Prêt payant / réactions


Retour page François Bon

voir aussi interventions de Jérôme Lindon (éditeur) et Henri Martin (libraire)

 

Message de Michel Séonnet (écrivain)

J'ai lu le texte de Laclavetine dans Le Monde avec un fort sentiment de reconnaissance. Je lui étais reconnaissant, et je me reconnaissais. Parce qu'il y a trop de honte à entendre les tenants du faut-payer. Comment peut-on refuser de prêter ? L'idée même m'est insupportable. Bien sûr, pour moi ça ne représente pas grand chose, les droits d'auteur. Et c'est pour ça que je ne me sentais un peu à l'écart. Je ne peux que parler sur le principe. Violemment sur le principe. Alors s'il s'agit de s'associer à quoi que ce soit, j'en suis bien sûr. Franchement, ma position sur la question est non seulement que le prêt doit être gratuit (et il s'agit donc d'interdire aux bibliothèques de faire payer quoi que ce soit), mais qu'en plus ça ne doit rien rapporter. Gratuit et sans droit. Il y a quelque chose de tellement stupide à penser que le prêt est un " manque à gagner ". Même au strict point de vue de la marchandise. Je pense d'ailleurs que l'enjeu n'est pas pécuniaire, mais idéologique. Il s'agit de faire qu'aucun secteur de notre activité échappe aussi peu que ce soit à la marchandise. C'est ça la guerre en cours. La gratuité est immorale. Et les "faut-payer" n'ont même pas l'intelligence des serveurs internet qui vous ouvrent gratuit parce qu'ils savent comment vous faire payer par ailleurs. Prêt gratuit ! Prêt sans droit ! S'il y a combat à mener c'est exiger des bibliothèques qu'elles respectent cette stricte gratuité (ce n'est par exemple pas le cas dans ma commune).

 

Message de Michèle Sales (bibliothécaire, Coopération des Bibliothèques en Aquitaine)

Ce débat est piégé d'un bout à l'autre depuis le début, les prises de position n'éclairent en fin de compte que la piètre opinion que se font les éditeurs du SNE des bibliothèques, et d'ailleurs aussi des bibliothécaires. Que l'on soit pour ou contre le droit de prêt, la profession en a assez débattu, et de façon assez sérieuse pour que son opinion soit prise en compte. Les bibliothécaires sont soucieux de ce qu'ils appellent "l'interprofession", soucieux que le livre vive, auteurs, éditeurs, libraires, soucieux des menaces qui pésent sur la petite édition, que souvent par leurs achats ils contribuent à faire vivre. Si certains sont pour le prêt gratuit, le souci d'une plus juste rémunération des auteurs a conduit un certain nombre d'entre nous à se prononcer pour un droit de prêt acquitté par l'état, ou les collectivités, avec les impots de tous, mais jamais en aucun cas par les lecteurs. Nous savons très bien que si c'était le cas on éliminerait impitoyablement les lecteurs "fragiles", ceux pour qui justement, les bibliothèques mettent tant d'énergie en oeuvre pour qu'ils accèdent plus facilement aux livres. Moi, les auteurs que je rencontre ont du courage, juste le souci d'être un peu payé pour les heures qu'ils passent en prison. Les autres je ne les connais pas. Mais ce débat ne me passionne pas, quand on se bat au quotidien depuis tant de temps, pour se voir encore et toujours mettre des batons matériels dans les roues, pour un simple accès aux livres.

 

Message de Laurent Evrard (libraire, Tours "Le Livre")

Donc toujours grande agitation autour de la question du prêt, je trouve cela désolant, ce n'est pas une question qui me parait primordiale, il est évident qu'on ne peut remettre en cause la gratuité du prêt, que ce n'est pas là qu'il faut agir, ne comprends pas très bien ce que cache cette mobilisation, qu'est-ce qu'il y a au fond, quelle stratégie, que de temps perdu en agitation vaine, ne surtout pas oublier que ce qui nous importe c'est la littérature le travail de langue le refus de domestication le refus de normalisation, toujours la question chère à Deleuze des intercesseurs, comment faire passer, toujours devoir avec rigueur penser le geste de transmission et son mouvement critique, chacun veut défendre des positions corporatistes de castes de classes insupportable que cela, de toutes les façons bibliotheques comme editeurs comme libraires quasiment tous, hors quelques uns si peu ceux la, du cotè de la domination du marché de la culture du pouvoir, que chacun se questionne radicalement sur ses pratiques afin d'en comprendre la faillite mentale ne pas avoir peur des grands bouleversements quitte à y laisser sa peau trop grande confortabilité de nos petites positions. Il n' y a personne à épargner pas même soi detruire à chaque fois lorsque confortables les choses.

