Brassaï fait le mur juste avant Cartier-Bresson

Vu sur un mur du quai de Jemmapes à Paris (10ème), ce 27 avril matin.

Une sorte d’hommage anonyme à Henri Cartier-Bresson, en prélude à l'ouverture de l’exposition qui lui est consacrée à la Bibliothèque nationale de France à partir du 30 avril ?

Une photo de mur, comme aimait en faire HCB, avec une inscription en couleur qui n’est pas un tag, mais semble être une citation du photographe lui-même (l’origine n’est pas indiquée).

Ces phrases peintes sans doute au pochoir, de nuit, incitent à leur prise en photo.

Elles semblent exiger même le cliché (comme les graffiti de Mystic) qui doit rendre compte de ce que dit un photographe de maintenant 95 ans : paradoxe pour celui qui estime que les photos sont mieux dans les livres qu’accrochées sur les murs des musées !

L’écrit urbain non signé renvoie ainsi directement à la photo : mais pas à n’importe laquelle, à toutes celles qui sont sorties du Leica de HCB dont l’objectif est resté, par-delà les années, ouvert sur l’imprévu.

Dominique Hasselmann, 28 avril 2003.

l'expo Cartier-Bresson à la BNF

sur une photo de New York par Henri Cartier-Bresson, par François Bon
un site brésilien sur Henri Cartier-Bresson
la Fondation Henri Cartier-Bresson
galerie A
fterImage ou Artcyclopedia, dossiers Henri Cartier-Bresson
le répertoire liens photo de remue.net

 

