des élèves
de seconde reçoivent et interrogent Isabelle Rossignol
transcription et présentation
Marie Haye
Vous arrive-t-il de ne pas aimer ce que vous écrivez ?
Avez-vous des préférences parmi vos livres ?
C’est très difficile parce qu’en fait, quand on fait
un livre, forcément si on le donne à l’éditeur,
c’est qu’on l’aime. Et forcement, une fois qu’on
en a fait un autre on aime déjà moins le précédent.
[...] Mais pour l’instant, je suis trop balbutiante, trop débutante
moi-même dans ce que j’essaie de mettre en place pour avoir
une préférence. Ce que je peux dire en revanche, c’est
que Vomica a été le livre qui m’a posé le plus
de problèmes entre moi et moi-même, parce qu’il m’a
été renvoyé comme un livre dur et je n’avais
pas l’impression d’avoir écrit un livre dur. Ça
m’a beaucoup gênée cette image-là puisque, évidemment,
il y a une véritable adhésion entre le livre et moi. Donner
un livre, donner un texte, c’est forcément donner une part
de soi et être dans une espèce de « moi-peau »
pour parler le jargon analytique. J’avais donc l’impression
que tout le monde me disait : « Mais c’est vous, vous êtes
dure, vous êtes méchante. » La scène de fin
de Vomica, je ne sais pas ce que vous avez lu, mais il y a la scène
de fin avec une fille qui vomit sur sa mère. Ça a été
vécu par les lecteurs au premier degré alors que, pour moi,
c’était vraiment une scène complètement métaphorique.
Peu importe le vomi en lui-même, ce qui comptait c’était
que quelque chose sorte de cette fille et qu’elle puisse le cracher
et bien sûr c’était sur sa mère parce que c’était
avec sa mère qu’il y avait névrose et qu’il
y avait malaise. Voilà.
Quels sont les sujets traités dans vos livres ? Y a t
il des sujets que vous n’arrivez pas à traiter ?
Des sujets qui me font peur, il n’y en a pas. Je crois
que j’aimerais bien écrire du point de vue d’un homme
maintenant : un texte avec un personnage au masculin écrit de son
point de vue et ça, pour l’instant, je ne sais pas comment
m’y prendre. Je pense que je m’y prendrai en allant interviewer
des hommes puisque bon, je ne sais pas si vous le savez mais, parallèlement
à l’écriture, je fais de la radio à France
Culture. Je fais des émissions diffusées tard la nuit à
22h30 mais vous devez être couchés. Et pour l’instant,
même dans ces émissions, je n’ai interviewé
finalement que des femmes. Je me suis rendu compte... quand je fais
le bilan, je me dis : « Ben oui, tu n’as pour l’instant
interviewé que des femmes ou en tout cas abordé que des
problèmes extrêmement féminins. » Donc voilà,
ça c’est quelque chose qui me plairait maintenant.
Avez-vous des rituels pour écrire ?
Oui, j’ai des rituels. Déjà, je n’écris
jamais à la main parce que j’ai toujours détesté
ma graphie, ma manière d’écrire. Je trouve que c’est
trop lent, je trouve qu’il y a des ratures et aussitôt que
je fais une rature, je veux tout recommencer. Donc c’est insupportable,
donc je n’écris qu’à l’ordinateur. Ça,
c’est la première chose. Je fais beaucoup de sorties papier,
de relectures papier et de ressaisie etc. [...] Le matin, je me lève,
je ne parle pas, je n’écoute pas de musique, je n’écoute
pas la radio, je profite de ce temps de repos donné par la nuit
pour rester dans cet état un petit peu diffus et très centré
sur l’intériorité pour écrire. En général,
j’ai mon petit café à coté de l’ordinateur
puisque j’écris toujours sur ordinateur. Et puis je commence
comme ça la journée jusqu’à 12h à peu
près. Et puis ensuite, l’envie me vient en général
de retourner un petit peu au monde, aux autres et les choses se transportent
vers la lecture : sortir les pages, les relire, les reprendre, réfléchir,
laisser posé. Il y a tout un travail et ça, sans arrêt,
de distance dans l’écriture. C’est très bien
de laisser reposer ce qu’on a fait. Et puis voilà, j’ai
ma vie de tous les jours qu’est là et puis le lendemain matin
ça recommence. Mais ça, c’est pour les périodes
où je suis... dans un début de projet, où j’ai
le temps. Après, parfois, quand je suis vraiment dans un bouquin
et que je n’arrive à penser à rien d’autre,
ça peut être 24 h sur 24, le jour, la nuit, enfin bon je
ne vis plus que pour ça, je ne pense plus qu’à ça
et plus rien d’autre ne m’intéresse que ça.
