Pourquoi je lis "Les Amours jaunes" de Tristan Corbière
Tristan Corbière est mort à Morlaix, dans le Finistère, le premier mars 1875. Son seul livre, Les Amours jaunes, composés de 101 poèmes, avait été publié deux ans plus tôt, à compte d’auteur, chez les frères Glady, imprimeurs à Paris. 140 ans plus tard, le livre est toujours bien présent. Et la figure du poète également. Ni l’un ni l’autre n’ont été aspirés par l’invisible pompe, pourtant vorace, qui alimente jour après jour la grande fosse où gisent des dizaines de milliers de disparus de la littérature.
Si Corbière doit sa survie à l’originalité de ses textes, à ses raccrocs, à ses rognures, à ses cassures, à ses chants et dé-chants, à ses tangages, à ce ressac brisé qu’il rend si haletant, à sa faculté d’embarquer, au quart de tour, le lecteur pour un cabotage insensé, par temps de chien, à bord d’un rafiot d’infortune à quelques encablures à peine de la côte, il doit également une fière chandelle à Verlaine qui, en l’incluant en 1884 dans le volume Les poètes maudits (aux côtés de Rimbaud et de Mallarmé, entre autres) fut l’un des premiers à le faire connaître. L’étonnant, c’est que, depuis, et régulièrement, d’autres passeurs (ainsi Tristan Tzara, Henri Thomas, Gérard Macé, Emmanuel Tugny) ont régulièrement pris le relais, expliquant ce qui, dans une œuvre restreinte mais foisonnante, les aidait à aller de l’avant et à se sentir quelques affinités avec cet auteur à la plume redoutable (et à la santé fragile) qui aura pauvrement ri (de lui) et maladroitement aimé (jaune) durant son bref passage sur terre.
Cette fois, c’est Frédéric Houdaer qui dit comment et pourquoi Les Amours jaunes continuent de l’accompagner. Il lui arrive d’ailleurs de croiser l’ombre du poète à l’improviste. Cela se passe dans des territoires infimes et imaginaires. Il peut également percevoir quelques traits de sa personnalité créative chez tel ou tel musicien, cinéaste ou poète contemporain. Ce sont des concordances qui ne peuvent être détectées que par un lecteur averti. Ce qu’il est, assurément, lui qui glisse, au fil d’un essai qui oscille entre récit et critique littéraire, de judicieuses citations qui éclairent le parcours escarpé du « poète contumace ». Il en retrace les grandes étapes. Rappelle ce qu’il doit, dans sa recherche, à ceux qui, avant lui, s’y sont collés, notamment Jean-Luc Steinmetz, l’auteur d’Une vie à peu près, qui reste, de loin, la meilleure biographie publiée à ce jour. Il montre combien Les Amours jaunes demeure actuel. Insiste sur le bienfait qu’il y a à s’y replonger régulièrement. Et, ce faisant, ouvre (en toute subjectivité) de nouvelles portes pour inciter ceux qui ne le connaîtraient pas encore à entrer dans ce « monstre de livre ».
« Trente ans après sa découverte, Corbière reste un événement inouï dans mon parcours de lecteur. Seules mes découvertes (plus tardives) de Richard Brautigan et de Réjean Ducharme peuvent lui être comparées. Qu’ai-je trouvé dans ce recueil ? Une planche de salut, pour commencer. »
L’ouvrage de Frédérick Houdaer est le troisième titre de la collection Les Feux Follets, constituée de courts essais « critiques et élogieux » où des écrivains contemporains parlent de l’attrait que continue d’exercer sur eux tel ou tel livre.
Frédérick Houdaer : Pourquoi je lis Les Amours jaunes de Tristan Corbière, Le Feu Sacré éditions.