L’Horizon partagé

Onze lettres de Lionel Bourg.


Durant près de deux ans, entre juillet 2007 et mars 2009, Lionel Bourg a adressé un certain nombre de lettres à ses proches. Onze d’entre elles sont ici rassemblées. Elles invitent à se remémorer des faits marquants, des épisodes souvent fondateurs, des moments où le mal être débordait (entre l’enfance et l’âge adulte) et à se repérer dans un présent qui, s’il ne répond pas, loin s’en faut, à ce que tous espéraient, oblige néanmoins à regarder droit devant soi pour détecter un horizon capable de receler de vraies zones de partage. Le parcours proposé court sur un bon demi siècle. Il a ses points d’ancrage dans le Forez, là où se trouve l’origine de la famille, là où vit, où résiste encore Claudius Gay, le vieil oncle devenu unique témoin d’une époque certes révolue mais bien gravée dans la mémoire collective.

« Tiens, je t’entends déjà, l’usine à en vomir tous les matins quand tu partais avant le jour, et le Parti, les cris, les insultes, les humiliations à n’en plus finir. »

Lui, comme les autres, parlent par bribes, chante, chantonne, transmet des bouts de son maigre paquetage de vie rude aux plus jeunes. Lionel Bourg y est particulièrement sensible. Il en capte de brefs éclats en espérant ajouter de nouvelles pièces à cette grande et tortueuse autobiographie qu’il a toujours en chantier et à laquelle il ne cesse d’adjoindre des indices susceptibles de répondre aux questions restées sans réponse.

C’est pour cela qu’il écrit à Claudius et aux autres. Pour revisiter des pans d’existence fracassée entre un petit frère mort et une mère ivre de douleur.

« Maman ! non maman ! J’les ai pas pris, les sous, dans ton porte-monnaie, j’l’ai pas tué, mon frère…
Rien ne valait rien. Tout avait la même importance.
La charrette du laitier dans la rue. Le cadavre d’un écureuil sur la route de Chavanol. Les feulements de douleur de celle qui, pique-feu ou couteau à la main, se labourait la poitrine sous le néon de la cuisine. Le cimetière. Le garde-fou du pont enjambant la voie ferrée, qui tremblait au passage d’interminables trains de marchandise. »

Les remèdes pour s’en sortir, il les trouve en se plongeant dans l’itinéraire et l’œuvre fragmentée d’êtres se donnant sans compter à ce qui les fait vibrer. Ce peut être la poésie, la lutte sociale, le sport, la musique ou le cinéma. Peu importe. Charly Gaul, André Breton, Rosa Luxembourg, Garry Cooper, Black Eagle, Eric Burdon et Bob Dylan réunis aident à combler un sacré vide et à découvrir d’autres territoires.

A ces voyages immobiles se greffent des périples bien réels. Restitués par morceaux dans des lettres qui disent combien Lionel Bourg est avant tout un écrivain du dehors. Son aventure intérieure, il la porte en plein vent. Il la cisèle, la construit et l’enrichit en convoquant Pétrarque en déséquilibre sur les pentes du Ventoux, Saint Pol Roux penché côté mer sur son bout de lande à Camaret ou Roger Vitrac, l’auteur du Faune noir, enfoui et presque oublié sous l’écorce et « la rudesse du causse ».

Les lettres vagabondes de Lionel Bourg ne visitent pas seulement la mémoire lointaine. Le passé immédiat s’y inscrit en filigrane dès qu’il s’adresse à sa fille ou à ses petits-enfants. Il le fait (« Grand père. Une espèce de vieux gamin. Ou cet enfant rêvé dont je ne fus qu’à peine ») pour toucher aux origines et pour donner, mine de rien, en plus de sa mythologie personnelle, beaucoup de tendresse, de hargne, de rage, d’espoir à partager à ceux qui, un jour, poursuivront la route sans lui.

« Si demain, après demain, cela viendra, quelqu’un – quelqu’une – vous incite à mêler mes cendres au terreau du Crêt de la Perdrix ou à la steppe autour de Pierre-sur-Haute, que cela s’accomplisse avec les mêmes rires, les mêmes larmes qui m’agitaient, adolescent, quand je courais comme un nigaud sur la lande. »


Lionel Bourg : L’Horizon partagé, Quidam éditeur.


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8 avril 2010
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