Gaëlle Perret / L'ethnologue et l'écrivain

l'entretien avec Dorothée Letessier

 
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" L’écriture c’est un endroit où il y a une intimité, on n’est jamais totalemnt libre…mais moi c’est ça…se laisser aller à certaines choses qu’on refuse, une certaine violence [...] vers le monde. "

- Comment êtes vous arrivée aux ateliers d'écriture ?
DL - Les ateliers d'écriture, j'ai commencé, on a déménagé d'abord à Rennes, un an après mon premier livre et j'ai été sollicitée par le directeur de la Maison de la culture qui ensuite est devenu le directeur de l'Institut du monde arabe, pour organiser quelque chose durant le mois des femmes, j'ai proposé un atelier d'écriture, ça été le premier, on s'est bien marré, j'étais absolument inexpérimentée... j'ai appris comment aider, comment avoir un regard pour que les gens s'expriment eux...et puis quand je suis arrivée à Paris, j'ai été sollicité par Christine Juppé... et puis après tout s'est enchaîné, en milieu scolaire, avec des adultes... j'en ai fait un peu partout... et là maintenant je sais que je suis plus tentée par des ateliers d'une part avec des adultes ou par faire une formation de formateurs... maintenant j'ai envie de faire de la formation de formateurs, alors je cherche mais ce n'est pas évident... il y a tellement de gens un peu déphasés, Rmistes ou autres, moi je ne suis pas là pour leur faire écrire des CV, là n'est pas la question mais pour au moins essayer de leur redonner confiance dans leur propre langage. Je vois ça, c'est flagrant avec les taulards, ils ont quelque chose de viscéralement cassé et quand je leur donne confiance, quand je les aide à écrire en les écoutant, parce que tout ça c'est de l'écoute et puis c'est du partage, je fais pas prof, de toute façon, en général, ils sont en échec scolaire et c'est très important pour eux que je ne fasse pas la prof. Ce qui est très important, c'est qu'ils arrivent à exprimer des sentiments dont on les a privé, très profondément mais vraiment, très, très profondément, des sentiments d'amour, de beauté et quand ils écrivent des textes où ils décrivent des paysages, où ils parlent de l'amour, moi je suis époustouflée. Et ce qui est important aussi c'est d'avoir cet espèce de contact qui est à la fois très sensible et à la fois savoir avec justesse jusqu'où on peut pas aller trop loin dans l'intimité mais jusqu'où aussi on peut provoquer quelque chose de personnel et en général ils en sont très très reconnaissants parce que ce qui se passe chez ils l'attribuent tous à l'écoute, "on m'a écouté..." alors que dans le système carcéral personne ne les écoute... Moi je ne les prend pas pour des délinquants, je veux juste qu'ils m'écrivent un beau texte, qu'ils trouvent le mot juste. Essayer de construire et puis surtout donner du coeur et là c'est très important d'être à l'écoute, d'être un être humain, de les traiter comme des adultes pas comme des assistés, des renégats, qu'il n'y ai pas de pitié.. du respect quoi... Ce sont des choses qui me sont très chères, le respect mutuel... Il y a quand même quelque chose d'assez précieux dans le fait que moi je les écoute et que eux ils m'écoutent aussi...

- Comment définiriez vous un atelier d'écriture ?
DL - Pour moi c'est un lieu d'abord, comme c'est des endroits en général où les gens qui ont très peu... étant donné les endroits où on m'a envoyée, c'est des lieux où les gens n'ont pas de rapport avec ni l'écriture et encore moins la littérature, ils ne lisent pas ou très peu et ils écrivent encore moins, quelque fois ils sont même illettrés donc l'arrivée d'un écrivain pour eux, c'est... ils savent pas ce qu'est-ce que cette bête et moi ce que je tends à leur montrer c'est que je suis un être humain... Souvent pour eux un écrivain c'est un mort, c'est un homme et en plus c'est un riche alors je leur explique. Je leur dit : " posez moi toutes les questions que vous voulez... " Une fois qu'ils sont en confiance avec l'être humain, on peut démarrer. Il faut d'abord montrer qu'on est là pour eux, qu'on est là parce qu'on en a envie et après ce qui est important c'est qu'ils arrivent à se sentir déculpabilisés par rapport à quelqu'un dont c'est le métier et qui leur demande d'écrire. Alors moi j'ai des petits trucs forcément, je leur dis : "moi aussi j'ai la trouille quand je prend une feuille" alors c'est pour ça que je connais très bien la manière dont on peut avoir la trouille... Donc les mécanismes sont très simples et puis ils sont très chaleureux... dans un groupe alors il y a toujours le clown, le provocateur, ça la dynamique de groupe, je maîtrise complètement, c'est pas un problème pour moi... parce que malgré tout, il faut un minimum d'autorité, parce que sinon on se fait marcher dessus et puis même c'est préjudiciable pour eux. Il n'y a pas de démagogie du tout. C'est un moment à part et si on ne fait pas de ce moment quelque chose d'à part on en tire rien...