annexes

sur Brassaï (© Le Point)
Brassaï plein cadre
Photographie - Le centre Georges-Pompidou présente une impressionnante rétrospective du plus littéraire des grands photographes. A (re)découvrir d'urgence. A cette heure-ci, vers 2 heures du matin, les oiseaux nocturnes chassés des cafés, pris de panique, tournoient dans les parages. "Est-ce que le Dôme est encore ouvert ?" demandent ceux de la Rotonde. Allons-y prendre un verre"...»
Brassaï est à Paris. Enfin. A Montparnasse. Il écrit à ses parents, qui vivent en Hongrie, à Brasso, sa ville natale, dont il a pris le nom comme pseudonyme. L'année 1925 commence, le mois de janvier est à mi-course. Brassaï est heureux. Il découvre la capitale, inlassablement, les bistrots de la butte Montmartre, les Halles grouillantes, les ponts de la Seine et « le splendide jardin fleuri du Luxembourg. » Brassaï n'est pas encore photographe, mais il est déjà français. Corps et âme. Il a fait siens la couleur de la nuit, la lumière du jour, les trottoirs luisants. Il sait qu'il a trouvé son autre patrie. Il ne reviendra jamais en Hongrie.
Ce jeune correspondant des journaux hongrois, arrivé à Paris parce que Paris est le centre du monde artistique, est débordé de travail. Il emploie des photographes qui lui fournissent les clichés servant à illustrer ses articles. « J'ai l'impression que je pourrais gagner de plus en plus d'argent en tant qu'agent photographique », écrivait-il déjà en 1925. Eh non ! Brassaï ne sera pas un intermédiaire, il deviendra l'un des plus grands photographes au monde, dont le centre Pompidou présente une impressionnante rétrospective jusqu'au 26 juin.
On raconte qu'il fut initié par son compatriote André Kertész, à qui il commandait des photos. Lui dit simplement à ses parents qu'il compte acheter un Leica. Fin 1929, début 1930 ? On ne sait trop. Mais, dès 1931, il se félicite « de maîtriser l'art de la photographie ». Paris la nuit le hante ? Il photographiera Paris la nuit. « La nuit suggère, elle ne montre pas. Elle libère des forces en nous qui, le jour, sont dominées par la raison. » Il aime les visages qui racontent une histoire, les petits métiers qui disent l'authenticité de la ville, les lieux de plaisir, les réverbères et leurs taches de lumière ? Allons-y ! Sur son dos, vingt-quatre plaques vierges (le maximum qu'il peut transporter) et son appareil (plutôt monumental, comme tous ceux de l'époque). La balade commence.
En 1932 paraît son premier album : « Paris de nuit », soixante-deux images avec une préface de Paul Morand. Triomphe en librairie. On le veut. On se l'arrache. Cette poésie qui exclut le sentimentalisme, cette capture enivrante des contrastes, ce chatoiement des lignes, oui, Paris s'y reconnaît et son ami Henry Miller lui décerne le titre d'« oeil de Paris ». Brassaï a gagné. Lui qui disait vouloir « l'océan, avec ses crêtes et ses abîmes », a conquis le monde des artistes. André Breton veut l'engager dans ses brigades surréalistes, mais il résistera toujours, suspectant Breton de tyrannie et n'acceptant que la collaboration - prestigieuse - à la revue Minotaure, dont l'exposition montre des nus magnifiques. « Ils considéraient mes photos comme surréalistes, car elles révélaient un Paris fantomatique, irréel, noyé dans la nuit et le brouillard. Or le surréalisme de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel. »
« Transformer l'accidentel en immuable »
Un homme libre. Qui applique à la photographie ses dons d'écriture et de dessin. A Berlin, et déjà en Hongrie, il avait étudié aux Beaux-Arts et, lorsque Picasso lui reprochera de se laisser dévorer par la photographie, « cette abnégation », au détriment de ses autres dons, il ne peut qu'être d'accord avec lui. Mais sa première inspiration, son premier déclic que l'on retrouve dans chaque photographie, et même dans la série des « Graffiti », c'est le goût du récit et, par-dessus tout, cette volonté de « reconstituer le réel ». Ainsi que le rappelle Roger Grenier dans l'ouvrage que Brassaï a consacré à « Proust sous l'emprise de la photographie », « il répétait, comme Flaubert, que la tâche de l'artiste est de transformer l'accidentel en immuable ». Avant même de « prendre » la photographie, Brassaï l'imagine, à tel point que chaque cliché se révèle comme un plan de cinéma déjà dessiné. Mais flotte toujours une brise de spontanéité, de réel, de fable... authentique.
A la lecture des « Lettres à mes parents » que Gallimard vient de publier, on est frappé par le ton de chacune, qui ne se résume pas à des banalités mais obéit au style, à la couleur, jamais artificiels, qu'il s'agisse de l'évocation d'une soirée mondaine ou de son emploi du temps affolant. Brassaï est un littéraire qui se fait son cinéma. Pas d'images à la sauvette chez lui, et pour cause, son matériel encombrant lui interdisait ce genre de prises. Mais temps de pose obligatoire et donc temps de réflexion. Brassaï est très attentif à l'éclairage, qui est, dit-il, « pour le photographe ce qu'est le style pour l'écrivain ». Pour la série consacrée à « Chez Suzy », bordel parisien, Brassaï demande à son assistant Kiss de « jouer » le client. Dans celle qu'il titre « Pour un roman policier », il demande aux « voyous » de poser. Trois prises, rarement plus, l'oeil comme un flash et la Gauloise ou la Boyard comme chronomètre.
Le travail du metteur en scène continue. Dans le laboratoire qu'il a fait installer avec un agrandisseur dans sa chambre d'hôtel, il s'occupe seul du tirage de ses négatifs. Alain Sayag, commissaire de l'exposition du centre Pompidou (et conservateur pour la photographie au Musée national d'art moderne), explique que Brassaï multiplie les recadrages, pouvant aller jusqu'à tirer trois épreuves différentes du même négatif : « Ainsi, dans la célèbre image des deux voyous, c'est seulement dans la chambre noire qu'il découvrit que le groupe de deux personnages dont l'un est coupé par le bord du cadre avait finalement plus d'intérêt et de force que le trio vers lequel il avait tout d'abord dirigé son objectif. » Mise en scène encore lorsque des amoureux se disputent. Recadrage encore avec la môme Bijoux afin que ses mains croisées, arborant d'énormes bagouses, attirent le regard sans pour autant sacrifier le visage aux yeux archifardés et aux lèvres closes. La môme Bijoux regarde Brassaï. Brassaï sait la regarder.
