balade photo Lautréamont, mis en demeures |
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J’estime que le plus beau titre de gloire du groupe qu’ont
formé Breton, Aragon et Soupault, est d’avoir reconnu et
proclamé l’importance littéraire et ultra-littéraire
de l’admirable Lautréamont. Rien ne pouvait me flatter davantage,
que la demande qu’ils m’ont faite pour la réédition
des Chants de Maldoror. Si j’ai décliné cet honneur,
c’est que j’estimais impertinent d’expliquer, de présenter
même, cette œuvre à un public avec lequel elle n’avait
que faire, alors qu’on n’y peut entrer que par bond. Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, a emprunté à Paris le Bouvelard du crime ; mais il ne l’a pas rendu. Sa trajectoire de météorite littéraire n’en finit pas d’éparpiller des éclats visant à la tête des passants. « Dans la mesure où Lautréamont n’a été à travers le tracé de son œuvre que son écriture, celle-ci se trouve en tout point biographique, biographique non plus dans l’espace du dire (dans ce qu’elle dit), mais dans la parabole gestuelle de son tracé. » (Marcelin Pleynet, Lautréamont par lui-même, éditions du Seuil, 1967.) Aller repérer
quelques unes de ses traces relèverait-il
alors d’une gageure ou d’une sorte de curiosité post
mortem ? Ou de l’idée inconsciente de se mettre à la
place de ce que ses yeux ont vu et qui serait, peut-être, resté par
miracle inchangé ? « Sis de part et d’autre du boulevard Montmartre, dans des rues vouées au commerce de luxe (les parages des grands Boulevards étaient, vers 1870, ce que sont aujourd’hui les Champs-Elysées), ces hôtels sont à coup sûr de premier ordre, - ce qui incline à penser qu’Isidore Ducasse a le goût du confort et les moyens de le satisfaire. » (Maurice Saillet, préface à l’édition 1963 en Livre de poche des Œuvres complètes, Les Chants de Maldoror, Poésies, Lettres.) Première étape : Lautréamont loge, fin 1867, au 23 rue Notre-Dame des Victoires (2e arrondissement). L’espace central du quartier est occupé par le Palais Brongniart, inauguré en 1826, mais depuis 1987 la Bourse a perdu sa corbeille au profit de l’informatique délocalisée. Le pâté boursier, transformé en musée, sert aussi de salle de réunions. Lautréamont devait passer tous les jours devant les statues impassibles… Et son hôtel, détruit, abrite maintenant une compagnie d’assurances. Signe du hasard : la date de naissance d’Isidore Ducasse est inscrite au plafond du passage des Panoramas, un peu plus loin. Il lui suffisait de lever le regard au ciel.
Deuxième étape : Lautréamont habite, d’octobre 1869 à février 1870, au 32 rue du Faubourg-Montmartre (9e arrondissement). Il s’agit d’une artère étroite et très animée, les fiacres ont été remplacés par une circulation ininterrompue. « Lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux, on dirait que c’est le fouet qui fait remuer son bras, et non son bras le fouet. » (Les Chants de Maldoror, Chant deuxième.) L’immeuble a été refait. Mais la rue en pente garde son léger virage, et son visage de cumulus au-dessus des bâtiments.
C’est aussi le lieu des passages qu’adoraient les surréalistes. Lautréamont les hante encore à de certaines heures, croit-on savoir. « Lautréamont toujours », écrit Julien Gracq en 1947. Les commerçants sont là comme en sursis : les touristes viennent, des restaurants s’ouvrent, des échoppes ferment. Un Melmoth mercantile serait-il en train de forer les anciens soubassements qui faisaient la part belle aux bouquinistes, aux antiquaires et aux vendeurs de matériels de photo désuets ? Mais l’œuvre
cheminait : « Qu’avait Lautréamont
dans la tête, la nuit qu’il a tracé les premiers mots
: « Plût au ciel que… » ? Il ne suffit pas de
dire que, en ce premier moment, Lautréamont n’avait pas,
toute formée, la mémoire des six chants qu’il allait écrire.
Il faut affirmer plus : non seulement les six chants n’étaient
pas dans la tête, mais cette tête n’existait pas encore
et le seul but qu’il pouvait avoir, c’était cette
tête lointaine, cette espérance d’une tête qui,
au moment où Maldoror serait écrit, lui prêterait
toute la force voulue pour l’écrire. »
Troisième étape : Lautréamont s’établit au 15, rue Vivienne (2e arrondissement) en mars 1870. C’est le quartier de l’argent, du change, des affaires. Cela l’est comme figé depuis. « En fait nous croyons que le lautréamontisme joue presque uniquement sur les deux thèmes de la griffe et de la ventouse, correspondant au double appel de la chair et du sang. » (Gaston Bachelard, Lautréamont, éditions Corti, 1939, réédition 1968.) La rue Vivienne est toute droite, Lautréamont devait y marcher à grands enjambées, en songeant à ses lignes imprimées : « Que ne puis-je à travers ces pages séraphiques regarder le visage de celui qui me lit.» (Les Chants de Maldoror, Chant cinquième.)
Dernière étape : Lautréamont loge au 7, rue du Faubourg-Montmartre (9e arrondissement), du mois de juin au 4 novembre 1870, date de son décès. Son dernier domicile est remplacé par le restaurant Chartier, ouvert en 1896, classé monument historique, et noté dans les guides des circuits touristiques parisiens.
Mais les groupes qui descendent des autocars ignorent pour la plupart que l’ombre de Maldoror s’étend toujours sur ces lieux. Car les nourritures terrestres sont aussi littéraires… La
parole est maintenant à Maurice Blanchot, dans Lautréamont
et Sade (éditions de Minuit, 1963): D.H.,
25 septembre 2004.
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