Carnet de têtes d’épingles

« Quand on n’a plus de vie , autant se perdre dans celle des autres », Jean-Claude Martin.


Il a beau avoir perdu ses illusions en cours de route, cela ne lui interdit pas de garder l’esprit libre et le regard vif pour glaner çà et là quelques pépites où bien-être, consolation, sagesse et calme précaire disent combien ils sont encore utiles à qui souhaite se laisser guider par eux. Rien ne l’empêche, bien évidemment, de faire bonne figure dans le méli-mélo quotidien. Il peut parler longuement de Bornéo avec la bouchère du coin de la rue. De toute façon, tous deux savent qu’ils n’y mettront jamais les pieds. Il peut également rêver que Miss Monde, une de ces nuits, sonnera à sa porte, ou imaginer voir la mer onduler dans une plaine perdue, ou même se mettre dans la peau d’un chien pour toucher « les lèvres de la terre » de près... Tout est possible à condition que l’on veuille bien prendre en main une petite pierre plate et la lancer à l’intérieur de sa tête en cherchant l’eau et en essayant de réaliser le plus de ricochets possibles. Cela, il le sait. Il l’écrit. En ayant conscience que l’improbable, et il s’en félicite, ne frôle que très rarement la réalité.

Il fréquente le grand-huit de la vie depuis assez longtemps pour savoir que celui-ci va, tourne et finira par l’envoyer voir, derrière un haut mur, une palissade ou un écran de fumée, si son âme ou ce qui en tient lieu – et qui n’est sans doute, pense-t-il, qu’un mirage de plus – s’y trouve ou pas.

Ainsi va, vit et écrit Jean-Claude Martin. Lucide et conciliant avec l’inévitable, l’auteur d’ Un ciel trop grand (Le Dé bleu, 1994), de Tourner la page (L’escampette, 2009) ou de Château fable (L’escampette, 2011), ponctue régulièrement le morne des jours en ciselant, à coups de poèmes en proses, passés à l’implacable rabot, des scènes furtives, apparemment anodines, parfois invisibles, souvent lestées de solitude et de rencontres ratées.

« La rue. Croisements. Touristes, gens affairés, mendiants. Personne cherchant une autre rue, dans une autre langue. Perdues. Que nous respirions le même air au même instant est notre seule solidarité. Chaque tête est une terre. Qui tourne plus ou moins rond. Les collisions sont rarement des baisers... »

Il préfère le flegme à la colère, le cahin-caha au branle-bas de combat et le rire jaune au sourire forcé. La tristesse, la langueur, l’ennui, l’à quoi bon, la fragilité de l’instant et du corps restent perpétuellement en embuscade. L’écriture lui permet de les contourner ou de les fissurer pour, malgré tout, garder assez de ténacité pour poursuivre son chemin.


Jean-Claude Martin : Carnet de têtes d’épingles, dessins de Claudine Goux, Éditions Les Carnets du Dessert de lune.

4 janvier 2012
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