Notes de peinture 7

Mardi 28 avril
Dom est revenu du saxo juste au moment où j’ai trouvé un miroir.


Mercredi 29 avril
Plafond bleu avec étoiles jaunes. Portes vertes avec montants rouges. Sol ?
Le nouvel atelier.


Vendredi 1er mai
Décidé de peindre Pierre.

Si je ne lui donne pas de visage, même arrêté, c’est comme s’il n’avait pas existé.

Cette histoire de « je ne peux pas peindre un mort » : l’équivalent de « je ne peux pas peindre une mère ». De la psychologisation à la con.


Samedi 2 mai
Tout à l’heure je peins (je ne dis pas « j’attaque ») les deux derniers portraits de la Série, en simultané. Moi et Pierre. Pierre et moi.

Assise dans l’atelier.
Tourné ma table différemment. En face, maintenant, de l’étagère avec les photos, les bibelots, etc.

17 heures.
Commencé mes traits.
Impossible de savoir si c’est juste ou faux.
Épuisée.
Familière de ce qu’il y a sur le tableau.
Ce n’est pas attrapé.
Il me semble que je ne vais pas me massacrer. Et, si ça continue, je vais paraître très jeune. La tête n’est pas très grande, elle rentre dans le tableau.
C’est un autoportrait de face, d’après miroir.
Pour l’instant la tête est bien posée sur des épaules, mais je ne sais pas si c’est moi.
Je me laisse de côté et fais le tableau de Pierre.
Tenir ma promesse de le faire.
Il y a quelque chose d’émouvant dans ces deux derniers tableaux, dans leur ébauche. Une finesse, une fragilité.
Etrange qu’il y en ait un qui me représente.
Très fatiguée.

Vu hier soir Une femme sous influence. Trop long. Acteurs magnifiques.

Il faut que je modifie l’oreille carrée de Stan.
Il faut que je reprenne la bouche de ma mère version 2.
Il faut que je fignole l’oreille de mon père.

Quand donc vais-je terminer cette Série ?


Dimanche 3 mai
Vu hier au Rex Hellzapoppin. Dans les toilettes du cinéma : un miroir. Je me voyais de loin.
Pour me peindre, il faut que je m’éloigne ainsi du miroir, que je le tienne à bout de bras.

Ces deux derniers tableaux ont leur place dans ce mur de portraits.
Je les peins contemplée par deux fois par ma mère.
Sophie est au centre de la Série.
Sortir tous ces tableaux et les accrocher.
Six mois que je vis avec ceux-là.



Lundi 4 mai, 18h30
Nouveau cahier, même série picturale.

Mon frère Pierre, maintenant bâillonné.
Les yeux : vivants.
La bouche : rogue.

Il était comme cela dans les derniers moments où je l’ai connu. Hargneux, de mauvaise humeur. Agnès le sait. Est-ce qu’elle parlera un jour ?

Dans le couloir du haut, Pierre avec une petite chaise à bout de bras, menaçant. « Maman, maman, Pierre veut nous tuer. »

Pierre, dehors, en train d’essayer de faire démarrer son solex pour aller à l’école. Épuisé. Maman se retenant de l’aider. « Je ne dois pas l’aider. Il faut qu’il le fasse seul. Son honneur, sa fierté… »

C’est cela la douleur. Exactement.

Les yeux de Pierre : OK. Le nez aussi. La position.
Rébecca a reconnu l’ovale de mon visage. Blanc. Tout à faire.
Encore une chose que je pourrai rayer de ma liste quand ce sera fini.
Et je reprendrai ma liste.
Et je continuerai.
Est-ce que ce sera comme avant ?


Mardi 5 mai, 10h30
Pourquoi à la peinture ?
Pourquoi pas au crayon, à l’encre noire ou autre chose ?
Parce que je travaille sur toile.
Que je ne me vois pas faire de l’encre sur toile, ni du crayon.
Qu’une toile tendue sur un châssis tient debout en soi-même.
Que le papier se roule, se punaise, se plie, se déchire.

