Benoît Artige | Figures libres, Sarah Bernhardt

Elle avait fini sa vie avec une jambe de bois du fait de la gangrène et une certaine confusion régnait pour établir s’il s’agissait de la gauche ou de la droite, aucune photographie d’époque ne permettant de privilégier une hypothèse plutôt que l’autre. En dernier recours, il aurait fallu, pour le savoir, exhumer sa dépouille, ce qui répugnait à tout le monde ; et puis, à quoi bon savoir sur quel pied — le vrai — elle entrait en scène sans claudiquer avec cette allure princière qui avait fait sa gloire pour réciter ses tirades d’une voix qui vous perforait l’âme – ainsi que l’on pouvait le lire dans les témoignages laissés par ses contemporains qui étaient bien moins diserts en ce qui concernait le membre amputé. Le droit ou le gauche, donc, on ne savait pas et on n’avait peut-être jamais su, ce qui ajoutait au mythe du flou et de l’incertain ; il n’était pas impossible même — les légendes s’introduisant parfois en bernard-l’ermite dans les coquilles vides de l’Histoire dans le seul but de se faire passer pour des faits indubitables — que la comédienne ait conservé ses deux jambes intactes jusqu’au tombeau.

2 février 2019
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