Nicolas Jaen | Elle est encore plus seule, dit-il...

Ce texte inédit est extrait de la troisième partie d’un ensemble intitulé Des nouvelles du ciel. Les deux premières parties ont été publiées par la revue nerval.fr de Publie.net
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Julie par Danièle Flayeux
Danièle Flayeux




Devant la mer, écrit-il. Elle pressent un paysage derrière le paysage. Elle voit des côtes, des récifs, des rivages. Des plages de silence et de temps. Cachées là, derrière. Pourtant tout autour n’est que mer, eaux stables et couchant. Le soleil dégouline en tombant dedans. Happé. Plus tard, à l’âge adulte, elle pensera à la mer. Souvent. Parce que la mer remonte en elle et la déborde elle ne se libérera jamais de la mer. Elle sera son antidote, son gris-gris en cas de misère. Elle sera sa foi, son dieu. Dieu ? La mer, écrit-il. Devant la mer. Exactement là. Le soleil lui donnait l’or et les bijoux. La mer la regardait de son milliard d’yeux. La toisait, la mer. Aussi en elle il fallait s’abîmer toute dévêtue, ôter tous ses bijoux et s’offrir. Ainsi la mer allait, sous elle, comme un animal onctueux proposant son plein. Le vide ? Quand le vide tomba en elle, écrit-il. Quand elle sentit la main du vide venir toucher sa main. Et elle sauta. Et là encore ce fut la mer, de partout, plus d’air. Elle remonta vers les lueurs clouées. Elle reprit souffle à la surface. Quand le vide tomba en elle. Et il rajoute : Quand elle eut de la peine à regarder voler les oiseaux plus libres qu’elle, entre les branches ses prisons bleues. Il y eut une ville après la mer. Il y eut une place où la solitude avait sa statue. Il y eut une sœur.
Avant les heures fiévreuses, avant les frissons il y eut cette vie, près du pont Paradis, du lieudit. À tourner autour de cette zone-là. À vivre « le vert paradis des amours enfantines », à vivre des poèmes par les prés, par les champs, par une petite rue où est une maison de pierre, dans un village au nom anguleux comme un caillou. Tout le ciel au-dessus était à elle. Alors elle regarda le ciel. Elle dit : c’est bleu, les rêves, la nuit. C’est doux comme un cachou. C’est elle, elle, écrit-il.
Le soleil entre par la fenêtre. Victorieusement. Les pierres absorbent sa chaleur, tout est chaud et pourtant c’est l’hiver. Il y a des poupées, elles s’appellent Maria, Clémentine, Sylvia. Elles sont au nombre de trois et règnent sur la chambre d’enfant. Elles ont des peurs de porcelaine quand passe Grisou, le chaton gris qui bouscule tout sur son passage et se fait les crocs. Une pelote de laine. Une table basse où traînent des dessins. La mère, le père. La sœur. Et le soleil par la fenêtre, écrit-il. Il rajoute : compter les pas perdus. Dans cette chambre.
Il respire.
Devant le ciel comme devant la mer, écrit-il. Qu’elle voit de sa fenêtre. Jusqu’à ces nuages porteurs d’eaux. Tout de coton et de grâce. S’arrachant. À la palissade blanc cassé. Aux gouffres de la terre. Les laisser prendre la forme d’un chameau, d’une femme allongée dans le ciel. Pensant lascivement, rêvant. Elle en somme. Ce qui sera elle.



Nicolas Jaen
Photographie : Julie © Danièle Flayeux

13 mars 2015
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