Raoul Hausmann : un courant d’excentricité
Même après deux visites à quelques jours d’intervalle, il est impossible d’épuiser les pépites de l’exposition Dada qui se tient encore jusqu’au 9 janvier 2006 au Centre Pompidou, à Paris.
Prenons une case du labyrinthe (ou du jeu d’échecs), au hasard : D5, Raoul Hausmann, touché ! A quelques pas, il y a aussi Paul Citroën, avec le nom qui s’imposait pour ce constructeur d’images urbaines vertigineuses.
Mais Raoul Hausmann (1886-1971), il n’est pas si éloigné de nous. Ses tableaux, ses photomontages, ses collage visuels ou sonores, son ambition « optophonétique » gardent tout leur éclat et leur résonance.
On a donc donné ici comme une chambre d’écho à Raoul Hausmann, mais il est présent aussi dans tant de lettres, écrites en allemand ou en français (et dans tant de réponses, de Tristan Tzara, d’André Breton...), dispersées ailleurs, dans le circuit non balisé où les visiteurs se pressent à l’aveuglette et où des profs font cours devant leurs élèves assis par terre et prenant sagement des notes.
Dada : magie de l’invention, de l’intervention.
(Cliquer sur le plan pour le lire.)
Le dernier livre de Raoul Hausmann a été publié en 1970 (en français), et réédité chez Allia en septembre 2005 (6,10 euros). Titre : Sensorialité excentrique.
Il est précédé d’un texte datant de 1922, publié à Vienne (Autriche). Titre : Optophonétique.
Extrait :
« La construction technique adéquate donne à l’Optophone la capacité de montrer l’équivalence des phénomènes optiques et sonores, autrement dit : il transforme les vibrations de la lumière et du son - « car la lumière est de l’électricité vibrante, et le son aussi est de l’électricité vibrante ». (...) Mais notre intention est de réussir l’optophonétique, comme dépassement de notre conscience temporelle-spatiale et atteindre à une perfection technique que nous ne sommes pas capables d’atteindre, si nous ne voulons pas reconnaître les relations entre l’art pictural et la musique, qui séparément sont des formes dépassées. »
Dans Sensorialité excentrique, Raoul Hausmann écrit que « le Présent est le dilemme anarchique du temps terrestre ». Aussi peut-on penser que « la sensation excentrique-optique a son véritable siège ou sa source dans le cerveau, là où, comme dans une centrale électrique, s’interchangent les différents signaux amenés par les sens. »
A l’intérieur de sa fameuse tête de bois : un courant d’excentricité.
De même, « notre perception envoie des rayons haptiques jusqu’aux étoiles les plus éloignées et cette sensation nous revient et s’inscrit sur la rétine.
Marcus appelait ce phénomène la « Sensorialité excentrique ». Cependant, par la suite, personne ne s’est plus occupé de cette découverte. »
Raoul Hausmann en échafaude alors la structure :
« Ainsi la Sensorialité Excentrique ne respecte pas une Assurance VIE.
Se surpasser, c’est détruire en soi-même les préjugés millénaires.
Il faut sentir l’essence haptique des archétypes formés par le langage, il faut sentir le poids même du MOT.
Il faut qu’on plie même sous la pesanteur du SON.
Prenez ceci à la lettre ! »
Le programme est clair : l’invention est multiple, la Sensorialité Excentrique englobe sans doute les arts et les lettres, sa théorie les envoie promener en l’air avant qu’ils ne retombent tous en confetti de phrases écrites ou dites, de formes, de couleurs et de musique.