Synopsis cinématique

« Quand des effets de montage l’emporteront en efficacité sur des effets de mise en scène, la beauté de celle-ci s’en trouvera doublée, de son charme l’imprévu dévoilant les secrets par une opération analogue à celle qui consiste en mathématiques à mettre une inconnue en évidence. »

Jean-Luc Godard, « Montage, mon beau souci » (Cahiers du Cinéma N°65, décembre 1956).

Le synopsis était déjà écrit, il ne prenait que quelques feuillets.

D’abord, on voyait Michel S. se diriger vers le métro parisien place de la République, puis s’enfoncer dans les entrailles - cliché - du tramway underground. (Il était suivi caméra à l’épaule.)

Après Bastille, changement de direction (plan-séquence avec travelling depuis les marches), plongeon de l’escalier mécanique qui aboutit aux rames sans conducteur, celles qui ont acquis leur autonomie, et qui mènent jusqu’à la Bibliothèque François-Mitterrand.

La caméra remontait ensuite à l’air libre à la station Bercy (12e arrondissement). La pyramide du Palais Omni-sports imposait sa surface, avec son côté incliné en terrain de golf à 70° ; à droite, en remontant vers la gare de Lyon, Michel S. longeait le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, protégé par des agents qui portent un galon rouge sur le pantalon bleu marine.

« A Bercy », comme on dit dans la presse, des cadres qui semblaient affairés sortaient par différentes issues de l’immense blockhaus, tous vêtus de costumes noirs.

Et puis, Michel S. réalisait que le bâtiment qu’il cherchait se trouvait dans le sens opposé de sa marche. Il faisait aussitôt demi-tour et passait alors au-dessus des rails du métro (plan fixe à travers le grillage garde-corps) et continuait jusqu’au numéro 51.

Il ne pouvait manquer la Cinémathèque puisque le bâtiment était tout neuf et tout beau. C’était même le premier jour de son ouverture au public, le 28 septembre 2005. Il n’y avait pas ces grilles comme à l’ancienne entrée au Palais de Chaillot, du temps d’Henri Langlois, et cette descente inquiétante ressemblant à celle du métro Charonne un 8 février 1962.

(Panoramique sur les portes de verre.) L’inscription « Cinémathèque française » était nettement visible, les décrochements du bâtiment aux formes cubiques et arrondies caressaient le regard de Michel S. Il admirait cette synthèse élancée entre l’aspect géométrique et la douceur des courbes dominés par la watch tower donnant sur le parc. L’architecte était sans doute un as, existait-t-il un documentaire sur Frank O. Gehry qui pourrait être projeté ici-même ?

Alors, Michel S. pénétrait dans le hall (plan à hauteur d’homme, puis champ-contrechamp). Sur demande d’un gardien, ouverture obligatoire du sac à dos, avec, à l’intérieur, Libération et l’article amusant de Jacques-Alain Miller sur Le Livre noir de la psychanalyse, qui avait sans doute pour ambition de rattraper le tirage du Da Vinci Code.

Michel S. emportait le programme épais, jaune et Renoir, disponible à l’accueil : en le parcourant, il avait déjà repéré que les vigiles avaient laissé entrer dans la place, en toute innocence, le « cinéma art subversif », avec notamment, le 9 décembre, des films courts de Peter Weiss (5, 6, 7, 8, 19 minutes, de 1952 à 1957).

Puis Michel S., tranquillement, s’éloignait de la rue Belmondo (le sculpteur), indiquée par une plaque bleue à côté de l’entrée du palais des rêves sur grand écran (travelling en marchant à reculons).

Ce promeneur déterminé imaginait un scénario dans lequel la nouvelle Cinémathèque aurait le rôle principal, avec son œil cyclopéen et panoptique en forme de projecteur ! L’histoire d’un lieu secret de conspirateurs sur pellicule, une assemblée mystérieuse de noctambules décidant de passer de l’image à l’action et vice-versa, un groupe de cinéphiles impénitents qui portaient des lunettes de soleil le jour, qu’il fasse beau temps ou pluie...

A une trentaine de mètres de l’immeuble emblématique d’une audace architecturale bienvenue dans ce quartier espacé, un manège ancien (plan fixe) semblait bouder dans son coin : Michel S. se demandait pourquoi, quand la tête commença à lui tourner.

Il se fit alors en lui, soudainement, comme un fondu au noir.

Inserts :

http://www.51ruedebercy.com/html/unlieu/visite.htm
http://www.cinematheque.fr/fr/lacinemathequefrancaise.html
http://www.planete-virtuelle.org/encyclopedia/F/Frank_Gehry/
http://www.horschamp.org/article.php3?id_article=928

Dominique Hasselmann

29 septembre 2005
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