Journal du compte à rebours 13
Vendredi 13 juillet, matin.
Que devrait-on faire avant d’écrire ?
Du moins dire qu’on s’en va, quitte Paris pour assez longtemps cette année, oui, non que l’année ait été particulièrement bonne financièrement mais on est moins sorti ces derniers temps et un travail inattendu le permet, on ne sera pas là, inutile de téléphoner, il y aura le répondeur, mais une carte postale, oui, qu’on sera content de trouver au retour, on part en Égypte voir le Nil, en Grèce où des amis ont acheté une petite maison au bord de la mer, sur une île, oui, le rêve, à Chypre, à Stockholm, en Roumanie au bord de la mer Noire, à Kassel visiter la Documenta, à Bâle visiter l’exposition Munch, une vieille connaissance, à Bologne visiter le musée Morandi, on en rêvait, on part camper sur l’île d’Hoedic, Bretagne, pas de voitures, le ciel et la mer, les baignades, le vent, le rêve, on part à Tréguier, Bretagne encore, chez une amie dans le jardin de qui on aperçoit la mer, le jardin est beau, les vaches passent devant, sur un chemin de terre, celui qui conduit à la mer, de temps en temps elles attrapent quelques feuilles du jardin, elles sont gentilles, elles ont le droit, on part dans le Gard chez les amis qui ont fait construire une piscine dans leur jardin, quand il fait très chaud c’est merveilleux même si cette année le vent qui souffle semble écarter le risque d’une grosse chaleur, celle qui écrase, dommage, mais aussi d’un incendie dans la garrigue, tant mieux, le soir on allume la guirlande d’ampoules dans l’olivier et on regarde les étoiles, on part découvrir la maison qu’une amie vient d’acheter dans les Pyrénées, dont on a vu une photo mais qu’on aimerait voir en vrai, le village, le paysage, la montagne au bout des rues, on part chez des amis dans l’Yonne, pas loin mais loin quand même à cause du fenouil, des tomates et de l’acacia dans le jardin et pourquoi pas un détour chez l’ami peintre qui vit à quelques kilomètres et qui cultive les roses, on part, on dit qu’on part, on ment, on ne ment pas, on ne raconte pas, on raconte au plus simple, au plus commun, ce dont les mots glissent tout seuls, ce qui ne suscite aucune question, pas de curiosité, de temps en temps oui on sera à Paris, des choses ordinaires, acheter le pain, lire le journal, à l’abri derrière ses lunettes noires se mêler aux touristes au pied de la tour Eiffel, dans la cour du Louvre, dans le jardin du musée Gustave-Kahn de Boulogne-Billancourt, le jardin du musée Rodin, les bourgeois de Calais, les portes de l’Enfer, dans les jardins des cimetières, Beckett, Baudelaire, Général Instin, à la terrasse des cafés s’il fait chaud, s’il fait encore plus chaud dans les salles climatisées des cinémas qu’on connaît, mais on repart déjà, Bordeaux, les Saintes-Maries-de-la-Mer, le Cotentin, pas le temps d’appeler, t’appeler, vous appeler, se voir, non, pas de dates précises, des allées et venues aléatoires, pas de cartes postales, non, on n’a pas l’habitude mais on racontera quand on se verra, reverra en septembre oui
du moins ne pas dire qu’on va écrire
par prudence
par superstition
car on ne sait jamais
(l’équilibre est toujours fragile entre la volonté et le désir)
quand on va écrire, si on écrira