Icare au labyrinthe

Roman de Lionel-Édouard Martin.


Juillet 2015. Une voiture roule sur les routes départementales qui sillonnent les puys d’Auvergne. Elle s’arrête fréquemment, sur le parking d’un restaurant ou d’un hôtel, avant de repartir àl’aventure, allant des monts du Forez aux plaines du Poitou, dans un "road movie" que le conducteur (et narrateur), écrivain àla cinquantaine bien entamée, souhaite libre et improvisé. Il voyage en compagnie d’une jeune femme, vingt ans tout au plus, qui semble bien réelle et délurée. Il ne l’a pourtant inventée que le mois précédent, alors qu’il était assis sur la banquette de moleskine d’une brasserie parisienne. Il l’a aussitôt prénommée Palombine, en hommage àPlombagine, "la fée du Condurango" qu’évoquait naguère Léon-Paul Fargues.

« Â Elle est Palombine, aérienne et claire, manifestement colombe àla ressemblance du Paraclet, si tant est qu’elle existe et ne se résout pas en une fiction de pure utilité romanesque, jeune fille censée m’accompagner dans mon périple et m’évitant le soliloque  ».

Elle va devenir bien plus que cela, prenant rapidement toute sa place et donnant àl’écrivain, qui ressemble beaucoup àLionel-Édouard Martin, quelques clés pour entrer dans ce monde actuel qu’il semble avoir un peu délaissé en s’arc-boutant sur un passé chargé de nostalgies. Elle l’appelle affectueusement Lio-Lio et lui assène, avec ses mots àelle, qui n’ont rien àvoir avec les siens, quelques vérités qui tournent plus autour du bon sens (qu’elle manie àla perfection) que de l’intellect (dont il a appris – et ça tombe bien – àse méfier).

Un jeu, teinté d’une sorte de légèreté, se met ainsi en place. Deux générations, deux façons d’être et d’appréhender la vie s’expriment sans vraiment s’affronter. Lionel-Édouard Martin conduit son récit àsa main, le frottant aux paysages, àl’étymologie des noms de lieux, aux plaisirs du palais et àcertains faits rattachés àl’histoire des localités traversées. Il aime le passé mais n’est pas de ceux qui prétendent que tout était mieux avant. Sa Palombine est làpour le rabrouer s’il déraille. Ce qu’il ne fait pas. S’il lui arrive de se moquer de lui-même et de ses clins d’œil dans le rétroviseur (il revoit alors, pêle-mêle, en un éclair, un lapin éborgné pendu àl’envers, une vieille morte au bourg de Chailly, un couple d’escargots coïtant sur une berme détrempée) c’est pour mieux revenir au présent, s’y promenant avec, empilés dans sa besace, un tas de souvenirs et de livres qui l’ont fait grandir.

Les dialogues fusent. Qui rythment une narration bien moins désinvolte qu’il n’y paraît. L’écrivain la manie àla perfection. Il s’y montre àson aise, brouillant les pistes ou clarifiant les choses, selon l’envie ou la nécessité, ou selon l’interlocuteur qui lui fait face, tel cet imprimeur-éditeur au verbe maniéré qu’il visite en cours de route, ou ce concepteur d’événements culturels pour happy few qui l’invite àlire ses poèmes en public en région parisienne, làoù va se terminer une balade qui semblait pourtant pouvoir se poursuivre longtemps encore. Il suffira d’une page, écrite au cÅ“ur d’une flaque rouge sang, au couteau sur un trottoir de banlieue , pour que tout s’écroule. Manière de clore un rêve qui n’a peut-être pas eu lieu. Et de dire adieu àun personnage qui disparaît brutalement, laissant une empreinte légère, une belle clarté, une joie de vivre, tant dans les mémoires que dans l’œuvre (forte) de celui qui, avant de nous réserver ce coup de massue, nous aura permis, une fois encore, de flâner àses côtés sur les berges de la Gartempe, cette rivière qui coule souvent dans ses livres.


Lionel-Édouard Martin : Icare au labyrinthe, éditions du Sonneur.

1er juillet 2016
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