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Rue Drouot, André Breton revient à pas de loup

 
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Le paquebot rouge de la salle des ventes Drouot attire toujours autant de monde ; en avril 2003, c’est dans ce temple que l’on vint adorer… - et surtout acheter - le surréel.

Paradoxe ou provocation ? A cinquante mètres à peine du palais des mises à l’encan, la mairie du IXe arrondissement a lancé une exposition, du 6 septembre au 23 octobre, intitulée « Autour d’André Breton ». Il s’agit d’une sélection d’œuvres de la collection du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, fermé pour travaux jusqu’en décembre 2005.

On peut donc voir ou revoir des tableaux, photos, revues ou manuscrits qui appartenaient à André Breton et qui ont ainsi échappé à la rapacité marchande et à la dispersion à tous vents mauvais lors de l’année funeste.

Ce qui fait tellement plaisir, c’est de retrouver le fameux portrait d’André Breton peint par Victor Brauner en 1934, et qui sert d’affiche à la manifestation et de couverture au petit dépliant (car les catalogues, toujours en vente, sont ceux de l’étude Calmels-Cohen !) donné gracieusement à l’entrée.

Ce tableau « magnétique » est un don d’Aube Breton-Ellouët avec Oona Ellouët, fait en 2003 après la fin de la grande comptabilité juteuse. Il a peut-être été empêché de partir décorer les murs d’un spéculateur d’outre-Atlantique ou ceux d’un amateur reclus dans son loft de luxe.

Dans la grande salle ovale déserte, dont la double porte donne sur un jardin calme, le regard d’André Breton fixe, juste en face de lui, « Les Amoureux » (1924-1925) de Francis Picabia, toile qu’il acquit en 1926 et qui restera au 42, rue Fontaine jusqu’à sa mort. Le musée d’Art moderne en est heureusement tombé sous le charme au point de se l’approprier. C’est également le cas pour les tableaux d’André Masson (« Nu dans un intérieur », 1924), de Max Ernst (« Fleurs, V », 1928-1929), de Simon Hantaï (« Sans titre », 1950)…

« Le Paravent » (1966) de Toyen représente, quant à lui, un superbe tableau-énigme. Isolé sur un pan de mur, il interroge le rare visiteur avec le regard troublant de sa femme-animal. Il fut réalisé l’année de la mort d’André Breton par l’artiste qui fut membre du groupe surréaliste tchèque dès 1934, avant qu’elle ne s’installe à Paris en 1947.


Cette « délocalisation muséale » réussit à présenter ainsi une synthèse picturale, photographique, avec particulièrement les clichés de Raoul Ubac, et des documents relatifs à l’Exposition internationale du surréalisme qui eut lieu à Paris en 1938.

« La vente de ces collections en avril 2003 a été pour les collections publiques et en particulier pour le musée d’Art moderne de la Ville de Paris l’occasion de compléter certains ensembles afin d’enrichir une présentation encore trop peu étoffée du surréalisme dans ses collections.», peut-on cependant lire dans le dépliant de couleur verte sur l’exposition.

Si l’on comprend bien, l’opération financière pilotée par Calmels-Cohen aura permis d’ « enrichir » le patrimoine artistique public, « l’occasion » faisant ainsi le larron !


Un autre portrait peint par Victor Brauner est également présent dans une des trois salles : celui de Benjamin Péret (1934) qui dévisage plein cadre, et sans concession, les yeux dans les yeux, celui qui entreprend de le regarder.

Une conférence de Jean-Jacques Lebel (dont un dessin illustre le poème d’André Breton « Chanson pour Elisa », 1947-1956)) est par ailleurs prévue, à l’occasion de « l’accrochage » de l’exposition, le 13 octobre.

« Et si la dispersion, au sens de la dislocation et de l’éparpillement, du Mouvement surréaliste, après la disparition physique d’André Breton, était une condition de sa ré-apparition au cœur de la dynamique subversive, sur les terrains politique, social et culturel à venir ? » n’hésite pas à s’interroger le héraut du happening ! Le droit de rêver…

En sortant du pavillon qui accueille cette manifestation quand même un peu trop « espacée », dans le petit nombre des œuvres rassemblées, et qui manque singulièrement d’une présentation dynamique, l’animation du quartier Richelieu-Drouot est de nouveau à son étiage habituel avec ses hommes d’affaires en costumes, ses boutiques d’ « estimations gratuites », ses cabinets de commissaires-priseurs, ses marchands de timbres, son passage Jouffroy et son hôtel Chopin.

Mais pour quelques semaines, rue Drouot, André Breton revient à pas de loup…

D.H., 10.10.2004.

Quelques sites prisés :
http://www.remue.net/litt/breton.html
http://breton.calmelscohen.com/
http://www.paris.fr/musees/MAMVP/default.htm
http://www.plumart.com/vf4302/html/body_1143toyen.html