Des « témoignages éphémères et sauvages »
Sur les bords de la Seine, un homme est mort. Des badauds autour du corps. Quatre clichés montrent l'approche du photographe, son point de vue : ne pas donner dans le sensationnel, mais montrer l'histoire, la petite histoire des gens. Brassaï ne se rangera pourtant jamais du côté des reporters. A sa fenêtre avec son appareil lors de la libération de Paris, il s'en faut de peu qu'une balle l'atteigne. Pourtant, il honorera pendant près de vingt ans une collaboration régulière avec le nec plus ultra des magazines de mode américains, le Harper's Bazaar, qui ne s'achèvera qu'avec le départ de la rédactrice en chef Carmel Snow et du génial directeur artistique Alexandre Brodovitch.
« Il y a quelques années, au seuil de la quarantaine, écrit-il en 1939, tous mes démons familiers insatisfaits se sont réveillés et m'ont plongé dans une crise que je ne connaissais plus depuis mes années berlinoises. Il m'a paru évident que je devais coûte que coûte me débarrasser de la photographie. De toute façon, je ne l'ai jamais considérée que comme un tremplin pour parvenir dans mon véritable élément. Or voici que ce tremplin ne me lâche plus. » Picasso, dès 1932, avait mis le doigt sur la cicatrice qu'avaient laissée la peinture et le dessin abandonnés. Un jour, le photographe oublie une plaque de verre dans son atelier. Picasso l'utilise et y grave un portrait de Marie-Thérèse Walter. L'exemple est donné. Commence pour Brassaï l'aventure de ces gravures, « Transmutations ». Il voulait se « débarrasser de la photographie », elle l'entraîne vers un ailleurs. Picasso l'encourage à franchir ses frontières. Il se remet au dessin et crée dès 1946 une extraordinaire série de sculptures, presque minimalistes - marbre poli, noir d'obsidienne, galet caressé par la mer -, toutes rappelant le corps féminin, exaltant la beauté, la perfection du geste.
Et puis le mur. Ou plutôt les murs... ceux de la ville. Là où s'inscrivent les marques des hommes. Les graffiti. Dès les années 30, Brassaï se passionne pour ces « témoignages éphémères et sauvages ». Il en note l'adresse dans un carnet, les photographie, y revient quelques années plus tard. Le langage encore, la langue toujours... Il en publie quelques-uns dans la revue Minotaure. Il fut le premier à s'y intéresser bien avant les années 60, période où cet « art » devint à la mode. D'ailleurs, en 1956, le Moma à New York a présenté 112 photographies de ses graffiti. Ceux exposés au centre Pompidou sont classés en neuf chapitres : « propositions du mur », « le langage du mur », « la naissance de l'homme », « masques et visages », « animaux », « l'amour », « la mort », « la magie », « images primitives »... Des titres qui disent tout.
1948 : il épouse Gilberte-Mercédès Boyer. (C'est son épouse qui détient les archives : 43 000 négatifs, planches-contacts et épreuves originales et, bien sûr, le droit moral sur l'oeuvre). 1949 : Brassaï est naturalisé français. « J'ai dû attraper le taureau par les cornes : la langue française. Je m'y suis consacré avec autant de coeur et de persévérance que lorsque je me suis mis à apprendre la technique de la photographie : mes professeurs étaient Descartes, Pascal, La Rochefoucauld... » : Paris, 2 août 1939, lettre signée Guylus, celui qui était né Gyula Halsz, devenu Brassaï, ami de Prévert, Miller, Michaux, Picasso..., qui disait que, « pour devenir image définitive, la photographie, cette transcription en noir et blanc et en deux dimensions du monde, doit respecter l'équilibre entre la chose vivante et la forme, car ce que j'ambitionne, c'est de faire quelque chose de naïf et de saisissant avec le banal et le convenu. »
Brassaï
Il fit son premier séjour à Paris en 1903-1904, son père, professeur de littérature française, ayant obtenu d'y passer un an de congé. Il découvre avec émerveillement Paris et les premières images de cinéma projetées sur les grands boulevards. De retour en Hongrie, il fait ses études aux Beaux-Arts de Budapest et part pour Berlin en 1921. Il y côtoie Moholy-Nagy, Kandinsky, Kokoschka, Varèse et continue les Beaux- Arts à Charlottenburg. En 1924, il vient vivre à Paris, son rêve, avec le désir de faire une carrière artistique. Il meurt en 1984 à Beaulieu-sur-Mer. Et repose au cimetière Montparnasse, dans le quartier où il vécut en arrivant à Paris.« Lettres à mes parents » (1920-1940), éd. Gallimard, 160 F ; « Marcel Proust sous l'emprise de la photographie », Gallimard, 110 F ; « Conversations avec Picasso », Gallimard, 180 F. « Histoire de Marie » (avec Picasso), Actes Sud, 58 F.
En raison du succès (plus de 40 000 visiteurs), l'exposition est ouverte, en plus des horaires habituels (tous les jours de 11 à 21 heures, sauf le mardi), les jeudis jusqu'à 23 heures (caisses fermées à 22 heures). Jusqu'au 26 juin.
Le parcours permet de découvrir l'intégralité de l'oeuvre de Brassaï à travers 450 pièces exposées, parmi lesquelles une centaine inédites. Six sections : Amis artistes de ma vie ; Graffiti ; Dessins et sculptures ; Les années Harper's Bazaar ; Autour du minotaure ; Nuit de Paris (avec « Paris de nuit », et l'exposition de 1951 au Moma de New York regroupant les oeuvres de Brassaï, Cartier-Bresson, Izis, Ronis et Doisneau). L'exposition sera ensuite présentée à Vérone (du 8 juillet au 10 septembre 2000), à Londres au début 2001, au Japon courant 2001, puis à Berlin en 2002.
Le catalogue (première monographie sur Brassaï) de l'exposition, publié par le centre Pompidou et les Editions du Seuil, sous la direction d'Alain Sayag et d'Annick Lionel-Marie, a été sélectionné pour le Mai du livre d'art et comporte des essais d'Alain Sayag et Annick Lionel-Marie, Roger Grenier, des textes de Brassaï, Henry Miller, Jacques Prévert, ainsi qu'un témoignage de Gilberte Brassaï (320 pages, 300 illustrations en noir et blanc. Prix de lancement jusqu'au 1er juillet : 390 F, puis 450 F).
© le point 26/05/00 - N°1445 - Page 159 - 2047 mots