Et puis le temps de l’écriture est un temps très particulier,
vous devez l’éprouver quand vous faites des devoirs vous-mêmes...
Est-ce que c’est difficile d’être une femme
écrivain ?
Est ce que c’est dur d’être une femme quand
on est écrivain ? Je pense que ce qui est difficile c’est
qu’on est tout de suite taxée d’écrire une certaine
littérature. [...] on est victimes d’étiquettes
beaucoup plus que les auteurs hommes. Ça va pour publier nos textes
mais c’est plutôt difficile après pour assumer le regard
de la critique qui veut toujours nous renvoyer à un non-travail
littéraire. Très souvent, quand j’ai été
interviewée par des journalistes, on m’interrogeait sur le
fond. Et du coup je me retrouvais à avoir des débats qui
ressemblaient presque à des débats de psychologie ou je
ne sais quoi, qui n’avaient plus rien à voir avec la littérature,
comme si le texte n’était pas écrit, comme si ça
ne comptait pas. Alors que pour moi, ce qui est prioritaire, c’est
la manière dont j’ai écrit ces livres-là.
Êtes-vous influencée par d’autres écrivains
? lesquels ?
En fait, ça aussi c’est quelque chose dont j’essaie
de me protéger : avoir des influences aujourd’hui. Parce
que pendant très longtemps ça m’a presque empêché
d’écrire. Quand je lisais un bouquin de Nancy Huston, je
me disais : « Bon j’arrête. Elle a écrit ce que
je voulais dire. Elle l’a écrit tellement bien, pourquoi
moi je m’y mettrai ? » Et du coup, quand je me mettais à
écrire, je sentais que ma phrase devenait du Nancy Huston. Donc
aujourd’hui, j’essaie absolument de me protéger et
de lire au contraire des livres très, très éloignés
de ce que je pourrais faire. [...] A chaque fois qu’on me pose
cette question-là, c’est un peu la colle. Au fond, c’est
vrai qui j’aime en littérature ? Le genre : « Quel
est le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? »
Je crois que ce serait La Bible. Oui, parce qu’y a tout... En
tout cas, je ne prendrai pas mes livres.
Depuis combien de temps écrivez-vous professionnellement
?
Je ne sais pas encore si je suis écrivain. Est-ce qu’on
est écrivain parce qu’on publie ses livres ? Est-ce qu’on
est écrivain parce qu’on décide qu’on a besoin
de l’écriture pour vivre ? Si c’est la deuxième
hypothèse qui est la bonne, oui je suis sans doute un peu écrivain
et à ce moment-là je le suis devenu quand j’étais
très, très petite, quand j’avais 6 ans et que je demandais
en permanence à mes parents : « Mais c’est quand que
ça arrive la vraie vie ? » Parce que la vie pour moi ça
ne pouvait pas être... je sais pas... aller à l’école,
faire les courses, avoir des repas de famille, jouer au ballon ou à
la corde à sauter ou à la poupée, tout ça.
Donc j’attendais qu’il se passe quelque chose et comme il
ne se passait rien parce que bien évidemment, ça ne pouvait
pas venir de l’extérieur, sans doute que je me suis mise
à écrire et que... Voilà ! Ça a commencé
quand j’avais 6 ans... Je sais pas si je réponds comme
vous voulez...
