« Ivar y va de sa chanson »

Titre d’Ivar Ch’Vavar vient de paraître aux Éditions des Vanneaux.

Ivar Ch’Vavar sur remue.

À suivre : Mont Ruflet, le feuilleton en cours d’Ivar Ch’Vavar sur poezibao.


 

1. Comprendre pourquoi on aime un texte se déroulerait en deux temps. On le lirait d’abord à proximité de l’auteur, le suivant pas à pas, et là, Titre d’Ivar Ch’Vavar est d’une compagnie généreuse puisque la disposition allante d’un vers à l’autre emporte votre lecture à pleins bras, qu’elle soit sonore ou mentale.


Je me suis promenée aux endroits
habituels. Je me suis assise
sur la digue. Tout était paisible. Le
ciel venait à moi. L’eau ne semblait
s’étendre que pour moi, ne
faire entendre son clapotis
qu’à moi, moi. J’étais là.
Je ne pensais à rien. Personne, personne
ne pensait. Les mouettes
volaient, le ciel béait, le ressac
ne ressassait que son ressassement, le vent
caressait ma pommette en passant,
sans y penser ; une pierre pointue
rebiquait sous mes yeux, une autre
sous ma fesse, - caresse, aussi, caresse
 [1].



Je ne sais pas si Ivar Ch’Vavar aime le cinéma. Quand je lis ce qu’il écrit je pense aux films de Bruno Dumont, La vie de Jésus, Hors Satan. Bruno Dumont et lui ont pays commun : la mer du Nord, la Somme, le Pas-de-Calais. L’abandon des corps au vent gris, aux dunes, aux rêves, aux interminables longues rues, une façon commune de faire sauter au visage les histoires qu’ils racontent en images ou en vers.

Titre est composé de douze chants, ils sont douze à prendre la parole, six garçons et six filles dont on lit tour à tour le récitatif à une voix entrecoupé des discussions avec les autres, seul Grand-Con se taira quand il lui reviendra de parler.

Les filles s’appellent Marie-Paule, Thérèse, Marcelle, Érika, Olive et Cassis. Les garçons s’appellent Ch’Mouègne, Acarus Sarcopte, Uncle Schmitt, Rascar Capac, Yellow et Grand-Con (Ivar Ch’Vavar en personne). Certains sont de fiction, d’autres - comment dire ? - ont existé en vrai… Ils vont par deux, une fille et un garçon : Marie-Paule avec Ch’Mouègne, Thérèse avec Acarus Sarcopte, etc. Leurs chants se succèdent selon cet ordre.

C’est un poème qui se déroule dans Berck-Plage et Berck-Ville : devant l’ancien Hôpital maritime ; rue Theillier ; près du Bois-Magnier ; rue du Clape-en-Haut ; rue du Haut-Banc n° 129 ; sur la digue qui barre l’entrée nord de la baie d’Authie ; sur le chemin des Pourrières et au bout du chemin, sur la plus haute dune du rivage nord de la baie d’Authie.

On lira la traduction des mots picards dans les Scolies, journal du poème et arithmétique de sa composition formelle [2], en fin de volume avec un Document de travail.




2. Ensuite on relirait seul ou seule, l’auteur s’étant éloigné ou vous le lui ayant demandé, afin de voir où vous conduit le poème quand vous le parcourez en solitaire.



« Dans les maisons les Mères travaillent.
Elles ont les mains dans les baquets
ou à démêler les paquets
de cordes qu’elles ont jetées
sur un manche à balai posé
sur de deux chaises les dossiers.
On pourrait croire qu’elles tissent.
Mais à prendre corde après corde
du pouce elles décrochent l’esche
l’appât à cette heure tout sec
l’arénicole ou ver de vase
entortillé à l’hameçon – et
aussi bien, de leurs doigts noueux,
ôtent les nœuds qui se sont faits
et aussi les menus débris
orphi.ures, bouts de varech,
œufs de raie que le croc a pris […] »
 [3].


Les douze avancent à un rythme libre et cadencé, reviennent, deviennent, ensemble, séparément, de jour, de nuit. Ils discutent de l’harmonie des sphères et des comités révolutionnaires ; du surréalisme et des virées psycho-géographiques ; du difficile équilibre entre la vie et l’art. Ils boivent des bières, ils flageolent. Ils avalent des pils, fument des joints. Ils délirent, voient des choses qui n’existent pas. Ils aiment, ils s’aiment. Ils ont des paupières, des cheveux, des doigts, un pied ici et là, des coudes, des orteils. Ils bavent, ils mordent, ils lèvent l’index (et un sourcil), ils se déplacent sous une peau qui fait corps ou pas avec le monde

peuplé d’animaux : carrelet, seiche, crabe, mouette, bernard-l’ermite, étoile de mer ; de plantes : blanc-bouillon et jusquiame ; de camarades dont la permanence ne fait jamais défaut même en leur absence.

L’« épopée inachevée » de Titre raconte ce qui traversait corps et âmes dans les années 70. Ce n’est pas une histoire du passé, c’est ce qui, de là-bas, fait écho ici et aujourd’hui dans la poésie d’Ivar Ch’Vavar.


De là on part, « au soleil,
à la mer. Boulogne, si tu veux,
plutôt qu’ici ».

19 février 2012
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[1Cassis, chant 11.

[2Les Éditions des Vanneaux ont récemment publié Travail du poème (1979-2009) d’Ivar Ch’Vavar. Jean-Pascal Dubost en a rendu compte sur poezibao.

[3Thérèse, chant 3.