 

un entretien avec Cartier-Bresson diffusé par l'AFP
Henri Cartier-Bresson: "Je crois en Pi"
27/04 12:32 : "Depuis ce matin, je suis obsédé par l'idée du zéro. Comment définir le zéro?" Dans le salon baigné de lumière, dont la vue embrasse l'entier Jardin des Tuileries, Henri Cartier-Bresson apparaît, préoccupé.
La marche est un peu difficile -94 ans tout de même- mais la mise est décontractée -blouson clair, cravate-lacet à fermoir turquoise, assorti à la large boucle de ceinture Hopi -, le regard direct, le sourire courtois.
Ce monument de la photographie, comment le visite-t-on? Pointe déjà le sentiment que de rétrospective à la Bibliothèque de France, d'inauguration de la Fondation "HCB" -pourtant imminentes-, il ne fera pas mention.
" Tout ça, c'est du passé. Je ne crois ni au passé ni à l'avenir. Seulement au présent. Alors, du passé faisons table rase! Rase comme zéro", rit-il.
Silence. Les mathématiques l'intéressent? "Les grands mathématiciens m'ont toujours impressionné. Je suis allé à Bangalore, en Inde. C'est là qu'a vécu le plus grand d'entre eux, Aryabhatta (NDLR: Ve-VIe siècle). On lui doit, en géométrie, d'avoir donné la valeur de +Pi+ avec ses quatre décimales: 3,1416".
" Pour moi, il n'y a pas de Dieu, il y a +Pi+".
" Dieu, c'est un monde de culpabilité. Avec la faute originelle, nous sommes coupables d'être vivants, c'est monstrueux. D'ailleurs je n'ai jamais eu la foi. Et si j'ai servi comme enfant de choeur, c'était pour mieux siffler le vin de messe! J'étais déjà un résistant!"
" ce qui me passionne, ce sont les proportions"
Silence. Et "Pi"? "Pi, c'est ce qui tombe bien. Le juste rapport des choses, l'harmonie, l'équilibre, le Yin et le Yang du bouddhisme, si vous préférez. Et ce qui me passionne, ce sont les proportions. Pas de lumière sans ombre, pas de vide sans plein, pas de courbes sans droites. La complémentarité, en somme".
On pense à la spirale d'un escalier en colimaçon contredite par les barreaux verticaux de sa rampe. Une icône de la photographie. A la silhouette en marche d'un Giacometti captée dans une géométrie de triangles d'ombre et de soleil.
Au fond du salon, une toile de Claude Viallat occupe le mur. Le regard capte, là, une densité, là, une constellation de tâches colorées. Toujours l'harmonie.
" Et il y a la mort. Chez nous, on n'y pense pas, on ne veut pas y penser, mais en Inde on y pense tout le temps. Au Mexique aussi. Ce qui me plaît dans ces pays, c'est que la mort y est très vivante".
" Allez, tchin", dit-il, levant son petit verre de vin blanc. Verres choqués.
" +What's next+, voilà à quoi nous pensons, nous les Occidentaux. Et ensuite? On n'a pas fini quelque chose qu'on veut autre chose. Mais, vouloir, c'est de la bouillie de ferraille. Il n'y a rien à vouloir, à solliciter. L'harmonie, c'est le respect des rythmes, l'échange. Ca se respire et ça s'inspire".
Pause. Laisser venir. Cartier-Bresson, qui se proclame "anarchiste non violent", ou plus simplement "libre", serait-il comme ces chats qui fuient quand on les traque et viennent quand on ne les attend plus?
" J'adore les chats! J'en avais un qui s'appelait Ulysse, parce qu'il passait son temps à disparaître. Les chiens, c'est l'ordre, mais les chats, c'est la fantaisie. Un chat, ça ne se dresse pas. C'est tout en grâce et en tension".
Mais alors, la tension du chat, qui rampe galvanisé en fixant sa proie, testant ses muscles avant de bondir, ne serait-elle pas la même que celle de l'archer-photographe avant de décocher son tir photographique?
" C'est une comparaison qui me plaît bien, s'amuse Cartier-Bresson. Allez, tchin!"

© AFP.

 

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