- Comment êtes vous arrivée
aux ateliers d'écriture ?
DL - Les ateliers d'écriture, j'ai commencé, on a déménagé
d'abord à Rennes, un an après mon premier livre et j'ai
été sollicitée par le directeur de la Maison de la
culture qui ensuite est devenu le directeur de l'Institut du monde arabe,
pour organiser quelque chose durant le mois des femmes, j'ai proposé
un atelier d'écriture, ça été le premier,
on s'est bien marré, j'étais absolument inexpérimentée...
j'ai appris comment aider, comment avoir un regard pour que les gens s'expriment
eux...et puis quand je suis arrivée à Paris, j'ai été
sollicité par Christine Juppé... et puis après tout
s'est enchaîné, en milieu scolaire, avec des adultes... j'en
ai fait un peu partout... et là maintenant je sais que je suis
plus tentée par des ateliers d'une part avec des adultes ou par
faire une formation de formateurs... maintenant j'ai envie de faire de
la formation de formateurs, alors je cherche mais ce n'est pas évident...
il y a tellement de gens un peu déphasés, Rmistes ou autres,
moi je ne suis pas là pour leur faire écrire des CV, là
n'est pas la question mais pour au moins essayer de leur redonner confiance
dans leur propre langage. Je vois ça, c'est flagrant avec les taulards,
ils ont quelque chose de viscéralement cassé et quand je
leur donne confiance, quand je les aide à écrire en les
écoutant, parce que tout ça c'est de l'écoute et
puis c'est du partage, je fais pas prof, de toute façon, en général,
ils sont en échec scolaire et c'est très important pour
eux que je ne fasse pas la prof. Ce qui est très important, c'est
qu'ils arrivent à exprimer des sentiments dont on les a privé,
très profondément mais vraiment, très, très
profondément, des sentiments d'amour, de beauté et quand
ils écrivent des textes où ils décrivent des paysages,
où ils parlent de l'amour, moi je suis époustouflée.
Et ce qui est important aussi c'est d'avoir cet espèce de contact
qui est à la fois très sensible et à la fois savoir
avec justesse jusqu'où on peut pas aller trop loin dans l'intimité
mais jusqu'où aussi on peut provoquer quelque chose de personnel
et en général ils en sont très très reconnaissants
parce que ce qui se passe chez ils l'attribuent tous à l'écoute,
"on m'a écouté..." alors que dans le système
carcéral personne ne les écoute... Moi je ne les prend pas
pour des délinquants, je veux juste qu'ils m'écrivent un
beau texte, qu'ils trouvent le mot juste. Essayer de construire et puis
surtout donner du coeur et là c'est très important d'être
à l'écoute, d'être un être humain, de les traiter
comme des adultes pas comme des assistés, des renégats,
qu'il n'y ai pas de pitié.. du respect quoi... Ce sont des choses
qui me sont très chères, le respect mutuel... Il y a quand
même quelque chose d'assez précieux dans le fait que moi
je les écoute et que eux ils m'écoutent aussi...
- Comment définiriez vous un atelier d'écriture
?
DL - Pour moi c'est un lieu d'abord, comme c'est des endroits en
général où les gens qui ont très peu... étant
donné les endroits où on m'a envoyée, c'est des lieux
où les gens n'ont pas de rapport avec ni l'écriture et encore
moins la littérature, ils ne lisent pas ou très peu et ils
écrivent encore moins, quelque fois ils sont même illettrés
donc l'arrivée d'un écrivain pour eux, c'est... ils savent
pas ce qu'est-ce que cette bête et moi ce que je tends à
leur montrer c'est que je suis un être humain... Souvent pour eux
un écrivain c'est un mort, c'est un homme et en plus c'est un riche
alors je leur explique. Je leur dit : " posez moi toutes les questions
que vous voulez... " Une fois qu'ils sont en confiance avec l'être
humain, on peut démarrer. Il faut d'abord montrer qu'on est là
pour eux, qu'on est là parce qu'on en a envie et après ce
qui est important c'est qu'ils arrivent à se sentir déculpabilisés
par rapport à quelqu'un dont c'est le métier et qui leur
demande d'écrire. Alors moi j'ai des petits trucs forcément,
je leur dis : "moi aussi j'ai la trouille quand je prend une feuille"
alors c'est pour ça que je connais très bien la manière
dont on peut avoir la trouille... Donc les mécanismes sont très
simples et puis ils sont très chaleureux... dans un groupe alors
il y a toujours le clown, le provocateur, ça la dynamique de groupe,
je maîtrise complètement, c'est pas un problème pour
moi... parce que malgré tout, il faut un minimum d'autorité,
parce que sinon on se fait marcher dessus et puis même c'est préjudiciable
pour eux. Il n'y a pas de démagogie du tout. C'est un moment à
part et si on ne fait pas de ce moment quelque chose d'à part on
en tire rien...
