Atelier lycée Gustave Ferrié Paris X

Hakim Bah a mené pendant près de six mois un atelier de création avec les élèves de la mission de lutte contre le décrochage scolaire aux côtés de la metteure en scène Audrey Bertrand. Ensemble ils ont travaillé à la réécriture de Médée présentée au Tarmac le samedi 2 juin 2018.

Une réécriture de Médée par les élèves de la Mission de lutte contre le décrochage scolaire du lycée Gustave Ferrié accompagnés par Hakim Bah.

Extraits du texte La Revanche de Médée

Nous sommes du 9ème
Nous venons de Stalingrad
Nous sommes des Tarterets
Nous venons du boulevard Malesherbes 75008
Nous sommes de Crimée
Nous venons de Bes-Bar
Nous sommes de Danube
Nous venons de la goutte d’or
Nous sommes de la rue d’Aubervilliers
Nous sommes devant vous
Regardez-nous bien
Nous sommes devant vous
Nous vous parlerons de Médée
Nous vous parlerons de Jason
Nous vous parlerons de Créüse
Nous vous parlerons de Créon
Nous vous parlerons
Nous vous parlerons
Mais
Nous ne sommes pas Médée
Regardez-nous bien
Nous ne sommes pas Jason
Regardez-nous bien
Nous ne sommes pas Créon
Regardez-nous bien
Nous ne sommes pas Créüse
Nous ne sommes pas
Regardez-nous bien
Vous nous voyez ?

1 -
Je repense à notre passé. Il m’a trompée. Avec tout ce que j’ai sacrifié pour lui, il ose me tromper. Je dois me venger car j’ai la rage contre lui.
Je m’appelle Médée, je suis tombée amoureuse d’un jeune homme qui s’appelle Jason. A cause de lui, je ne mange plus, je ne fais que boire, boire, boire, boire, boire.
Je suis trahie, je finis toute seule et je veux me venger de ce que Jason m’a fait. Je réfléchis de quelle manière je vais pouvoir me venger. Je suis complètement désespérée. J’ai sacrifié vraiment beaucoup de choses pour lui.
Je vais fumer une clope, je suis trop stressée. Cette enflure va entendre parler de moi.Demain, à la première heure, je vais les traumatiser lui et sa nouvelle famille. Ça ne se passera pas comme ça ! J’ai sacrifié toute ma famille pour ce pauvre con et il me largue pour la fille de Créon ! Elle a quoi de plus que moi ?
Je m’appelle Médée. J’ai trahi et tué mon frère pour Jason. Et, maintenant qu’il a trouvé une autre fille, il me quitte. Je le hais, c’est une enflure. Je suis désespérée, triste et énervée en même temps. Il a même pris mes enfants. Je suis finie.
Je ne suis pas bien. J’ai du mal à ouvrir les yeux car je ne veux pas voir le monde.
Comment tu peux me faire ça alors que je t’ai tout donné Jason ? Toi qui disait que notre amour était si fort, qu’on traverserait le monde ensemble.
Toutes ces promesses n’étaient que des mensonges ?
Jason !
Jason !
Jason !
Je m’appelle Médée. Mon époux est Jason, nous avons deux enfants. J’ai tué mon propre frère pour m’enfuir avec Jason. Je regrette mon geste je regrette. Jason doit payer.
Jason va payer.
Ce bâtard.
Le réveil sonne.
J’ai du mal à me lever.
J’ai très mal à la tête.
J’ai mal aux yeux, ils sont gonflés, j’ai trop pleuré.
Je suis à bout à cause de ce connard !
Jason !
Jason !
Jason !
J’ai mis ma vie à plat, je suis à zéro.
Il faut que je trouve un moyen de me venger.
Je ne le laisserai pas comme ça, ah non, faut pas que je me remette à pleurer !
Je vais aller le voir, descendre ce connard.
Il faut que je me procure une arme et que je prépare un plan.
Quelqu’un peut me prêter une arme ?
M16 ?
Famas ?
Une M4 ferait l’affaire ?
Non ?
Un P39 mieux ?
Beretta Parfait non ?
J’ai tout fait pour lui.
Je me sens trahie trahie trahie.
Anéantie.
Je ne sais plus quoi faire.
J’ai cru que Jason était l’homme parfait alors que, ce n’est qu’un sale traître, un vrai connard !
Il m’a blessé, moi aussi je vais lui faire du mal.
Il verra de quelle façon je me vengerai !
Il regrettera toute sa vie de m’avoir trompé.
Je ne suis pas le genre de femme qui se laisse faire !
Je suis Médée.
Je vais le défoncer !
Je suis Médée.

