11/12. Bushi no nasake – la tendresse du guerrier

Il est des livres impossible à résumer, et cette impossibilité tient à leur densité, à l’épaisseur et la profondeur de ce qui circule entre leurs lignes. D’une certaine manière, tous livre l’est. Ou mieux : tout bon livre l’est (je me garderai bien de définir ce qu’est un bon livre, des plus coriaces que moi y ont laissé la santé). Les livres, on raconte leur histoire, on tente de donner une idée de la langue dans laquelle ils sont écrits, mais – faisant cela – on schématise grossièrement, on se prive d’une qualité essentielle du livre : sa lecture en intégralité.
Bushi non nasake est trop dense pour être résumé. Je peux en dire quelque chose, bien sûr, je peux écrire qu’il s’agit d’un traité, un traité de vie qui emprunte au karaté sa discipline. C’est un livre-do, puisqu’en japonais « do » signifie « voie », pour désigner l’apprentissage et le cheminement vers la réalisation de soi.

« Je crois que le do est la plus ambitieuse et la plus riche perspective qui soit offert à l’homme que je suis. Une quête d’un soi meilleur, plus conscient de l’immensité des possibles et qui n’a aucun compte à rendre aux religions et aux idéologies. Dont l’éthique comme l’espérance sont personnelles et pour qui l’amélioration du jugement et de la pensé est la seule arme politique dont il se sente authentiquement doté. Mais la voie, parce qu’elle n’emprunte en rien les tracés loués par l’économie et le marché, constitue, en cette époque et à cet endroit du globe d’où j’écris, un acte de résistance ».

Pour parler de ce livre, il faudrait en recopier l’incipit, également, une citation de Yukio Mishima, extraite du Soleil et l’acier (Gallimard, 1973).

« Ces derniers temps, j’ai eu le sentiment qu’en moi s’accumulaient toutes sortes de choses qui ne peuvent pas trouver leur juste expression à travers une forme d’art objective comme le roman. A vingt ans, un poète lyrique y réussirait-il peut-être, mais je n’ai plus vingt ans et, du reste, je n’ai jamais été poète.
J’ai donc cherché, à tâtons, une autre forme mieux adaptée à des propos personnels de cet ordre et j’ai abouti à une espèce de compromis entre la confession et la critique, à un mode d’expression subtilement ambigu qu’on pourrait appeler la « critique confidentielle ».

C’est aussi le sens d’une formule que l’on trouve plus loin dans l’ouvrage, le watakushi-shôsetsu, ce courant littéraire japonais que Philippe Forest traduit par « le roman du je  ».

Alors, pour résumer le livre de Christophe Fourvel, il faut dire cela : il s’agit ici d’une critique confidentielle qui est un roman du je dépouillé de tout l’impudique déballage que l’on nomme parfois « autofiction ». L’autobiographie est celle d’une pensée.

« En 2050, je n’existerai plus. En 2100, tous ceux que j’aime aujourd’hui n’existeront plus. C’et une toute petite histoire. Le « je » que je prononce ne pèse rien.

Sauf à trouver le « je » qui est le vase.

La qualité d’un vase est d’être fait de vide. Un geste d’attaque doit trouver un espace vide pour se développer, croître, s’armer. De la même manière, la résonance d’une parole existe à proportion du vide qu’elle traverse. »

L’autobiographie d’une pensée-vase que le lecteur emplit ou entend ré(rai)sonner à sa guise.

Je continue mon impossible résumé : il faut dire que le livre est constitué de cinq parties, chaque partie est un combat, et chaque combat est associé un kata (un enchaînement de gestes techniques, commençant toujours par une défense : le karatéka n’attaque jamais en premier).
Les combats se déroulent face à la peur ou la honte, face au vieillissement, face à la mort, face au désir et à la sexualité, et enfin, face à l’estime de soi.

Et là, j’arrête net ma tentative de résumé, un petit sourire au lèvres, j’avais prévenu de toutes manières, le reste du livre, il faut le lire, parce que Bushi no nasake est un livre d’apprentissage, qu’on doit le lire à son rythme, qu’on doit le relire parfois, lentement ou rapidement, c’est selon, et que je fais le pari que chacun y trouvera une phrase à lui essentielle. La mienne se situe vers la fin, il est question de littérature, Christophe Fourvel écrit :

« La littérature réunit une communauté de gens blessés au sein de laquelle la nature exacte de la blessure n’importe pas. Elle est la conscience de la blessure. Ne nous inquiétons pas le l’hétérogénéité des chagrins, ils finissent par se rejoindre dans le monde de Dostoïevski, de Céline, de Faulkner, de Beckett, de Proust. La littérature est le point commun des blessés contre ceux que les certitudes remplissent. Il suffit de compter les blessés pour être optimiste ».

Bushi no nasake – la tendresse du guerrier, de Christophe Fourvel, éditions la Fosse aux ours.

9 mars 2011
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