Reverbs

Les phrases simples de Bruno Fern.


Il arrive fréquemment que la contrainte libère la pensée en la stimulant assez pour l’amener, de fil en aiguille, à ouvrir des chemins de traverse que l’auteur emprunte alors avec plaisir, surpris de les voir se présenter à lui de façon si naturelle. C’est ce sentiment qui domine quand on entre dans le livre de Bruno Fern. Son projet initial, d’ailleurs tenu, est de bâtir un ouvrage uniquement composé de phrases simples.

« Ce livre est uniquement composé de phrases simples.

Rappel du CE 1 : "une phrase simple ne contient qu’un seul verbe conjugué".

Cela dit, contenir peut s’employer dans des sens différents.

Ex. : la police contient la foule des manifestants. »

Le ton est d’emblée donné. La phrase a beau être simple, elle n’en demeure pas moins composée de mots qui peuvent prêter à des interprétations différentes en chamboulant facilement la logique, en jouant à l’improviste avec (ou sur) la cause et l’effet et en malmenant (sans le vouloir) la construction syntaxique.

Tout ici est dans l’accumulation. Les phrases se suivent de page en page mais ne peuvent évidemment pas ne pas être dépendantes les unes des autres. Ce qui fait sens se trouve dans cet enchaînement subtil et subjectif que Bruno Fern construit avec malice. Il n’hésite pas à se servir (et à détourner) des expressions usuelles, à suggérer des associations d’idées, à prendre appui sur la phonétique, à s’amuser en poussant le bouchon toujours un peu plus loin.

« Le tour est joué.

Le jour est tué.

Son cadavre quasi invisible jonche les rues. »

Il compose ainsi, mine de rien, passant du coq à l’âne, un ensemble qui réjouit par ses nombreux zigzags et l’agréable (régulière) survenue de ces intersections où, le nez au vent, l’auteur ne sait quelle direction prendre, s’en remettant toujours à son intuition, certain que celle-ci va lui faire découvrir quelques sentiers peu visibles, tapis dans les sous-bois de la langue et de la réflexion. Cela demande une attention de tous les instants.

L’esprit apparemment volage (mais en réalité très affûté) de ce maître des labyrinthes ne peut se partager que si le lecteur consent à le suivre à la trace. Et d’un bout à l’autre. Il est bon de respirer à son rythme. De respecter l’interligne qui sépare chaque phrase. Il ne faut pas le lâcher d’une semelle. Il peut tourner sur lui-même, longer ses rêves, polir le verbe, regarder le ciel qui se reflète dedans, y ajouter une couleur, une odeur, couper une petite phrase d’époque (contemporaine) au canif et, bien sûr, changer de direction en un éclair.

« L’écriture oublie parfois de mettre son clignotant.

Elle accélère à fond.

Dévoile la hauteur de la marche.

(Soyez prudent en descendant du livre.) »


Bruno Fern : Reverbs, éditions Nous.

14 mars 2014
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