 

Message de Phillipe de Jonkheere (écrivain)

Je ne vais plus à la bibliothèque. Autrefois si, j'y allais beaucoup C'est à dire autrefois je n'avais pas beaucoup d'argent, pas tout à fait assez pour m'acquitter de mon loyer d'un appartement dans lequel je me cognais sans arrêt du fait de son étroitesse, des factures et notamment de celle de l'EDF et pourtant ce n'était pas surchauffé dans mon petit appartement exigu, et toutes sortes d'autres impératifs financiers avec lesquels je me faisais l'impression d'un équilibriste toujours sur le point de tomber. Donc les livres et les disques à l'époque je ne les achetais jamais, ou si, les jours de rentrée inespérées d'argent, mais ces jours étaient rares. A l'époque j'allais dans une bibliothèque, celle de la rue de Tolbiac à Paris 13ème. Ce n'était pas parce que je n'avais pas d'argent à revendre que j'avais tout à fait abandonné l'idée d'être curieux parce bien sur j'ai oublié de préciser qu'à cette même époque j'étais jeune aussi, donc curieux. D'ailleurs j'étais tellement curieux et surtout jeune que si la bibliothèque ne m'avait pas prêté ses livres, je crois que j'aurais fait un malheur et les livres je les aurais volés et si j'avais du me faire pincer, je n'étais pas plus malin qu'un autre, juste jeune et donc toujours un peu en colère, et bien si je m'étais fait pincer j'aurais plaidé le cas de nécessité impérieuse. Et puis les choses ont pris un tour meilleur pour moi maintenant, je paye mon loyer d'une belle maison le jour dit, l'EDF ne me fait plus peur et pourtant il ne fait pas froid chez moi, je mange bien, même un peu trop bien parce que depuis ma jeunesse j'ai pris du poids. Oui maintenant je ne suis plus jeune. Je lis toujours cependant, en cela j'ai gardé une curiosité juvénile. En fait je ne vais plus à la bibliothèque, mes livres je les achète dans une librairie. D'ailleurs il y a beaucoup de mes livres qui jalonnent mes étagères et que j'ai lus du temps où j'étais jeune et en colère, et aussi un peu maigre, je ne les ai pas volés à cette époque, non je les ai rachetés depuis et quand je les relis, aujourd'hui, j'entends encore les bruits feutrés de la bibliothèque comme un autre repense toute une enfance en trempant sa madeleine dans une tasse de thé. En achetant des livres aujourd'hui je crois que j'ai déjà rendu au centuple ce qu'un jour on m'avait prêté. Si les livres n'avaient pas été gratuits à cette époque, maintenant je serais affalé devant ma télévision peut être même encore plus gros que je ne suis aujourd'hui et je m'ennuierais ferme.

émail: philippe.de.jonckheere1[@]libertysurf.fr

 

Message de Chantal Anglade (enseignante)