- Et qu'est-ce qui vous détermine à accepter un atelier plutôt qu'un autre ?
DL - J'en ai pas refusé beaucoup, mais c'est vrai que je suis plus portée vers les gens dont je sens que si c'est pas moi qui y vais personne n'ira... A la Goutte d'or, je me sentais vraiment utile... Quand on n'arrive à inverser les choses, on se dit qu'on a pas bossé pour rien parce que l'écriture, le langage c'est pas rien, c'est aussi l'être, la sensibilité, l'avancée et ça c'est très important, on ne peut pas se conduire en société sans avoir un langage qui permettent de réfléchir à cette position là, de citoyen, d'être humain par rapport aux autres... Les profs qui me demandent d'animer un atelier, ceux qui sont sincères oui; mais sinon je fais attention. S'il n'y a pas de vrai projet, ce sont des ateliers que je refuse, maintenant. J'ai un entretien d'abord avec le prof, si je m'aperçois qu'il s'agit de se décharger d'un problème qu'il ne peut plus assumer, je ne peux pas, c'est malsain...

- Quelle est la durée en général ?
DL - Le minimum c'est 5, 6 séances de 2heures environ, maximum ça peut-être, étalé sur une année scolaire, environ 6 mois...

- Vous vous préférez quoi ?
DL - Moi j'aime bien autour de 8, 10 séances, parce qu'on a le temps de se connaître et à la fois il y a une espèce de pression, un état d'urgence, qui fait qu'on va pas perdre son temps, parce que sinon, petite à petit, si les participants savent que ça va durer sur une année (scolaire), y a des moments de relâchement, et moi j'aime pas, d'une part parce que je peux pas avancer, et puis pour ceux qui ont bossé c'est pas très sympa, donc je préfère qu'on ait une espèce de tension, c'est aussi se sentir dans une urgence, comme l'écrivain peut la ressentir.

- Où se déroulent les ateliers ? Dans quels lieux ?
DL - ça dépend... dans la classe ou le CDI pour les établissements scolaires, sinon j'ai en fait beaucoup en bibliothèque, ou encore des lieux neutres, des salles louées exprès, ou alors des salles de réunions, des maisons de retraite.... c'est variable...

- Est-ce qu'un écrivain apporte quelque chose de plus à l'atelier par rapport à un simple animateur ?
DL - Je pense qu'on apporte justement ce non-savoir. L'animateur il veut animer, et il apporte... il veut apporter des certitudes. L'écrivain lui inscrit le doute dès le départ, en tout cas moi, je pars du fait, que je suis quelqu'un qui doute, forcément j'ai publié, j'ai un certain savoir-faire au niveau du langage... et puis ? Par rapport à ce qu'on ressent et la manière dont on va l'exprimer, le doute, il est existentiel et universel et ça l'écrivain le transmet, l'animateur, ne va pas le transmettre, s'il a pas été lui même confronté à l'écriture. S'il pense qu'il y a des méthodes, il va être nul, y a pas de méthode. Y a l'écoute, l'écoute de soi, et y a l'écoute de l'autre et donc on n'anime pas en fait : on est. Et en fait on fonctionne plus sur nos manques, que sur nos acquis et c'est pour ça que l'écrivain est dans une sorte d'aide technique et d'aide psychologique ou affective mais on fonctionne aussi sur le partage du doute, de l'angoisse, alors on essaye de la minimiser par le fait de se rassembler, on est au plus près du langage et du langage intime pas du faire joli, pas de bonne rédaction, on est dans l'investissement personnel, dans l'artistique vraiment, moi je ne fais pas des ateliers d'écriture technique, je fais des ateliers d'écriture artistique même si le résultat n'est pas splendide...

- Et qu'est-ce qu'écrire pour vous ?
DL - Vivre... oui bien sûr, pour moi c'est quelque chose de fondamental, c'est quelque chose qui, même sans être publié, je n'imagine pas ne plus écrire...j'ai toujours eu ça, parce que sans doute c'est l'endroit où je suis le plus libre, c'est ma liberté, sinon j'écoute trop les autres et justement tu te fais accaparer. Je suis quelqu'un de très sociable et l'écriture c'est un endroit où il y a une intimité, on n'est jamais totalement libre... mais moi c'est ça... se laisser aller à certaines choses qu'on refuse, une certaine violence... une émotion... aller au delà de sa propre expérience, vers le monde, quelque chose qui soit plus universel...

