vrin, dans cet autre lieu qui demeure vivant, malgré la houle des événements, et est maintenant encerclé de ces lourdes barrières-projectiles, il suffit de lire l’écriteau fraîchement tapé sur ordinateur : « Pour entrer, prendre la porte à gauche ».

Les cafés environnants servent de « poêles » à discussions. Comme les autres, Le Sorbon fait recette : il est fort bien situé (pas loin de la boutique Descartes) dans la rue des Ecoles, un nom tellement porteur de promesses.

Un peu d’Histoire :

http://www.paris-pittoresque.com/monuments/21b.htm

Dominique Hasselmann

15 mars 2006
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