Dans le nouveau programme - pas meilleur que le Beaujolais - de Français pour la classe de seconde applicable à la rentrée 2000 (paru au B.O en aout 99), en préambule, on préconise la "lecture cursive", "au moins six –uvres par an - mais un nombre plus élevé est bien sûr recommandé", on souligne que" les élèves pourront accéder à des connaissances pratiques dans le domaine de la rhétorique générale et de la poétique générale" par" la production autant que la réception" ( on précise que l'écriture est "d'invention et d'imagination" et cela me fait hurler mais c'est un autre débat, quoique.). Je situe les choses pour laisser le néophite de l'Education Nationale seul juge de la clarté du message. La rubrique numéro II intitulée "Contenus" propose que soient étudiées la production, diffusion et réception des textes et notamment "un ou plusieurs ouvrages contemporains au choix du professeur" - ça s'appelle "écrire, publier, lire aujourd'hui". Et je m'en réjouis égoïstement pour moi : je sais bien quels auteurs je ferai lire, quels auteurs je ne ferai pas lire. Tandis qu'avec présomption je me frotte les mains, le doute parvient tout de même à m'assaillir : il existe des abominations, et pas mal de publicité, leurs puissances trompeuses franchiront-elles les bonnes grilles des lycées ? N'empêche. On parlera de diffusion, on fera acheter des livres au C.D.I. - et cette année on n'a pas eu le moindre problème de conscience à faire acheter le prix Goncourt - on racontera qu'on aime l'atmosphère des bibliothèques et le plaisir que c'est de rapporter quelques livres chez soi qu'on lira ou ne lira pas, car, en plus, on ne lit pas tout ou pas intégralement ce qu'on veut pour un moment seulement posséder, on multiplira les références aux ouvrages contemporains, on ne sait jamais, quelques-uns s'en souviendront et demanderont à les emprunter. On pensera aussi qu' on donnera peut-être ce goût de l'emprunt - il n'y a souvent à la maison que les livres qu'on fait acheter -, petit bonhomme deviendra grand. Mais on ne se voit pas dire que l'emprunt est payant à dix-huit ans, ni ne pas le dire et envoyer dans les bibliothèques. Il ya les familles qui achètent des livres, il y a des familles où on dit "va en bibliothèque", il y a des familles où on ne dit rien et les enfants scolarisés vont en bibliothèque parce que le prêt est gratuit et ils sentent bien qu'il ne leur est pas interdit -comme leur est interdit par exemple le théâtre qui reste onéreux. Et puis tout simplement, ce principe - tout se paie - alimentera les discours déplaisants et réactionnaires qu'on ne veut pas entendre : ils ont bien de l'argent pour leur portable, leur Nike, leurs cigarettes et leur shit, ils peuvent bien payer le prêt d'un livre, c'est tellement plus noble. A force de noblesse, on continue ce qui tient au c–ur de notre société : l'établissement de la seule évidence commerciale. On ne paie pas encore en passant les ponts des fleuves, sur le Pont des Arts, on prend garde seulement à son jupon. On ne paie pas non plus quand on regarde les monuments des villes. Et puis quoi ? Il y a ceux, nombreux, qui achètent ensuite les livres qu'ils ont lus et aimés ( empruntés aux copains, c'est quoi que tu lis , tu me le passes ?, ou en bibliothèque ), il y a ceux qui n'achètent pas plus de livres que d'objets qui encombrent l'espace. Et puis surtout au nom de quoi tente-t-on d'embarquer ceux qui ne sont pas d'accord ? On nous demande déjà à nous, profs, d'enseigner "l'argumentation" du collège au lycée comme si nous avions pour mission de former des commerciaux - soumission du langage à des fins intéressées, intéressantes qui ne nous intéressent pas. On ne va pas nous demander aussi de justifier la lecture par la location et l'argent.

 

Message d'Arnaud Morel (enseignant)

Quand je lis, quand j'écris, j'ai une "activité psychique" la littérature, les livres sont de cet ordre, Michèle Petit le dit mille fois mieux que moi, René Diatkine, à A.C.C.E.S. ne disait pas autre chose en ce qui concerne l'intérêt de la littérature jeunesse, les autres notions, plaisir, etc.. sont de l'ordre secondaire, lire, écrire pour penser, rêver, projeter, s'identifier, s'évader,.... de façon contrainte par soi-même, un côté quasi ludique et gratuit, la vie quoi, et pourtant, que d'efforts mentaux, que de sueurs (froides), que de temps passé, et le monde, un vrai monde, et celui-là il est aussi multiple qu'il y a de pensées, de sujets, il ne risque guère d'y avoir beaucoup de fusions; - d'ailleurs la fusion c'est le langage impossible- alors interdire l'accès aux livres par un prêt payant en bibliothèques à des gens peu argentés qui justement par cette gratuité ont cette chance énorme de pouvoir vivre, survivre, s'en sortir dignement et intimement grâce aux lumineux rayons de soleil en leur esprit que leur apporte les livres, celà relève de la HONTE! Je crois bien qu'aujourd'hui le mot résistance va redevenir d'actualité. une anecdote pour clore: cette année, j'ai lu quatre C.Oster, quatre F. Bon, trois A.Ernaux: c'est parce que le goût m'en a été donné par les deux premières lectures de chaque auteur(livres empruntés gratuitement en bibliothèque) que j'ai poursuivi celles-ci en achetant les autres titres.. Arnaud Morel, enseignant.

 

Message d'Alexandre Jacopo (critique, enseignant)

Concernant le prêt payant, ta position me paraît juste. Les stratégies de lutte contre l'illétrisme conduisent de plus en plus d'enseignants à voler au secours de la librairie. Enseigner la lecture consiste de plus en plus souvent à 'éduquer' le jeune lecteur pour en faire un consommateur de livres, c'est-à-dire un bon client des librairies. Evidemment, ça ne marche pas. Tant qu'à se comporter comme de dociles consommateurs, à savoir comme des veaux, les jeunes préfèrent le rap, la techno & le cinéma. Et quand on voit ce que les libraires leur proposent, on ne peut pas leur donner tort. Pour ne rien dire des lycéens qu'on prétend impliquer dans cette horreur de prix Goncourt! Ni la véritable culture livresque, ni ce que Ponge appelait 'la rage de l'expression' ne sauraient se confondre avec l'intérêt des éditeurs et des libraires. Combien y avait-il d'ouvrages dans la librairie de Montaigne? Combien de Prix Goncourt, de 'Particules élémentaires' (si c'est bien le titre) et autres succès de librairie, a-t-il fallu que Rimbaud ne lise pas pour ne pas se gâcher le goût et devenir ce qu'il était en 1870? Il me semble clair que les enseignants, dans leur masse, ont baissé les bras. Tant mieux si quelques auteurs résistent!