- Quelle est la place de l'écriture dans les ateliers que vous menez ?
DL - Alors je commence toujours par les rassurer en leur disant, attention vous n'avez que 10 minutes pour écrire, en fait ça les sécurise.... alors du coup ils ont envie parce que ça leur semble court, forcément ils écrivent... et c'est très bien, ce temps imposé, même s'ils n'ont pas fini, quand on est auteur on sait qu'il ne faut jamais s'arrêter sur quelque chose d'achevé, il ne faut pas s'arrêter à la fin d'un chapitre par exemple... il faut toujours enclenché quelque chose sur lequel on pourra rebondir quelques temps plus tard... et sachant ça, je les empêche d'aller plus loin et on commence à lire entre nous, on en discute et puis après...repartir de ce qu'il y a vraiment d'unique dans le texte...

- Est-ce que vous écrivez avec les participants ?
DL - J'ai pas le temps, je peux pas... je peux pas parce que... non ça dépend des ca, y a des endroits où je vais, je discute, j'écris avec eux et puis après je fais mon texte, mais et puis après il est arrivé qu'on le mette en scène... mais sinon en général je n'écris pas parce que je suis vigilante, d'abord je prend des notes sur tous les textes et puis ils me sollicitent tout le temps... donc il faut être disponible...

- Que deviennent les textes produits ?
DL - Ce que j'essaye de faire, pour moi, c'est très important qu'il y est un aboutissement tangible, soit un petit recueil, même si c'est simplement photocopiés (comme ça), y a toujours des recueils, quelques fois y a des spectacles, des représentations, des pièces de théâtre, je fais en sorte que ça aboutisse à quelque chose que eux, peuvent prendre dans les mains, quand ils voient leurs noms, ça donne du poids, ils n'ont pas travaillé pour rien et on s'est pas foutu de leurs gueules... donc pas forcément un prolongement mais un aboutissement... tout ça on en parle dès le début de l'atelier...

- Comment définiriez vous cette écriture ?
DL - Elle est pour moi, complètement individuelle, chacun écrit dans son style et jamais je n'interviens là dessus, c'est à dire ça peut aussi bien être des poèmes, la manière d'écrire, ça peut-être aussi bien des récits, des nouvelles, que des textes écrits avec violence. Y a pas une écriture dans un groupe, chacun écrit comme il pense, comme il ressent et c'est pour ça que je dis que ça ne se ressemble pas, y a aucune unité dans l'atelier à part le thème que je donne... Quand ils hésitent sur un mot, je leur dis "c'est toi qui choisis, c'est toi l'auteur, oui c'est toi l'auteur..."

- Comment s'organisent les séances ?
DL - D'abord, on parle, on parle, on se présente. Ils disent ce qu'ils veulent dans la présentation, ça dépend des publics, de ce qu'ils veulent... et puis à propos de l'atelier même, je leur propose un thème auquel j'ai réfléchi et en général ça marche... ils ont donc 10 minutes pour écrire, pendant ce temps je prends des notes, sur ce que je vois, je ressens, c'est ma sensibilité, forcément un atelier ressemble aussi à celui qui l'anime... y a des choses que je vais relever que d'autres auteurs ne verraient pas... donc on fonctionne comme ça, avec une progression, et je leur demande quelque cose qui peut paraître un peu "bébé", c'est de recopier ce qui force à remettre son texte en question... mais il faut que ça reste ludique parce que souvent ils ont gardé un trop mauvais souvenir de l'école...

- Quels rapports nouez-vous avec les participants ?
DL - En général très bons, très affectifs, forcément parce que l'écriture c'est très personnelle, et à la fois très pro aussi, mais je m'implique énormément, c'est vrai que je m'investis beaucoup, et eux aussi et puis y a des gens avec qui je suis restée en contact des années...

- Y a t-il un suivi, une suite de l'atelier ?
DL - Oui, oui je fais gaffe... je fais faire des questionnaires, par rapport à ce qu'ils ont pensé de l'atelier, moi ça m'aide, l'institution qui m'a reçue aussi, ça lui permet d'évaluer le travail accompli...

- Certains ont-ils une pratique de l'écriture en dehors de l'atelier ? Et avant et après ?
DL - Oui, oui, les deux, il y a des gens qui écrivaient déjà un peu avant et qui sont sortis transportés et qui ont écrit davantage après et puis d'autres qui écrivaient pas du tout et qui se sont mis à écrire vraiment, après, pour eux...

