Montparnasse monde, roman de gare de Martine Sonnet
Les portes du Montparnasse monde s’ouvrent ici sur l’ambiance sonore de la gare, cinq films de « très très court métrage », 99 photos et les chroniques dont le livre est né.
Montparnasse monde sur le site des éditions Le temps qu’il fait.
Rencontre avec Alain Veinstein autour de Montparnasse monde sur France Culture le mercredi 18 mai à 23h30.
Mon acuité visuelle n’est nulle part aussi fine que dans la gare et mon point aveugle m’en fait voir de toutes les couleurs (dans les limites du spectre du lieu). J’atteins, à très peu de choses près, la vision panoramique qui confère à la mouche son caractère insaisissable. La seule qui permette de suivre cette roulette échappée de son essieu de valise, et tous à shooter dedans, sans la sentir, pieds insensibles, absorbés qu’ils sont par l’affichage tardif de leur TGV, partis comme un seul homme et la roulette, entre eux, de l’un à l’autre, et sur elle-même comme une toupie. La gare, pour un peu, je n’en croirais pas mes yeux. Mes autres sens ne chôment pas : j’ai l’ouïe fine, l’odorat développé et la sensibilité à fleur de peau. J’entends celle qui confie à son téléphone : quand je vois Marie-Louise avec son poulet, ça me remet les idées en place – stimulant en outre mes facultés cognitives : comment une conversation peut-elle en arriver là ? Je sens bien que la gare ne sent pas partout la rose – je marchais un soir le long d’un quai de banlieue avec P.A. en lui parlant d’écrire la gare et lui : mais l’odeur, tu la sens, l’odeur ? Et j’ai la chair de poule rien qu’en pensant à l’ombre de la personne de l’accident de personne . Qu’on ne me dise pas que je nourris pour ce lieu une passion insensée.
C’est le hasard d’une mission professionnelle qui a conduit Martine Sonnet à se rendre chaque jour dans la gare Montparnasse où elle a travaillé pendant quatre ans dans « un bureau au-dessus des voies ».
Une gare on la traverse, on y court dans les couloirs, sur les quais, on y fait ses courses, on y attend un départ ou une arrivée, on y achète le journal et on le lit en buvant un café, on s’y bouscule, on s’y croise, s’y oublie.
Du quotidien urbain.
À certaines périodes on y part en vacances, en cure, en voyage sur les grandes lignes vers Granville ou Bagnoles-de-l’Orne, mais moins souvent.
Jusque-là, rien qui surprenne.
Pourtant à force d’y arriver de banlieue chaque matin, d’y travailler toute la journée et d’en repartir chaque soir, il est arrivé cette expérience que la proximité et la répétition, au lieu d’amener Martine Sonnet à ne plus rien voir, ont déshabitué son regard au point que tout est devenu étrange, inconnu.
Il lui a fallu tout reprendre de zéro, à commencer par la nomination.
Par exemple, comment appeler le « mobilier urbain » des gares ? « Mobilier urbain ferroviaire de l’intérieur de la gare me semble trop long pour s’imposer dans un langage courant partagé », écrit Martine Sonnet. Le Montparnasse monde est un monde « lettré » avec son propre alphabet morse tracé sur le sol, son vocabulaire, ses sigles et ses abréviations. Est-ce bien « rondelles » le nom des disques protecteurs qui entourent les pieds des potences métalliques ?
Admettons que chaque chose a trouvé son nom et sa place, il y aura ensuite les trajets à définir, les raccourcis à découvrir, les étages et demi-étages à repérer, les distances à calculer, les couleurs à décrire, les horloges à installer, un jardin à explorer, et même les souvenirs d’enfance et d’après qui vont y revenir comme s’ils étaient chez eux sous les verrières – quatre années ce n’était pas peu pour décrire tout un monde…
C’est un récit d’ethnographie urbaine qu’a entrepris Martine Sonnet dans Montparnasse monde, à la façon du Livre blanc de Philippe Vasset, une expérimentation dont celle qui la conduit est partie prenante avec ses rêveries, ses euphories et ses tristesses, une initiation à la littérature contemporaine.
Elle y propose des exercices de gare dont celui-ci :
« Calculez la probabilité que deux lecteurs de Montparnasse monde se croisent, livre en mains, par un heureux effet du hasard (objectif ou pas) dans deux escalators, l’un montant, l’autre descendant, et en signe de reconnaissance complice s’adressent un clin d’œil. »
Ne manquez pas d’aller lire in situ ce « roman de gare ».