 

Message de Jean-José Mesguen (enseignant)

Quand nous fera-t-on payer un droit à l'air ? il y a déjà deux compagnies générales des eaux qui sont les Total et les Exxon de demain, et elles se mêlent de tous les tuyaux, de tous les flux, eau, téléphone, câble, télé, édition, santé, etc. Au bout c'est la même tirelire "globale" qui nous pompe tout ! Terrifié par la prolifération de l'exigence de propriété privée de tout (droit à l'image et ses délires, faites gaffe si vous faites des photos dans la rue, mais au fait si Pérec faisait encore ses exercices de description de tout ce qui passe dans le champ visuel pendant qu'on est assis au bistrot, ne s'exposerait-il pas à un procès de la part du Passant Inconnu qui se reconnaitraît ? D'ailleurs je ne jurerais pas que telle page du dernier François Bon ne mérite pas un examen juridique rondement mené : la vue derrière la vitre du train, elle appartient bien à quelqu'un?). Je n'écrirai qu'en présence de mon avocat. Je ne lirai qu'en présence de mon avocat. Je propose que soit taxé le voyageur qui glisse un oeil subreptice sur le journal de son voisin de métro Ä c'est bien ce dernier qui a payé un droit à lire exclusif, pas l'autre, voleur, va ! Y a de l'avenir : quand selon le voeu d'un nombre croissant de crétins technologiques on aura implanté quelques circuits imprimés dans le cerveau des humains sous prétexte d'amélioration des performances, on pourra faire payer un droit d'éditeur sur les pensées. Une fulgurante intuition sartroïde vous a parcouru quelques neurones, une non moins fulgurante impulsion déduit sur votre compte en banque ce que de droit parce que les détenteurs des droits de Sartre seront lésés, n'est-ce pas ? Rappel : entretemps le droit d'auteur sera devenu ici ce qu'il est déjà ailleurs (Jack Valenti, représentant des intérêts américains dans la négociation de la Culture à l'OMC : "pour nous l'auteur de Citizen Kane c'est Sony Corp"). A moins que des arriérés convainquent la majorité des autres arriérés que le monde n'est pas une marchandise.

 

Message de Ronald Klapka (enseignant)

Une des rares choses avec lesquelles j'étais en accord pour ce qui est de l'article d'Onfray : même un "gros" lecteur, j'en suis persuadé, ne pénalise ni éditeurs ni auteurs lorsqu'il emprunte à la bibliothèque (quand j'habitais Vincennes, j'étais inscrit à Vincennes, à Saint-Mandé, à Paris!!!) car il en achète beaucoup également après avoir trié, affiné...

 

Message de Dominique Viart (critique, enseignant)

Entièrement d'accord avec toi, François, et même si les livres de "science humaine" sont parmi les plus empruntés et les moins achetés. J'ai trop lu en bibli quand j'etais mome, abonné à 5 ou 6 lieux à la fois, et parce qu'il n'y avait pas de livres ni d'argent pour en acheter à la maison pour interdire cela maintenant. Et puis, zut, préservons les espaces de gratuité : à quand une taxe sur les bancs publics où l'on s'asseoit pour lire ?

 

Message de Jean-Marie Barnaud (écrivain, éditeur)

La riposte aux mercantiles, c'est bien : aller de plus en plus parler "dans les maisons des livres". Je soutiens.

 

Message de Bernard Simeone (écrivain, traducteur)

Cher François, Pas une ligne, pas une virgule de ton texte que je ne souhaite signer à mon tour des deux mains. Absolue solidarité. Je te donne ma signature pour tout usage qui te semblera bon. À toi.