- Et qu'est-ce qui vous détermine à
accepter un atelier plutôt qu'un autre ?
DL - J'en ai pas refusé beaucoup, mais c'est vrai que je suis plus
portée vers les gens dont je sens que si c'est pas moi qui y vais
personne n'ira... A la Goutte d'or, je me sentais vraiment utile... Quand
on n'arrive à inverser les choses, on se dit qu'on a pas bossé
pour rien parce que l'écriture, le langage c'est pas rien, c'est
aussi l'être, la sensibilité, l'avancée et ça
c'est très important, on ne peut pas se conduire en société
sans avoir un langage qui permettent de réfléchir à
cette position là, de citoyen, d'être humain par rapport
aux autres... Les profs qui me demandent d'animer un atelier, ceux qui
sont sincères oui; mais sinon je fais attention. S'il n'y a pas
de vrai projet, ce sont des ateliers que je refuse, maintenant. J'ai un
entretien d'abord avec le prof, si je m'aperçois qu'il s'agit de
se décharger d'un problème qu'il ne peut plus assumer, je
ne peux pas, c'est malsain...
- Quelle est la durée en général
?
DL - Le minimum c'est 5, 6 séances de 2heures environ, maximum
ça peut-être, étalé sur une année scolaire,
environ 6 mois...
- Vous vous préférez quoi ?
DL - Moi j'aime bien autour de 8, 10 séances, parce qu'on a le
temps de se connaître et à la fois il y a une espèce
de pression, un état d'urgence, qui fait qu'on va pas perdre son
temps, parce que sinon, petite à petit, si les participants savent
que ça va durer sur une année (scolaire), y a des moments
de relâchement, et moi j'aime pas, d'une part parce que je peux
pas avancer, et puis pour ceux qui ont bossé c'est pas très
sympa, donc je préfère qu'on ait une espèce de tension,
c'est aussi se sentir dans une urgence, comme l'écrivain peut la
ressentir.
- Où se déroulent les ateliers ? Dans
quels lieux ?
DL - ça dépend... dans la classe ou le CDI pour les établissements
scolaires, sinon j'ai en fait beaucoup en bibliothèque, ou encore
des lieux neutres, des salles louées exprès, ou alors des
salles de réunions, des maisons de retraite.... c'est variable...
- Est-ce qu'un écrivain apporte quelque chose
de plus à l'atelier par rapport à un simple animateur ?
DL - Je pense qu'on apporte justement ce non-savoir. L'animateur
il veut animer, et il apporte... il veut apporter des certitudes. L'écrivain
lui inscrit le doute dès le départ, en tout cas moi, je
pars du fait, que je suis quelqu'un qui doute, forcément j'ai publié,
j'ai un certain savoir-faire au niveau du langage... et puis ? Par rapport
à ce qu'on ressent et la manière dont on va l'exprimer,
le doute, il est existentiel et universel et ça l'écrivain
le transmet, l'animateur, ne va pas le transmettre, s'il a pas été
lui même confronté à l'écriture. S'il pense
qu'il y a des méthodes, il va être nul, y a pas de méthode.
Y a l'écoute, l'écoute de soi, et y a l'écoute de
l'autre et donc on n'anime pas en fait : on est. Et en fait on fonctionne
plus sur nos manques, que sur nos acquis et c'est pour ça que l'écrivain
est dans une sorte d'aide technique et d'aide psychologique ou affective
mais on fonctionne aussi sur le partage du doute, de l'angoisse, alors
on essaye de la minimiser par le fait de se rassembler, on est au plus
près du langage et du langage intime pas du faire joli, pas de
bonne rédaction, on est dans l'investissement personnel, dans l'artistique
vraiment, moi je ne fais pas des ateliers d'écriture technique,
je fais des ateliers d'écriture artistique même si le résultat
n'est pas splendide...
- Et qu'est-ce qu'écrire pour vous ?
DL - Vivre... oui bien sûr, pour moi c'est quelque chose de fondamental,
c'est quelque chose qui, même sans être publié, je
n'imagine pas ne plus écrire...j'ai toujours eu ça, parce
que sans doute c'est l'endroit où je suis le plus libre, c'est
ma liberté, sinon j'écoute trop les autres et justement
tu te fais accaparer. Je suis quelqu'un de très sociable et l'écriture
c'est un endroit où il y a une intimité, on n'est jamais
totalement libre... mais moi c'est ça... se laisser aller à
certaines choses qu'on refuse, une certaine violence... une émotion...
aller au delà de sa propre expérience, vers le monde, quelque
chose qui soit plus universel...
