Le Temps qu’il fait : « Personne ne nous attend : raison de plus pour poursuivre »
La parole à Georges Monti, fondateur et directeur des éditions du Temps qu’il fait :
Ma récente visite à une (très) grande "librairie de province" m’a donné le vertige. J’y venais chercher un livre de poche (d’un poète qui aura attendu d’être mort pour entrer dans une de ces collections démocratiques) et un guide de voyage. Je ne les aurais sans doute pas trouvés sans l’aide d’un vendeur que, le sollicitant, j’ai probablement détourné de ce qui est, selon moi, son vrai travail : proposer des ouvrages que personne ne demande - ou, plus exactement, n’a l’air de demander.
Mon devoir accompli, j’aurais volontiers musardé dans l’espoir d’une bonne surprise si, au bord de l’étouffement, il ne m’avait fallu quitter les lieux. Que de faux livres parmi les vrais, livres jetables, livres d’époque...
Mais là n’est pas la principale difficulté : surtout, que de bons livres, de littérature française ou traduite, livres d’images également, livres d’idées, livres de rêves...
A ce point l’éditeur se demande : comment trouver une place dans cette profusion ? Faut-il apprendre à parler plus haut ? Notre voix ne porte pas assez. Faut-il tâcher d’être à la mode ? Nous ne sommes pas de notre temps.
Mais au fait, pourquoi donc ajouter à ce brouhaha, se torture-t-on ? Faut-il changer de métier, que diable ? Nous n’en savons pas d’autre. Il nous vient alors l’idée sombre, exagérée certainement, que - malgré les années nombreuses à creuser notre sillon, faire des découvertes et entretenir des fidélités - personne ne nous attend.
C’est certes désolant pour le commerce, mais combien réjouissant pour l’esprit : quelle liberté ! Nulle commande à honorer, nulle contrainte extérieure à observer, nulle mission à remplir, seulement le plaisir de transmettre, des textes, des oeuvres, en véritables amateurs.
Voilà une tâche qui ne peut guère peser ni lasser, si l’on met de côté les dures questions d’économie. Personne ne nous attend : raison de plus pour poursuivre. Mettons de côté et poursuivons.
© Georges Monti, éditions du Temps qu’il fait.
Les éditions du Temps qu’il fait diffusent deux fois l’an, gratuitement à qui en fait la demande, un "prospectus". Celui qui vient de paraître débute par ces "états d’âme d’un éditeur", en l’occurrence leur fondateur, directeur et imprimeur (nombreux dans le métier et la poésie ceux qui ont eu recours à ses presses et son sens graphique), Georges Monti.
On s’y retrouve, évidemment, même si, dans les "(très) grandes librairies de province" on pourrait ici ou là trouver contre-exemple !
A signaler, dans ces livres que personne n’attend, mais qui renouvellent dans notre bibliothèque le bonheur de lire, l’impression un instant plus aiguë de mieux voir, ou voir autrement, le Couteau suisse de Denis Montebello, ou La montagne dans le dos, impressions du pays Dogon par Joël Vernet sur des photographies de Michel Castermans. Et notez que ce Couteau suisse a d’abord suivi la rue Bouboule sur remue.net comme Joël Vernet y parle de ce fond de la vie.
Mais aussi des "histoires" de Pascal Commère, Le vélo de saint Paul, et Ecrivez on vous répondra, pamphlet, par Gérard Macé (on se souvient qu’il y avait publié ce très étonnant La photographie sans appareil). Gérard Macé qui a aussi offert au Temps qu’il fait leur slogan "on lit comme on rêve".
Sans oublier quelques questions vaches.