L’Europe en capsaille | Patrick Beurard-Valdoye
« L’enfer d’Armor est fait d’eau froide / jusqu’à ras bords »
« À la tombée du jour Schwitters
distinguait les formes récives sombres
d’Ouessant son contrefort Keller
aux allures de château en ruine
- qui voit Ouessant voit son sang -
il devinait le goulet de Brest
où la côte s’interrompait
éteinte d’épais nuages. »
Au même moment, Monsieur Saint-Pol, « juché sur l’étroite plateforme de la Salle verte », fixe les vagues tandis qu’au large, brinqueballé par les sautes d’humeur d’une mer de plus en plus agitée, Hyppolite Celton rejoint « sur le gaillard arrière Etienne Guillerme dit l’Affreux ».
Un match de football France-Allemagne s’est joué ce même dimanche. Celui-ci s’est terminé par un score nul. Sur les bateaux, certains passagers en ont eu vent mais la plupart ont d’autres soucis. Tous savent que la tempête est inévitable. Celle-ci, uniquement décidée par les éléments, mais également l’autre, celle qui se prépare de l’autre côté du Rhin (nous sommes en mars 1933) et qui ne peut que faire chavirer l’Europe en la menant droit au naufrage (ce qui, en vocabulaire marin, se dit capsaille).
On connait la dextérité avec laquelle Patrick Beurard-Valdoye réussit à rendre évidents les liens qui relient histoire, géographie et toponymie. Il s’y adonne une fois de plus. On sait aussi combien la présence de Schwitters s’immisce, avec bonheur, dans son parcours. On la retrouve à nouveau dans L’Europe en capsaille (éd. Al Dante).
Variant les angles d’attaque, il parvient à transposer son texte là où se trouvent, alternativement, les trois personnages réels à qui il redonne vie. Se référant au lexique marin, il réussit, de plus, à insufler à ce long poème narratif un mouvement de fond qui a à voir avec le ressac et l’étrangeté des eaux barattées par des invisibles à l’oeuvre dans les nombreuses crevasses de l’Iroise...
« alors que la barque noire rôdant
autour des récifs s’était révélée
effectuant son commerce
à travers le fameux passage ouest
qui mène au-delà du sommeil sans nuit »
Beurard-Valdoye, embarquant sur un chalutier (lors de sa résidence à la maison de la poésie de Rennes où cet ensemble fut écrit) ou compulsant des archives, dossiers, coupures de presse, ou revisitant une énième fois le grand oeuvre Schwitters, poursuit inlassablement sa route vers une île flottante qu’il repère, à quelques encablures des phares du Stiff ou de Créac’h, dans ce couloir étroit qui reste le plus dangereux de l’Atlantique Nord.