- Quelle est la place de l'écriture dans les
ateliers que vous menez ?
DL - Alors je commence toujours par les rassurer en leur disant,
attention vous n'avez que 10 minutes pour écrire, en fait ça
les sécurise.... alors du coup ils ont envie parce que ça
leur semble court, forcément ils écrivent... et c'est très
bien, ce temps imposé, même s'ils n'ont pas fini, quand on
est auteur on sait qu'il ne faut jamais s'arrêter sur quelque chose
d'achevé, il ne faut pas s'arrêter à la fin d'un chapitre
par exemple... il faut toujours enclenché quelque chose sur lequel
on pourra rebondir quelques temps plus tard... et sachant ça, je
les empêche d'aller plus loin et on commence à lire entre
nous, on en discute et puis après...repartir de ce qu'il y a vraiment
d'unique dans le texte...
- Est-ce que vous écrivez avec les participants
?
DL - J'ai pas le temps, je peux pas... je peux pas parce que... non
ça dépend des ca, y a des endroits où je vais, je
discute, j'écris avec eux et puis après je fais mon texte,
mais et puis après il est arrivé qu'on le mette en scène...
mais sinon en général je n'écris pas parce que je
suis vigilante, d'abord je prend des notes sur tous les textes et puis
ils me sollicitent tout le temps... donc il faut être disponible...
- Que deviennent les textes produits ?
DL - Ce que j'essaye de faire, pour moi, c'est très important qu'il
y est un aboutissement tangible, soit un petit recueil, même si
c'est simplement photocopiés (comme ça), y a toujours des
recueils, quelques fois y a des spectacles, des représentations,
des pièces de théâtre, je fais en sorte que ça
aboutisse à quelque chose que eux, peuvent prendre dans les mains,
quand ils voient leurs noms, ça donne du poids, ils n'ont pas travaillé
pour rien et on s'est pas foutu de leurs gueules... donc pas forcément
un prolongement mais un aboutissement... tout ça on en parle dès
le début de l'atelier...
- Comment définiriez vous cette écriture
?
DL - Elle est pour moi, complètement individuelle, chacun
écrit dans son style et jamais je n'interviens là dessus,
c'est à dire ça peut aussi bien être des poèmes,
la manière d'écrire, ça peut-être aussi bien
des récits, des nouvelles, que des textes écrits avec violence.
Y a pas une écriture dans un groupe, chacun écrit comme
il pense, comme il ressent et c'est pour ça que je dis que ça
ne se ressemble pas, y a aucune unité dans l'atelier à part
le thème que je donne... Quand ils hésitent sur un mot,
je leur dis "c'est toi qui choisis, c'est toi l'auteur, oui c'est
toi l'auteur..."
- Comment s'organisent les séances ?
DL - D'abord, on parle, on parle, on se présente. Ils disent ce
qu'ils veulent dans la présentation, ça dépend des
publics, de ce qu'ils veulent... et puis à propos de l'atelier
même, je leur propose un thème auquel j'ai réfléchi
et en général ça marche... ils ont donc 10 minutes
pour écrire, pendant ce temps je prends des notes, sur ce que je
vois, je ressens, c'est ma sensibilité, forcément un atelier
ressemble aussi à celui qui l'anime... y a des choses que je vais
relever que d'autres auteurs ne verraient pas... donc on fonctionne comme
ça, avec une progression, et je leur demande quelque cose qui peut
paraître un peu "bébé", c'est de recopier
ce qui force à remettre son texte en question... mais il faut que
ça reste ludique parce que souvent ils ont gardé un trop
mauvais souvenir de l'école...
- Quels rapports nouez-vous avec les participants
?
DL - En général très bons, très affectifs,
forcément parce que l'écriture c'est très personnelle,
et à la fois très pro aussi, mais je m'implique énormément,
c'est vrai que je m'investis beaucoup, et eux aussi et puis y a des gens
avec qui je suis restée en contact des années...
- Y a t-il un suivi, une suite de l'atelier ?
DL - Oui, oui je fais gaffe... je fais faire des questionnaires, par rapport
à ce qu'ils ont pensé de l'atelier, moi ça m'aide,
l'institution qui m'a reçue aussi, ça lui permet d'évaluer
le travail accompli...
- Certains ont-ils une pratique de l'écriture
en dehors de l'atelier ? Et avant et après ?
DL - Oui, oui, les deux, il y a des gens qui écrivaient déjà
un peu avant et qui sont sortis transportés et qui ont écrit
davantage après et puis d'autres qui écrivaient pas du tout
et qui se sont mis à écrire vraiment, après, pour
eux...
- Et vous vous y intéressez ?
DL - Oui, oui... mais c'est quand même pas la majorité...