Où trouvez-vous votre inspiration ?
[...] en fait être écrivain, ce n’est
pas une profession, c’est vraiment un état de tous les jours,
c’est-à-dire moi j’ai toujours l’oreille qui
traîne... Quand je suis dans la rue, quand je suis dans le bus,
quand je suis dans le RER, quand je suis ici. Tiens ! Qui me dit que de
cette rencontre ne va pas naître un texte ? Tout ce qui résonne
en moi et qui peut, à un moment donné, faire sens peut être
un matériau d’écriture. Donc, l’inspiration,
elle est tout le temps là, elle est toujours à notre portée
à partir du moment où on est capable de la prendre. Je ne
sais pas, c’est comme un paysage, vous êtes capable de le
voir ou pas. L’écrivain, enfin l’artiste en général,
c’est sans doute celui qui arrive à faire de n’importe
quelle réalité un matériau parce qu’il va l’ingurgiter
et la transformer à l’intérieur de lui par rapport
à sa vision du monde, par rapport à ses propres interrogations,
par rapport à ses propres peurs, désirs, si bien que tout
va être modifié et que ça va pouvoir être redonné
sous une forme différente. Donc, tout le monde peut être
écrivain... a priori. [...] Elle est partout l’inspiration.
Parce qu’en fait, l’idée d’inspiration, elle
est quand même très vieille. On a parlé d’inspiration
avec les Romantiques, c’est à dire au XIXe siècle,
à un moment où on pensait encore que l’écrivain
était inspiré par les dieux, qu’il était doué,
était quelqu’un qui était un être un peu à
part, un peu sacré. On est complètement revenu sur cette
idée-là. Aujourd’hui, on sait qu’un écrivain,
c’est quelqu’un qui travaille avec un matériau et ce
matériau, c’est la langue. Donc, à partir du moment
où on dit qu’on travaille avec la langue, l’idée
d’inspiration tombe complètement. L’écrivain,
c’est quelqu’un qui cherche à traduire un monde intérieur
ou une singularité ou un rapport au monde par le biais de la langue
et qui cherche à ce que la langue et ses interrogations puissent
se rencontrer de manière à former ce que l’on appelle
un livre, un objet littéraire, c’est-à-dire un objet
qui soit transmissible. C’est ça le travail d’écriture.
Donc l’inspiration, aujourd’hui gommez royalement ce terme-là
qui est complètement désuet. Depuis le Nouveau Roman on
ne parle plus d’inspiration.
A quel type de personnes s’adressent vos livres ?
[...] Je ne m’adresse pas à des personnes en
particulier. Par exemple, je ne m’adresse pas qu’à
des femmes. Ça n’est pas parce que ça parle de la
femme que je ne m’adresse qu’à des femmes. [...]
Non, moi, je ... j’allais dire, je m’adresse à
personne, mais c’est faux parce que quand j’écris,
j’ai toujours un petit bonhomme comme ça, une petite présence
sur mon épaule qui est là pour m’encourager un petit
peu. J’ai toujours un petit fantôme qui se trimballe...
mais c’est très variable ce fantôme-là, ça
peut être ma mère, mon grand-père, un auteur, un lecteur
que j’aime bien, qui m’a dit quelque chose... donc tout
ça c’est extrêmement variable. Et ... je crois
qu’on ne doit surtout pas s’adresser à quelqu’un.
Ça, c’est le travail du journaliste de cibler.
Si vous n’aviez pas choisi de devenir écrivain, que seriez-vous
devenue ?
J’aurais aimé faire danseuse. [...] Mais c’est
un peu pareil en fait. [...] lorsqu’on écrit, le corps
vit, tremble. Enfin, moi, sur mon ordinateur, je suis parfois complètement
frénétique, avec une respiration saccadée...
Enfin bon, il y a tout qui se met en mouvement. Et ça parfois,
j’aimerais que ça soit rendu par du corps.
Est-ce que c’est la première fois que vous venez
dans un lycée pour expliquer votre travail d’écrivain
?