2- Chœur
Créüse !
Jason !
Jason !
Ils sont trop beaux.
Médée n’allait pas avec lui.
Grave, trop bizarre leur relation, c’était trop malsain, heureusement qu’il a choisi Créüse.
Soyons francs, elle est bien plus belle !
J’ai l’impression qu’elle est plus saine que Médée.

3- Chez Médée.
Ça frappe à la porte.

Copine : Médée, ouvre la porte ! Ne fais pas de conneries !
Je suis avec mon cousin le serrurier.
Ouvre la porte ou on va l’enfoncer !

Médée ne répond pas.
La copine et le serrurier enfoncent la porte.

Serrurier : je fais quoi moi ?

Copine : Attends-moi dans la voiture.

Copine, découvrant Médée : Oh, mon dieu !
Médée, ça va ?
Médée !!
Médée !!
Réveille-toi !

Médée : Qu’est-ce que tu veux ?

C : Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

M : J’ai raté ma vie.
Mon amour m’a trompée.
J’ai tout perdu pour lui et maintenant il est avec une autre.

C : Ne te décourages pas.
Tu as encore toute la vie devant toi !

M : J’ai dû délaisser mes enfants pour lui.
Il faut que je tue celle qui l’a séduit !

C : Médée ! T’as grave merdé, regarde-toi ! reprends-toi en main la vie est longue et il te reste encore beaucoup de choses à vivre.

M complètement bourrée : Dis-moi quoi, donne-moi une raison de vivre, j’ai sacrifié toute ma famille pour cet enfoiré.
J’ai tué mon propre frère pour lui.

C : Je comprends mais ce genre d’épreuves est censé te rendre plus forte. On apprend de nos erreurs alors lève-toi et prends une douche avant tout.

M : Laisse-moi tranquille !

C : Je suis là pour t’aider.
T’as plus d’amis et plus de famille.
Il te reste que moi.

M : Je suis verte, cet enculé m’a littéralement niqué.

C : Oublie-le et habille-toi on va prendre l’air !

M : J’ai tout fait pour ce connard pour qu’au final je finisse toute seule, sans rien.

C : Ça sert à rien de te mettre dans cet état.
Je te conseille de parler avec lui et de vous expliquer.

M : Non, je vais me venger !
Je vais les tuer lui et sa femme.

C : Tu vas avoir des problèmes.

M : J’ai tout perdu à cause de lui.
Je vais le tuer !

C : Il ne faut pas être si radicale !
Attrape ma main, Médée, je vais t’aider à te lever.
Vas te laver le visage, ça va te changer les idées.

M se faisant accompagner à la salle de bain : C’est vraiment un gros connard !

C : Oui en effet, il ne te mérite pas.

Le téléphone de la copine vibre, elle sort son téléphone.

C : C’est le boulot, il faut que je file. Vas te laver. Je reviens plus tard.

La copine sort.

12.5 - Créüse
Je suis Créüse mon père est le chef et parce que c’est le chef, on doit lui obéir, il y a un mois il est venu me voir et il m’a dit que j’épouserais Jason , c’est vrai qu’il est beau mais je ne l’aime pas, il est beau de loin mais de près il est répugnant, il est arrogant et il sent l’ail et le sang, il a les ongles sales, des poils lui sortent du nez comme de petites araignées aux longues pattes fines et noires, sa transpiration est forte, acide , elle s’accroche à vos vêtements toute la journée, il faut se frotter le corps jusqu’au sang pour se débarrasser de son odeur noire, je hais mon père et toute cette génération de bâtard, ils me volent mon corps , ils me volent ma jeunesse, moi ce que j’aime c’est marcher les pieds nus dans le sable au coucher du soleil, sentir le sable encore chaud s’enrouler autour de mes chevilles. Je ne veux pas être ce sac à enfants qu’ils jetteront aux orties aux premiers babillements de l’héritier.