- Quels termes employez vous lorsque vous parlez des
membres de l'atelier ?
DL - Pour moi, c'est des participants à un atelier d'écriture,
les auteurs de leurs textes sur le moment et à partir de là,
c'est tout. Je leur dis bien : vous ne serez jamais écrivains en
passant par moi, ce n'est pas moi qui vous feraient être écrivains.
Je suis très claire là dessus pour qu'il n'y ait aucune
ambiguïté. On est pas écrivain parce qu'on a rencontré
un écrivain, on est écrivain parce beaucoup d'autres déterminations
entrent en cause, c'est très complexe et je ne souhaite pas à
tout le monde de le devenir... Mais ce sont les auteurs des textes qu'ils
écrivent en atelier, ce sont des participants à part entière,
de manière collective et cela change tout. C'est non seulement
collectif mais ils sont dirigés également par un auteur
et forcément ce n'est pas la même chose. Certaines personnes
avant n'auraient jamais eu l'idée de prendre un stylo pour écrire
une ligne, c'est pas des écrivains a priori... Ce que j'essaye
de leur apporter c'est une ouverture sur la pratique artistique qui peut
les mener, d'abord à ne plus avoir peur de l'écrit, à
aller en bibliothèque prendre un bouquin sans avoir peur, à
s'intéresser un peu plus à l'écrit et comprendre
parce qu'eux même en ont fait l'expérience même s'ils
n'écrivent ensuite plus jamais mais c'est aussi important par rapport
à la lecture...
- Pour vous, qu'est-ce qui se passe dans l'atelier
qui est spécifique à celui-ci ?
DL - C'est un lieu de reconnaissance de soi même, et des autres,
c'est un lieu de paix, une espèce de cocon, une sorte de truc un
peu maternel, je me rends compte, où on se peut dire les choses,
on peut aussi se mettre en colère, y a pas de problème,
mais où on est jamais en danger, moi j'essaye de gommer tout ce
qui peut être les aspects danger aussi bien psychologiques que mentaux.
Jamais ça ne doit être dangereux et c'est très important
par rapport à des types de populations qui sont amenées
depuis l'enfance à être sur le qui vive, la défensive...
Moi je veux qu'ils se sentent bien, pour se lâcher un peu, pour
qu'ils soient heureux dans un endroit où on ne les juge pas (négativement).
L'écriture va rester et ils vont être fiers. Un moment de
chaleur entre nous, entre eux... que l'écriture les réconcilie
avec leur image...
- Vous considérez vous comme animatrice ? Si
oui, pourquoi ? (Si non, quel terme vous semble mieux convenir à
votre pratique ?)
DL - ...C'est du travail social, j'ai pas honte, c'est pas des choix
mais simplement je ne fais pas à partir d'une connaissance du travail
social, je le fais à partir d'une connaissance de moi même....
MA démarche est tout à fait personnelle...
- Entretenez vous des rapports avec des animateurs
ou des formateurs non écrivains ?
DL - Oui, oui bien sûr, les gens avec qui je travaille sont
des gens qui acceptent ma démarche, qui se mettent dans le bain...
- Est-ce que vous dissociez votre pratique de l'atelier
de votre propre pratique de l'écriture ?
DL - Je ne pourrais pas dire que ça se mélange dans la mesure
où se que j'écris n'a rien à voir avec ce que vois
écrire sous mes yeux quand je suis en atelier d'écriture.
Ceci dit on ne peut pas savoir ce qui se passe à notre insu dans
la tête mais ce que j'écris n'a rien à voir avec les
ateliers d'écriture, jamais je ne vais utiliser quelque chose que
j'ai vu, entendu ou fait en atelier d'écriture, ça c'est
pas possible...
- La pratique de l'atelier influence t-elle votre
écriture ?
DL - Je ne fonctionne pas comme ça, je fonctionne beaucoup
plus sur des trucs très perso... alors il se peut que ça
puisse se rencontrer, mais vraiment sur la tangente, ça sera jamais
le noyau d'un livre, j'ai fait des articles, des textes sur les ateliers,
mais de façon romanesque jamais. Dans la réécriture
par contre, une certaine influence...
- Connaissez vous d'autres écrivains qui animent
des ateliers, et si oui quels rapports entretenez vous avec eux ?
DL - Oui, qui travaillent dans les ateliers d'écriture aussi,
on fait parti d'un petit club, on n'est pas très nombreux... On
en parle mais on se voit rarement, on a quand même chacun sa manière
d'être. Je connais bien François Bon, Ricardo Montserrat
ou d'autres mais chacun forcément va fonctionner à sa manière
et à la fois on est peut-être un peu pudique par rapport
à ce qu'on fait... |