 

Message de Jean-François Duclos (enseignant, New-York)

J'habite une ville, New-York, qui, en dépit de la réputation qu'elle a d'être centrée sur le principe de la propriété privée, offre à ses habitants un accès quasi illimité et complètement gratuit à sa bibliothèque. Tout usager muni de sa carte personnelle peut ainsi emprunter, à l'annexe proche de son lieu de travail - disons celle qui se situe sur la 57ème rue et la 5ème avenue - une trentaine de livres, de disques compact et de cassettes vidéo, et rendre le tout dans une autre annexe, par exemple celle de la 178 eme rue, à la pointe nord de Manhattan, sans aucune complication. De fait, un rapide coup d'oeil dans une rame de métro aux heures de pointe permet de constater que nombreux sont ceux qui profitent de ce service et choisissent de lire, en fonction de leurs goûts ou de leur curiosité, un exemplaire du dernier roman de Stephen King, de Nicholson baker ou de Paul Auster. De ce côté-ci de l'Atlantique, j'aurais donc tendance à souscrire au point de vue de ceux qui, comme vous, Francois Bon, pensent que l'emprunt d'un livre ne doit pas se monnayer, ne serait-ce que symboliquement, car ce système sanctionnerait un principe tout entier basé sur le principe du service public. Cependant, je ne puis m'empêcher de sentir une certaine gène à la lecture de votre manifeste, et à mes propres contradictions concernant ce qui, ne sachant pas encore de combien il s'agirait de payer, et comment cet argent serait ensuite redistribué, me parait être de l'ordre du 'trois sous', comme vous dites, ou, du moins, et cela me semble plus important, du symbole. De la même manière qu'il m'arrive encore de payer quelques francs pour l'obtention, dans une bibliothèque francaise, d'un disque, je ne verrais pa s d'inconvénient à donner la même somme par livre emprunté. Avouons que cela n'est pas grand-chose, même si, pour certains grands lecteurs sans ressource, c'est encore quelque chose. Et si ce système devenait bénéficiaire, comme il me semble qu'il devrait l'être à moyenne échéance, ne pourrait-on pas, sur le même principe que la SACEM, rétribuer proportionnellement au nombre de fois que leurs titres sont empruntés nos auteurs qui, dans le meilleurs des cas, récupèrent sur le prix d'un livre neuf environ dix pour cents - et encore un an après la sortie de leur ouvrage ? Alors que tout se virualise, il me semble qu'il s'agirait, après tout, d'un moyen comme un autre de ramener le livre à sa substance et de reconnaître qu'un seul exemplaîre d'un livre, lu par plusieurs lecteurs, peut donner lieu à des 'droits d'auteur complémentaires'. La SACEM ne fait-elle pas ainsi avec la musique diffusée sur support radio ? Si je vous compare à un chanteur, c'est plutôt pour vous dire que bien plus que Jean-Jacques Goldman ou qui sais-je encore, vous, au même titre que Tanguy Viel, Bernard Simeone ou Eric Laurrent méritez bien davantage ! Mais s'agira-t-il de faire profiter les auteurs, ou plus vraisemblablement leurs éditeurs ou les bibliothèques elles-mêmes ? A cela je ne saurais répondre et suivrai avec beaucoup d'attention la suite des débats engagés.

 

Message de Raharimanana (écrivain)

De la gratuité de l'imaginaire... Quel est ce besoin qui pousse l'homme à feuilleter un livre, à caresser du regard les lignes qui s'offrent à lui ? Lui-même ne se l'explique pas. S'ouvre simplement un monde de solitude et de partage à la fois. Solitude du lecteur dans sa posture immobile. Ne bougent que les yeux, que les mains qui tournent la page de temps en temps. Monde de partage car les yeux pénètrent un imaginaire délivré par un être proche et lointain à la fois : l'auteur ou le narrateur qui s'est délesté de son monde et qui le propose à qui le veut bien, sans autre contrepartie qu'une part de rêve et d'illusion, choses impalpables entre toutes, difficilement chiffrables, monnayées... Lire est un acte fondamentalement gratuit. Et l'homme a besoin de croire à la gratuité car son être en est tout imprégné. Ses questionnements restent sans réponse. Ses actes, en définitive, n'ont qu'un seul salaire : celui qui l'attend à son dernier souffle... Alors abolir cette relation gratuite avec le livre me semble un suicide intellectuel. "Tout travail mérite salaire !" lit-on. Méfions-nous quand les phrases virent aux dogmes ! Ce salaire parviendra-t-il vraiment au travailleur ? Et pour deux sous de plus, nous auteurs, romprons-nous ce lien étrange qui nous rattache à ces gens qui nous lisent , que nous ne connaissons pas, que nous ne connaîtrons sans doute jamais mais qui évoluent, rentrent et sortent dans notre monde ? Choisir entre la matière et l'esprit. Vieille rengaine de l'humanité...