Le Livre de "Quinze Grammes", caporal

Le livre de Jean Arbousset (1895-1918).


Jean Arbousset est mort, « Â tué àl’ennemi àCuvilly (Oise)  », le 9 juin 1918. Il venait d’avoir 23 ans. Sa chance, si l’on peut dire, est d’avoir réussi àpublier l’année précédente un ensemble de poèmes qui restera hélas sans suite, puisque le second manuscrit qu’il avait achevé – et qui devait s’appeler L’Amour, monsieur – et le roman de guerre qu’il était en train d’écrire n’ont jamais été retrouvés. Il ne reste donc présent que par Le Livre de « Â Quinze Grammes  », caporal. C’est àson côté frêle et fluet qu’il devait ce surnom dont il se servait d’ailleurs pour signer lettres et textes.

« Â Ce sont les Poilus de l’Argonne
qui viennent de me baptiser.
J’aime mon surnom, car il sonne.  »

Pour Éric Dussert, qui a établi et qui préface cette édition, ce recueil est « Â une sorte de petit chef-d’œuvre autonome  ». Jean Arbousset y glisse de la douceur et de la noirceur. La mort est omniprésente. Celles des hommes tout comme celles des chevaux. Elle rôde surtout de nuit, bouge sur les talus, s’installe sous un ciel étoilé. Il essaie parfois d’atténuer la gravité de ses poèmes en leur procurant un rythme mélodieux. Procédant ainsi, il parvient àdonner encore plus de tonicité àson propos. Ainsi, pour ces blessés qui attendent le remplissage de la voiture pour partir vers l’hôpital :

« Â Mais ils ne sont, ces blessés,
pas assez
pour mériter assistance.

Car l’auto ne se complaît
qu’au complet
àpartir pour l’ambulance.

Les sept blessés ont crevé,
su’l’pavé
comme des choux àla crème,

pour avoir trop attendu,
temps perdu,
pendant un mois, le huitième.  »

Arbousset sait se faire cinglant. Ses comptines se terminent mal. Le rire devient grinçant. La chute s’affirme tranchante. Derrière un tempérament joyeux, se cachent un esprit sarcastique, une sensibilité aiguë et une force remarquable. Pas de langue de bois. Pas de rêves portés trop haut. Mais çàet làun réalisme implacable, tel ce poème, saisissant, dédié àsa mère :

« Â Lorsque la mort viendra, comme une bonne femme
tout simplement, tout bêtement, faucher un corps
chez vous,
aimez jusqu’au détail du funèbre décor,
et si vous êtes pauvre
vous aimerez encore
jusqu’àce triste bruit des clous
dans le sapin.  »

Arbousset a beaucoup circulé entre 1915 et 1918. « Â On peine d’ailleurs àcroire qu’un seul destin puisse conduire àla fréquentation de tant de zones de combat  », note Éric Dussert. Il a connu les batailles d’Argonne, de Champagne, de la Somme, de l’Aisne, de la Lorraine. Il est mort peu avant que ne se termine la grande boucherie. En laissant un seul livre et pas le moindre portrait. Paul Géraldy, àqui il avait remis son ultime manuscrit pour qu’il le fasse parvenir àun éventuel éditeur dit qu’il « Â avait dans les traits quelque chose de fin comme d’une femme, de malicieux comme d’un enfant. Il faisait penser àun page.  »

Le Livre de "Quinze Grammes", caporal est plus qu’un témoignage. Il marque le début d’une Å“uvre qui n’a pas pu se réaliser pleinement en y adjoignant les lettres que Quinze Grammes écrivait àsa marraine de guerre. Y figurent également des textes signés Paul Géraldy et Louis Dubreuil-Chambardel (qui côtoya Arbousset dans les tranchées) et une bibliographie complète.


Jean Arbousset : Le Livre de « Â Quinze Grammes  », caporal, édition établie et présentée par Éric Dussert, éditions Obsidiane.

11 décembre 2013
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