Médée renverse une bouteille de sang sur Creuse et laisse la bouteille par terre, la jette.
Médée fait un signe pour les défiger.
Creuse se rend compte peu à peu de ce qui lui tombe dessus. Elle meurt peu à peu en voyant les autres reculer, s’enfuir. Elle les supplie. Tous sortent sauf Jason qui arrive au ralentit vers Créüse.

13- 19h, sur la place du marché.

– De ce que j’ai entendu dire, elle les a étouffé.
– Non, arrête de dire n’importe quoi, tais-toi s’il te plait.
– Moi je sais ce qui s’est passé, Elle les a jeté dans l’eau. Noyé les enfants.
– Et comment expliquer le sang qu’on a trouvé ?
– Le sang dans la cave ? Parce que c’est là qu’elle leur a coupé la tête avec une hache !
– Oui, elle les a décapité et brulé à l’Eristoff !
– Impossible, c’est pas ça, c’est sur !
– Non, elle les a tué au couteau.
– Avec un couteau suisse, on dit ça ! Elle l’a planté dans le cœur, le sang giclait de partout, et après elle les a mis dans des sacs poubelles.
– Et jeté dans le lac !
– Non, avec un opinel 13 pas un couteau suisse ! Et elle a commencé par le plus jeune.
– Moi, j’ai entendu dire que quand elle a tué le premier, le deuxième hurlait.
– Celui qu’elle a gazé avec une bombe lacrymogène ?
– Non, de ce que j’ai entendu dire ça serait pas elle, à ce qui parait ça serait Créüse par jalousie.
– N’importe quoi ! C’est elle, c’est Médée c’est sûr.
– Sur BFM TV, ils disent qu’elle leur a tiré dessus, elle Médée. On peut leur faire confiance à BFM TV.
– Regardez, lui c’est pas le vieux fou qui sait tout ?
– Lequel ?
– Tu sais celui qui habite en haut.

Le vieux Fou : Médée est venue le soir et a emmené les enfants de Jason. Je les ai suivi, Médée et les enfants.
Elle les a amené dans une forêt, moi j’étais à cinq mètres, caché, elle a commencé à dire « je suis désolée mais votre père m’a trahi, à lui de souffrir maintenant » et elle l’a répété plusieurs fois « je suis désolée, je suis désolée ». Puis elle a pris un couteau et a poignardé le plus grand.
Une minute après elle a égorgé le bébé. J’étais tétanisé, je ne pouvais rien faire.

– Je vous comprends. Vous êtes fragile.
– Justement
– Dites-nous, elle est partie vers où ?
– Vers le nord.
– Venez, on y va
– Non.
– Non !
– Non.

14 –

Médée : Tu te rappelles le jour où toi et moi on s’est rencontré ?

Jason : Tu as tué nos enfants je te rappelle.

Médée : Les enfants on peut en refaire, c’est pas un problème ! Repartons sur de bonnes bases, toi et moi, on oublie tout ce qui s’est passé.

Jason : Je crois que tu ne te rends pas compte, toute la ville est au courant, ils te cherchent, ils veulent ta peau.

M : Je m’en fiche, c’est toi que je veux.

J : Ne me touches pas, dégage !

M : Tu aimais bien quand je te faisais ça …

J : C’est fini, je ne veux plus de toi, je ne peux plus te regarder sans que tu me dégoutes ! Sors de ma vie !

M : Tu vois ces larmes ? Celles qui coulent et qui me démaquillent ?

Jason ne répond pas et lève les yeux au ciel.

M : Mais Jason putain ! Jason !! Jason !!
Tu comprends rien, tu crois que j’ai fait tout ça pourquoi espèce de con ?
C’est parce que je t’aime. Je suis amoureuse de toi. Tout ça c’était pour t’ouvrir les yeux parce que je sais que tu m’aimes. Je suis la femme de ta vie. Toi et moi c’est pour toujours !

J : Ne joues pas la victime, tu m’énerves !

Médée va vers Jason pour le prendre dans ses bras.

J : Arrête, tu me fais de la peine !

M : Pourquoi tu pleures ? Tu m’aimes encore c’est ça ?

J : Tu nous as perdu, cette idylle c’est toi qui l’a enterré, je ne veux plus de toi, tu n’aurais jamais dû toucher à nos enfants…

Médée essaie de l’embrasser, il la repousse.

J : Dégage ! Dégage ! Dégage !

1er janvier 2019
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