Le miroir est prêt à accueillir mon visage.

Tout d’abord, terminer Pierre : sa bouche.


Lundi 11 mai, 13h30
Hier soir : au moment de s’endormir, Félix se relève.
— Je n’arrive pas à dormir.
— Pourquoi ?
— J’ai peur d’être dans une tombe quand je serai mort.

Ce matin : longue discussion avec Agnès au téléphone. Au téléphone, on se parle. On ne se voit pas. Comme un miroir.

Aujourd’hui : pas de travail alimentaire. Obligée de lister des trucs à faire. Je liste.

14 heures
Vendredi, D. arrive. Je voudrais avoir fini mes tableaux.

14h30
Fait les comptes (catastrophiques), appelé deux agences (rien), appelé l’intérim : rendez-vous demain. Trop mal de ne pas gagner ma vie.


Mardi 12 mai, 23 heures
Peinture.
Pierre : sa bouche.
Vu l’intérim : tout est possible.
Épuisement.
Devant moi, mon ovale de visage, prêt à m’accueillir.
Trop fatiguée.


Jeudi 21 mai
Quel jour ? Quel trimestre ?
Sous le signe de la vallée des larmes et de l’angoisse. Angoisse à tel point que j’ai mal en travers du corps, du diaphragme, jusque dans le dos. Ça passe par l’intérieur.

1. Week-end de l’anniversaire du grand-père.
2. Fritage. Très fort, violent verbalement, violence de la tension.
3. D. vient pendant cinq jours.
4. Agnès vient avec Natacha.
5. Je décide de fêter Dom. J’invite le dimanche Florence et Patrick.
6. Réveil de Félix un soir mort de trouille : « Je ne veux pas aller dans une tombe quand je serai mort. »
7. D. voit mes tableaux (la Série) dans l’atelier. Anéantie. « C’est du vrai travail de peinture, etc. »
8. Déjà pleuré au Florida quand je lui ai raconté le fritage familial.
9. Je pleure quand elle me dit que c’est du vrai travail de peinture.
10. Dom, samedi, bouleversé, apprend par téléphone la confirmation du cancer de son beau-frère. Il nous le dit. Fé s’accroche à lui au bord des larmes.
11. Dimanche : Fé à table : « Mon tonton a un cancer. » Flo se retourne vers moi en ouvrant de grands yeux.
12. Effondrée par la tension.
13. Dimanche après-midi : D. me demande de sortir mes tableaux (la Série) dans la grande pièce. Nous sommes fascinées. Seul mon visage reste à faire. Elle se demande si mon état de fatigue totale n’est pas lié à ce travail pictural. Je ne sais pas.
14. Agnès a vu mes tableaux alors qu’ils étaient à l’atelier. Impressionnée. « Je n’aime pas être représentée. C’est une page de tournée. » Ils étaient très proches Pierre et elle. Ils avaient la même bande d’amis.
15. Aujourd’hui, je ne suis pas allée travailler.
16. Vu Lola et sa grand-mère à l’école. « Bonjour, Cécile ! » Jonathan sort. Il vient m’embrasser. Les larmes.
17. Ce matin appelé Aude, pas là ; appelé Sophie, pas là ; appelé le garagiste, etc.
18. Parlé avec Dom. OK.
19. Que tout est fragile. Que je me sens parfois sans force aucune. Envie de me terrer et de ne plus bouger. De prendre mes enfants avec moi, de les cacher, de les protéger de tout et pour toujours.
20. Je ne sais pas ce que je deviendrais si je ne parlais pas avec Dominique.

Du point de vue de la peinture : décidé de faire mon visage au retour de Séville.
Besoin de reprendre quelques forces.

DEUX POLAROÏDS DE LA SÉRIE DANS LA GRANDE PIÈCE.
CÉCILE : OVALE DE VISAGE NON REMPLI.

18 mars 2007
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