- Et vous vous y intéressez ?
DL - Oui, oui... mais c'est quand même pas la majorité...

- Quels termes employez vous lorsque vous parlez des membres de l'atelier ?
DL - Pour moi, c'est des participants à un atelier d'écriture, les auteurs de leurs textes sur le moment et à partir de là, c'est tout. Je leur dis bien : vous ne serez jamais écrivains en passant par moi, ce n'est pas moi qui vous feraient être écrivains. Je suis très claire là dessus pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. On est pas écrivain parce qu'on a rencontré un écrivain, on est écrivain parce beaucoup d'autres déterminations entrent en cause, c'est très complexe et je ne souhaite pas à tout le monde de le devenir... Mais ce sont les auteurs des textes qu'ils écrivent en atelier, ce sont des participants à part entière, de manière collective et cela change tout. C'est non seulement collectif mais ils sont dirigés également par un auteur et forcément ce n'est pas la même chose. Certaines personnes avant n'auraient jamais eu l'idée de prendre un stylo pour écrire une ligne, c'est pas des écrivains a priori... Ce que j'essaye de leur apporter c'est une ouverture sur la pratique artistique qui peut les mener, d'abord à ne plus avoir peur de l'écrit, à aller en bibliothèque prendre un bouquin sans avoir peur, à s'intéresser un peu plus à l'écrit et comprendre parce qu'eux même en ont fait l'expérience même s'ils n'écrivent ensuite plus jamais mais c'est aussi important par rapport à la lecture...

- Pour vous, qu'est-ce qui se passe dans l'atelier qui est spécifique à celui-ci ?
DL - C'est un lieu de reconnaissance de soi même, et des autres, c'est un lieu de paix, une espèce de cocon, une sorte de truc un peu maternel, je me rends compte, où on se peut dire les choses, on peut aussi se mettre en colère, y a pas de problème, mais où on est jamais en danger, moi j'essaye de gommer tout ce qui peut être les aspects danger aussi bien psychologiques que mentaux. Jamais ça ne doit être dangereux et c'est très important par rapport à des types de populations qui sont amenées depuis l'enfance à être sur le qui vive, la défensive... Moi je veux qu'ils se sentent bien, pour se lâcher un peu, pour qu'ils soient heureux dans un endroit où on ne les juge pas (négativement). L'écriture va rester et ils vont être fiers. Un moment de chaleur entre nous, entre eux... que l'écriture les réconcilie avec leur image...

- Vous considérez vous comme animatrice ? Si oui, pourquoi ? (Si non, quel terme vous semble mieux convenir à votre pratique ?)
DL - ...C'est du travail social, j'ai pas honte, c'est pas des choix mais simplement je ne fais pas à partir d'une connaissance du travail social, je le fais à partir d'une connaissance de moi même.... MA démarche est tout à fait personnelle...

- Entretenez vous des rapports avec des animateurs ou des formateurs non écrivains ?
DL - Oui, oui bien sûr, les gens avec qui je travaille sont des gens qui acceptent ma démarche, qui se mettent dans le bain...

- Est-ce que vous dissociez votre pratique de l'atelier de votre propre pratique de l'écriture ?
DL - Je ne pourrais pas dire que ça se mélange dans la mesure où se que j'écris n'a rien à voir avec ce que vois écrire sous mes yeux quand je suis en atelier d'écriture. Ceci dit on ne peut pas savoir ce qui se passe à notre insu dans la tête mais ce que j'écris n'a rien à voir avec les ateliers d'écriture, jamais je ne vais utiliser quelque chose que j'ai vu, entendu ou fait en atelier d'écriture, ça c'est pas possible...

- La pratique de l'atelier influence t-elle votre écriture ?
DL - Je ne fonctionne pas comme ça, je fonctionne beaucoup plus sur des trucs très perso... alors il se peut que ça puisse se rencontrer, mais vraiment sur la tangente, ça sera jamais le noyau d'un livre, j'ai fait des articles, des textes sur les ateliers, mais de façon romanesque jamais. Dans la réécriture par contre, une certaine influence...

- Connaissez vous d'autres écrivains qui animent des ateliers, et si oui quels rapports entretenez vous avec eux ?
DL - Oui, qui travaillent dans les ateliers d'écriture aussi, on fait parti d'un petit club, on n'est pas très nombreux... On en parle mais on se voit rarement, on a quand même chacun sa manière d'être. Je connais bien François Bon, Ricardo Montserrat ou d'autres mais chacun forcément va fonctionner à sa manière et à la fois on est peut-être un peu pudique par rapport à ce qu'on fait...