Et bien je crois que oui. Normalement je suis allée dans
les facs parce qu’on disait que vous étiez trop jeunes pour
mes livres.
Quels sont les genres de vos livres ?
[...] Ce ne sont pas des nouvelles. Ce que je fais, c’est
ce que j’appelle de la prose poétique. C’est-à-dire
que c’est une écriture qui n’est pas centrée
sur le roman donc pas sur la narration. On dit prose poétique parce
qu’il y a tout un travail de dépouillement, d’épure
dans ce travail d’écriture qui fait qu’on n’est
pas du tout du coté du récit conventionnel ou de la nouvelle.
La nouvelle ne travaille pas du tout ça. La nouvelle est vraiment
du coté du roman. Moi j’essaie à chaque fois de....
J’ai pris pour habitude parfois de dire que j’écris
des récits à la verticale. C’est-à-dire qu’au
lieu de développer quelque chose, je le creuse. Voilà, et
ça donne un petit peu ça... Je pourrais partir d’une
phrase et à partir de cette phrase, la creuser, voir tout ce qu’il
y a derrière chaque mot et que ça, ça pourrait donner
un texte.
Vous arrive-t-il de recevoir dans votre courrier des lettres
de vos lecteurs ?
Oui, et ça c’est bien
Votre réaction, c’est de...
Ben, c’est de leur répondre tout de suite. Ça,
c’est le plus beau des cadeaux quand on est auteur. Il y a un monsieur
qui m’a fait un très beau cadeau, je crois que je n’avais
jamais eu une plus belle lettre. Il a commencé Une nuit ordinaire
et en même temps qu’il commence la lecture du livre, il commence
sa lettre. Il me dit : « Voilà, j’ai lu Petites morts
il y a quelques temps, je me lance dans Une nuit ordinaire et j’ai
envie de vous écrire au fil de mes lectures. » Et toute sa
lettre est le journal de sa lecture : «13h, j’ouvre votre
livre, 15h, je fais ça...22h je me couche. A demain. »
Et à chaque fois, comme ça, tout le suivi... C’est
magnifique parce que ce qui est toujours très troublant, en tout
cas pour moi, c’est de me dire : « Bon, d’accord, j’ai
écrit un texte. C’est publié. Alors ce livre-là,
des gens le lisent vraiment, comme moi je lis d’autres livres. Ils
se mettent par exemple dans leur lit, dans leur canapé, ils prennent
le livre... » et ça, c’est quelque chose d’impensable
pour moi. Je me dis toujours : « Bon, allez, mes bouquins, c’est
un peu de la blague, c’est pas des vrais livres. » Parce que
bon, sans doute parce que je suis jeune... parce que bien des choses...
Et là, que cet homme me fasse le récit de sa lecture, ça
a donné une véritable existence à ce livre.
Pourquoi avez-vous accepté de venir ici ?
Parce que j’aime beaucoup Jean Claude. Non, c’est
une raison, c’est vrai. Parce que je trouve que c’est une
démarche très courageuse de la part de vos enseignants de
faire entrer des textes comme les miens dans l’institution scolaire.
Et à partir de là, forcément, ça m’intéressait
de voir comment vous vous aviez pu recevoir ça et puis en parler
entre vous. Et puis parce que j’aime beaucoup discuter avec les
gens et que je suis toujours partante pour aller rencontrer des personnes.
Mais ça... Enfin pour en revenir sur ce que je disais tout
à l’heure par rapport à l’école, par
rapport au fait que moi je n’ai pas aimé l’école,
je pense que si on m’avait fait faire des choses comme on vous fait
faire aujourd’hui, j’aurais aimé l’école.
Parce que c’est quand même extrêmement vivant de se
dire : « Tiens, je peux discuter avec quelqu’un qui...
» - là c’est la littérature, ça pourrait
être les maths ou autre chose, mais avec quelqu’un qui vit
cette chose-là de l’intérieur et qui peut la rencontrer.
Je trouve ça extrêmement riche plutôt que d’être
confronté à des textes seulement. |